Chroniques
2001
Entretiens
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JadeWeb
chroniques #12
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A
la loupe
Daniel
Clowes
DAVID BORING .
Gunnar
Lundkvist
KLAS KATT .
Winshluss
& Cizo MONSIEUR FERRAILLE .
Richard Corben ALIENS
/ ALCHEMY . HELLBLAZER . BANNER
. THE
HOUSE ON THE BORDERLAND .
chroniques
#11
HOLMENKOLLEN > Matti
Hagelberg .
KANE #2 > Paul Grist . LUCIUS
CRASSIUS > Otto T. & Grégory Jarry . TOP
TEN #3 > Alan Moore & Gene Ha . HOLLY
SHIT > Reinhard Scheibner
Chroniques
#10
PAUL
A UN TRAVAIL D'ÉTÉ > Michel Rabagliati
. MERCI BEN LADEN ! > Willem . ÉCLIPSE
> Anton6 . FUZZY LE LAPIN ET SES COPAINS | Robert Crumb . GIBOULÉES
> Vincent Vanoli . MELEK > Julie Doucet . INTESTINE
> Simon Bossé . HELLBOY #4 > Mike Mignola . JÉRÔME
D'ALPHAGRAPH #1 > Nylso . PSYCHOPARK #1 > Frank Cho .
chroniques
#9
LA
CAGE > Martin Vaughn-James . HAWAII
> Matt Broersma . L'AMOUR
> BSK . BONE
#9, les cercles fantomes > Jeff Smith . DÉPÔT
NOIR/02 > Stefano Ricci
Chroniques
#8
PUSSEY > Dan Clowes . ESCAPO > Paul Pope .
UN CHIEN DANGEREUX #2 > Imius . L'OEIL À
COURTS THÈMES > Didier Progéas . MON POISSON ROUGE
> Capron . TIBURCE #4 > Téhem .
Chroniques
#7
CHE
> Oesterheld & Breccia .
3 > Micol . CLOSE YOUR EYES > Burns .
TOP TEN #1 & #2 > Moore & Ha . BUSCAVIDAS
> Breccia & Trillo . CARNET > Tardi .
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DOUCE
CONFUSION
Depuis
plusieurs années, Olivier Josso égrène ses
histoires douces-amères dans de nombreux supports. Lapin,
Jade, Ego comme x, Fusée, Brulos le zarzi (revue qu’il co-fonda
avec Laure Del Pino). Parfois contemplatif, parfois introspectif, cultivant
une certaine forme de nostalgie avec une attention proche du zen, Josso
capte le lecteur dès le premier regard tracé, dès
les premiers mots prononcés et l’emmène dans un monde
à la temporalité particulière. Douce confusion,
son premier livre, regroupe une partie de ces travaux qui, assemblés
les uns aux autres, et au delà des histoires qu’il nous raconte
(de l’autobiographie à l’onirisme) fait naître de curieux
sentiments, explore des sensations partagées par tous mais dont
la volatilité empêche bien souvent la formulation. Nous
entrons avec lui dans un ailleurs d’émotions, de connivences,
d’impressions qui rebondissent au fil des histoires de l’ouvrage sans
jamais se poser ni se laisser attraper. Et ce n’est pas la seule force
des récits. Il y a aussi son étonnant dessin, dominé
par un concert de hachures quasi musicales rehaussé par des plages
de gris vaporeuses et des harmonies de bleus délicates. Les récits
introspectifs voient les personnages se façonner et muter par
les réflexions qui les parcourent (disproportion des yeux, corps
symbolisés par des pantins fichés de flèches, aperçu
des organes internes…), ceux autobiographiques sont bercés par
les formes mnémoniques du retour sur soi (spirales, accumulation
d’objets, distorsion de la perspective…). Quelques récits réalisés
conjointement avec Laure Del Pino, mélanges de points de vues
autant que d’images, marquent la volonté d’une osmose particulièrement
aboutie, ils semblent parler d’une seule voix.
Le
livre se clôt sur un récit à contre courant des
autres (La nuit du repaloux) relatant un évènement
récent de manière précise, faisant basculer ainsi
tous les récits antérieurs dans l’espace de la réflexion
-de l’analyse ?-, nous extirpant de la "douce confusion" où l’auteur
nous avait plongés pour recoller soudainement à l’instant
présent, aux moments et contraintes du quotidien.
Douce
confusion s’évertue ainsi à nous plonger dans nos
propres rêves autant qu’en nos troubles, sa redoutable précision
stylistique tant graphique que narrative touche immanquablement et apaise.
On ne peux refermer le livre que la mine réjouie.
JP.
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[site]
DOUCE
CONFUSION | Olivier Josso
80 pages | 19 EU | éditions égo comme x
ISBN 2-910946-24-X
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LE
CHIEN DE LA VOISINE
Alors voilà, j'avais écrit une petite chronique sur le dernier
livre d'Imius, Le chien de la voisine, pour dire à
nos lecteurs tout le bien que je pense de cet artiste. J'avais fait ça
avec la volonté de convaincre, en nourrissant la prétention
que mon enthousiasme serait entendu comme un mot d'ordre et que le livre
s'arracherait en librairie... Malheureusement, le visiteur régulier
du JadeWeb ne l'ignore plus, j'ai un problème, un défaut,
une tare : je suis lourd. Je parle fort, je ne mesure pas la portée
de ce que je dis, mes compliments flattent autant que des crachats, et
ma vanité me pousse à croire que mes réparties amusent
la galerie quand elles ne font que m'attirer le mépris des femmes
et le désaveu de ma famille. La vérité apparaît
donc au grand jour, je suis une merde, grossière et particulièrement
moyenne, qui se préoccupe trop de faire rire le gnome puant l'ail
et l'urine qui lui sert de conscience plutôt que de se faire correctement
comprendre de ses lecteurs. De fait, nombre d'entre eux semblent avoir
pris / compris de travers ce que j'exprimais bien mal. Je leur exprime
donc mes plus profonds regrets, et les assure que je tiens Le chien
de la voisine pour un livre formidable.
Il convient encore que je remercie ici Monsieur Vandermeulen, qui aura
su le premier attirer mon attention sur mon manque d'éducation
; ainsi que les amis de l'auteur, qui se seront trouvés blessés
à sa place et se sont empressés de nous le faire savoir
avec force. À leur attention donc, et pour mettre fin au malentendu,
voici une version de cette maladroite chronique, expurgée de tout
le second degré lourdaud qui en faussait la lecture :
(...)
l'un des auteurs les plus prometteurs de ces dernières années:
j'ai nommé (...) Imius (...) aura (...) auto-éditer (...)
le livre dont il est question aujourd'hui (...) plus copieux qu'à
l'accoutumé et suivant d'à peine six mois le précédent
(...) nous offre (...) la compilation des pages qu'il a improvisées
semaine après semaine pendant un an pour le fanzine Rennais Chez
Jérôme. (...) ces pages s'articulent autour de son personnage
fétiche (Un chien dangereux, 2 volumes, même éditeur)
(...) et (...) Imius a beau (...) il n'en est pas moins l'un des auteurs
les plus pertinents de la période, entre Blutch, Sfar et Winshluss.
Et si Le chien de la voisine (...) est (...) son meilleur livre
(on pardonnera (...) la (...) faute de goût (...) vers la fin),
(...) on attend déjà de lui les quelques chef-d'oeuvres
qu'il promet de façonner dans les années à venir.
Mais fichtre qu'on aimerait en lire plus souvent des bouquins (...) de
ce niveau! C'est la marque des grands que de tomber les pépites
(...). Ce qui épate le plus dans ce Chien de la voisine,
c'est la décontraction parfaitement assumée qui s'étale
à chaque page comme un clin d'oeil, ce côté (...)
qui nous fait applaudir à tout rompre (...) quand Imius maîtrise
les arcanes de l'alchimie. Car c'est bien d'alchimie qu'il faut parler
lorsque l'on transforme le vide en matière, non ? Construire du
plein avec du rien, de la parole avec du silence, du temps avec de l'ellipse,
c'est là tout le projet et toute la réussite de ce livre
jubilatoire. L'action, les faits et la psychologie sont repoussés
hors-cadre pour donner la vedette aux non-dits, aux intentions et aux
fantasmes. Ils sont rares ceux qui parviennent à rendre l'ébauche
plus explicite que les constructions bien articulées, les Sempé,
les Pfeiffer, les Ungerer... Et Imius peut sans aucun doute prétendre
à les rejoindre assez vite tant il semble posséder d'instinct
ce vocabulaire fait d'intelligence et de concision. Alors évidemment,
Le chien de la voisine (...) mais il est indispensable de le lire
tant il fourmille de promesses et tant (...). Préparez-vous (...)
à (...) du succès (...) Décidément (...).
GUMBY
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LE
CHIEN DE LA VOISINE | Imius
92 pages | 10,50 EU | éd. Les taupes de l'espace
ISBN 2-913421-07-5
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ENFANTILLAGES,
Le meilleur de moi tome 3
L’ouvrage
s’ouvre sur un décor parisien, le métro aérien. Philippe
Dumez, auteur et protagoniste du récit interpelle les passagers
du wagon et se présente : "Bonjour messieurs-dames excusez-moi
de vous déranger, je m’appelle Philippe et j’ai trente ans".
Il parle ensuite de son bébé, qui va naître, il parle
du livre qu’il réalise avec sa compagne, explique qu’il doit rendre
son manuscrit à son éditeur, et réclame ("à
vot’ bon cœur") qu’on le dépanne de quelques anecdotes : un
souvenir d’enfance madame ? Une madeleine ?
Les passagers du métro n’aiment pas qu’on les importune, il est
défendu de faire la quête, et puis voyez-vous, le public
en a assez de l’autobiographie, du vécu, il veut de l’aventure,
des Vikings, des motos et des aventurières à forte poitrine.
Non mais.
Pauvre
pauvre pauvre Philippe Dumez qui ne sait faire qu’une chose : raconter
sa petite vie.
Plutôt que de raconter des anecdotes extraordinaires (à moins
que rencontrer Marie-Ange Nardi soit un épisode extraordinaire),
il s’ingénie à expliquer sa passion pour Star Wars,
sa dramatique collectionnite et la manière dont il gère
sa place de parking. Philippe Dumez fait de son quotidien une fiction,
il cherche la drôlerie dans la banalité, et il la trouve.
Sa technique narrative principale est la divagation : perdu sur une départementale,
en retard à un mariage où on l’attend, il se voit soudain
concurrent d’un jeu télévisé. S’il doit s’habiller
rapidement, il devient superman, et lorsqu’il s’agit de refermer l’album,
il nous demandera de nous diriger vers la sortie - n’oubliez pas le guide
s’il vous plait.
Ces
histoires charmantes, drôles, sont servies par le graphisme séduisant
et incisif de Colonel Moutarde, compagne dans la vie comme dans
le livre de Philippe Dumez, apparemment amusée par l’idée
d’illustrer ainsi la fantaisie de son homme.
Ce
troisième album est pour moi le plus réussi. La technique
narrative de Philippe Dumez est tout à fait au point, le graphisme
de Colonel Moutarde est à son top-niveau (lire aussi le récent
Johnny rien à foutre chez PLG : c’est le même trait,
en noir et blanc uniquement, et c’est très bien).
On attend avec impatience le prochain tome du Meilleur de moi.
Enfin on l’attendrait si on ignorait que Dupuis a demandé aux auteurs
de passer à autre chose, la série ne vend pas assez. Avec
une certaine élégance, toutefois, l’éditeur a publié
cet album alors que la décision de ne pas persister était
déjà prise depuis un certain temps.
Il est probable tout de même qu’une suite existera, mais ça
sera chez un autre éditeur.
JN.
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ENFANTILLAGES,
Le meilleur de moi tome 3
Philippe Dumez & Colonel Moutarde [site]
48 pages | 9,29 EU | éditions Dupuis
ISBN 2-8001-3235-3
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PERSEPOLIS
#3
Après
deux tomes retraçant son enfance au cœur de la révolution
iranienne, on était curieux de savoir comment pouvait évoluer
le récit une fois que Marjane Satrapi commencerait à
nous raconter sa vie en Europe. Passée la découverte de
son passé oriental, toujours un peu exotique à nos yeux
d’Européens, on pouvait craindre un peu de lassitude et un air
de déjà vu maintenant qu’elle abordait une partie de sa
vie se déroulant, finalement, à nos côtés.
Et bien non, ce troisième tome de Persépolis, loin
de lasser, se révèle peut-être comme le plus passionnant.
Si
jusqu’à présent, nous suivions ses pérégrinations,
à travers son regard, dans un monde où nous n’avions pas
de repère, voilà soudain que Satrapi inverse les rôles
: c’est le lecteur qui est maintenant en terrain connu et elle, dorénavant
est étrangère aux endroits, aux gens, aux coutumes qui construisent
le récit. Ainsi démarre ce livre sur l’exil, ainsi Marjane
Satrapi retourne l’idée de lointain.
La
voici adolescente en Autriche (faut dire aussi, l’Autriche, c’est pas
ce qui se fait de plus cosmopolite en Europe) dans une pension de bonnes
sœurs, puis colocataire, toujours étrangère, toujours avec
le poids de son éducation et face à la collection habituelle
des jeunes oisifs 100 % made in occident : révolutionnaire de chambre,
idéaliste hypocrite, jeune branché fils à papa. Du
coup, les deux premiers tomes prennent un nouveau relief, l’ailleurs qu’ils
évoquaient acquiert une géographie plus concrète,
la violente période qu’ils décrivaient éclate avec
encore plus de réalisme. Malgré cela, la jeune adulte qui
les porte en elle, si loin dans une Europe insouciante, en garde une nostalgie
grandissante. Ainsi elle se montre dans toute sa complexe humanité
et la portrait de femme que l’auteur ébauche prends une épaisseur
étonnante.
Le
graphisme, simple et d'apparence enfantine, s’efface quasiment tant son
efficacité à servir le récit est grande, en cela
aussi Satrapi échappe à l’Europe -à la bande dessinée
européenne, si scrupuleuse face à son approche de l’image-
; en cela également le dessin est précis, l’exil se situe
du côté de l’effacement. La narration et le graphisme se
rejoignent pour ne donner qu’une écriture, ainsi Persepolis
est une réussite.
JP.
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PERSEPOLIS #3 | Marjane Satrapi
96 pages | 15 EU | éditions L’association
ISBN 2-844414-104-8
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LE
GUMBO DE L'ANNÉE
Ça
commence par une recette de cuisine, un gumbo, évidemment (plat
traditionnel des cuisines africaines, créole et cajun). Par la
suite Matthias Lehmann, de plus en plus maître es-carte à
gratter, poursuit en détails la soirée de dégustation.
On retrouve avec plaisir ses personnages récurrents, René
Pluriel (parmi les convives), Sonia et Noémie (en cuisine) pour
une gumbo party des plus réjouissantes. Amis et voisins se pressent,
avec leur lot de bonnes et mauvaises surprises et c’est tout le bestiaire
du quartier qui défile dans l’appartement de Sonia, trop affairée
en cuisine pour suivre l’évolution du repas. Un vaste instant de
franche convivialité plein de figures épiques du quotidien
: le vieux voisin timide et transi d’amour pour Sonia, une espèce
de troubadour à guitare que personne ne se souvient avoir invité,
la collègue de travail insupportable et son abominable marmaille
hurlante, la copine extravertie et son nouveau copain introverti qui se
demande ce qu’il fout là, un troupeau d’ados boutonneux démangés
par leurs hormones, "l’ex" et le peut-être "futur" de Sonia, si
elle ne se le fait pas souffler par la copine sympa… Le gumbo de l’année
est un beau moment de fête, admirablement décrit par Matthias
Lehmann dont l’une des forces est la formidable vie qu’il réussit
à insuffler à ses personnages, tous plus vrais que nature.
La
collection Carrément des requins marteaux, de format 12 x 12 cm,
se prête à merveille au déroulement théâtral
de cette histoire où chaque page est composée d’une seule
et unique case. Un petit livre festif.
JP.
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LE
GUMBO DE L’ANNÉE | Matthias Lehmann
112 pages | 3,85 EU | éditions Les requins marteaux
ISBN 5-909590-73-9
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LA
BOUILLE
La
bouille raconte le quotidien d’un distillateur ambulant du centre-ouest
de la France (Charente, Dordogne, nord de la Gironde). Un métier
traditionnel qui tend à disparaître, du fait, principalement,
des lois qui n’autorisent plus la transmission filiale du droit de distillation
des agriculteurs. C’est donc à découvrir un métier
en voie d’extinction que nous convie Troub’s tout au long de son
ouvrage paru aux éditions Rackham. L’auteur suit ainsi les traces
d’un Baudoin, aime à croquer à vif (comme pour ses carnets
de voyages) les vies -devenus décalées- des oubliés
de la sinistre modernité. Il va ainsi passer une saison (de septembre
à mai) en tant que commis avec un bouilleur de cru ambulant. Il
en témoigne avec toute sa passion pour la campagne profonde et
la faune parfois hirsute, parfois charmante, qu’elle abrite. Au fil des
semaines, on voit défiler des personnalités (hallucinantes
aux yeux des citadins) de solides paysans souvent nostalgique de "la vie
d’avant", érigeant la débrouille en art de vivre, cumulant
les histoires de famille -ou de village- pas très claires, tous
vouant une certaine passion aux breuvages qui réchauffent l’âme
et le corps.
La
construction des pages, mêlant courts récits retraçant
des anecdotes (qu’avec l’imagination la plus débridée, on
n’aurait même pas osé formuler) et croquis retravaillés,
immerge littéralement le lecteur dans un monde que l’on avait déjà
relégué aux oubliettes de la petite Histoire, celle des
populations laborieuses oubliées des livres scolaires, de la tradition
orale, d’un terroir anti-idyllique et parfois violent, à mille
lieues de l’imagerie travestie par les médias et les vendeurs planétaires.
La modernité en prend un coup. Immense et réjouissant.
JP.
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[site]
LA BOUILLE | Troub’s
80 pages | 15 EU | éditions Rackham
ISBN
2-87827-062-2
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LE
11e JOUR
Un
matin, ma fille qui n’avait pas classe m’appelle épatée
par une grande bizarrerie : il y a exactement le même programme
sur les deux principales chaînes de télé. Je viens
distraitement jeter un oeil.
J’ai vite compris que le programme n’était pas normal.
Le mot "en direct" casé sur un coin de l’écran, des images
difficiles à identifier : New York ? De la fumée ? Un incendie
? Le World Trade Center... en feu ?
Le commentateur, abasourdi, hésitait à comprendre : un avion
écrasé dans une tour, accident, attentat, qui, que, quoi
?... J’ai assisté à la suite en direct sans y croire… Une
sorte de fin du monde.
Bien sûr, ce que je raconte là n’a rien de bien original.
Nous l’avons tous vécu, nous avons tous vu les tours s’effondrer,
en direct ou en différé, nous avons tous vu mourir des milliers
de personnes prises au piège dans des tours gigantesques effondrées
comme des châteaux de cartes.
Face à la démesure de l’évènement, il était
difficile de trouver quelque chose de pertinent à dire, pourtant
nous en avons parlé, parlé, parlé, nous avons présumé
des suites, nous avons écouté des commentateurs eux-mêmes
peu inspirés ressasser à l’infini le peu d’informations
dont ils disposaient... Et ça a duré, ça a duré,
guerre en Afghanistan, propositions de monuments commémoratifs,
suspicions de complot de la C.I.A., enquêtes ratées du F.B.I.…
Et nous voici déjà à "fêter" ce 11 septembre
2001 pour le moins inoubliable.
Le
site sceneario.com
- site amateur consacré à la bande dessinée - a lancé
un petit concours permettant de gagner des albums de Sandrine Revel,
Le 11e jour. Les albums gagnés par les participants seraient
en nombre croissant jusqu’au 11 septembre : 11 septembre, 11 albums à
gagner. Cela me parût douteux : la St World-trade-center ? Hum…
J’ai suspecté à juste raison que la date n’était
pas choisie au hasard et que l’album en question traitait bien du 11 septembre
2001…
Avec
Denis-Pierre Filippi, Sandrine Revel dessine depuis 1998 les aventures
d’un Drôle d’ange gardien (éd. Delcourt jeunesse)
: deux orphelins sont protégés par un diablotin et un ange…
Tendre et émouvant, le récit est impeccablement servi par
le dessin en couleurs directes de Sandrine Revel. Voilà tout ce
que je connaissais de cette illustratrice bordelaise, a priori sympathique
et sensiblement talentueuse.
J’ai
décidé pour cela de donner une chance à un album
dont le sujet me semblait au minimum casse-gueule, aux franges du mauvais
goût. Au fond j’ai toujours su que mes dix euros seraient mal investis.
Le
9 septembre 2001, Sandrine Revel se trouvait en haut d’une des tours du
World Trade center. Elle est venue à New York pour réaliser
un vœu, celui de son frère Stéphane, mort prématurément,
qui avait toujours rêvé de découvrir "la grosse pomme".
Le
livre commence assez mal : au sommet d’une tour, donc, un enfant jette
un avion en papier qui vient s’écraser sur la tour. Aïe Aïe
Aïe. Bonjour la métaphore raffinée.
D’ailleurs
le livre ne commence pas par là, il y a plus gênant encore,
une préface hallucinée de Jean-François Kahn qui
découvre la bande dessinée comme support au témoignage,
citant Davodeau ou Joe Sacco. De la part du préfacier, on ne niera
pas une bienveillance sincère qui réussit malheureusement
à être lyrique, dithyrambique et en même temps plate
comme une mer sans vent. On y apprend toutefois que le journaliste "BD"
est, contrairement à "l’autre" (ce n’est pas dit mais nettement
induit), libre.
Intéressant.
Je
parlais d’une métaphore un peu lourde au départ, la suite
de l’album ne rattrape rien. L’auteur se met en scène, touriste
dans la mégapole américaine, qui voit sans comprendre défiler
les camions de pompiers, un témoignage auquel il n’y a rien à
reprocher si ce n’est qu’il se mélange aux apparitions du fantôme
du frère disparu, un drôle d’ange gardien lui aussi, qui
dit par quelle rue passer, se montre dans le champ de l’appareil photo,
conseille de téléphoner à la famille, apparaît,
disparaît, coucou c’est moi, coucou je ne suis plus là… Enfin
n’importe quoi.
Les
fantômes sont trop précieux et trop rares pour qu’on s’en
serve à tout bout de champ. Une apparition dans un coin de case
d’une seule page de l’album aurait sans doute provoqué une émotion
certaine chez le lecteur. Mais là il est partout, on veut qu’il
s’en aille, parce que, égoïstes lecteurs que nous sommes,
nous ne nous sentons pas tellement concernés par ce frère
disparu, nous ne le connaissons pas, son destin fut sans doute très
triste mais dans l’album il a l’air de bien se porter, le mettre en concurrence
ou en parallèle avec une catastrophe, la world-catastrophe du début
du troisième millénaire semble bien maladroit ; ce brave
garçon que nous n’aurons pas connu sera surtout pour nous le parasite
d’un récit qui aurait gagné à être un peu plus
factuel. Une fois l’album refermé, on ne sait pas quel bruit ont
fait les tours en s’écrasant, on sait que les amis de Sandrine
Revel ont cru voir passer Bruce Willis et que Sophie Marceau (qui ressemble
plutôt à Isabelle Adjani dans l’album) n’était pas
contente de voir l’aéroport vide et de savoir qu’elle ne pourrait
pas prendre l’avion aussi vite qu’elle le voulait… Caprice de star.
Les
cases sont écrites avec une typo mécanique ce qui distancie
paradoxalement le lecteur d’un récit qui se veut intime, certains
dessins donnent l’impression d’être bâclés, l’album
montre tous les signes du projet réalisé en urgence : il
fallait que ça sorte pour l’anniversaire… Voilà une production
bien médiatique, comme Delcourt en commet de temps à autres
: La bande à Renaud, Proust en bande dessinée...
Ce n’est pas moralement douteux de faire ce genre d’album "d’actualité"
tant que c’est bien fait. Ici c’est raté. Sandrine Revel n’est
pas José Muñoz et ses métaphores en gros sabots (Bruce
Willis, l’avion en papier) tombent à plat. Ses mises en page font
penser, de très loin dans le brouillard, à du Chris Ware.
Ce
livre n’apportera rien à ceux qui n’étaient pas à
Manhattan le 11 septembre 2001, ils ont vu pareil à la télé
et ce qui n’est pas passé à la télé est généralement
en trop dans le livre. Sandrine Revel en tirera une médiatisation
anecdotique, potentiellement dommageable à la bande dessinée
en général et à l’auteur en particulier. C’est une
forme de gâchis d’autant plus importante que l’on ne sent même
pas ici une forme d’exorcisme salvateur, on sent surtout un boulot vite
fait mal fait.
Je
me trouve bien cruel avec Sandrine Revel, je suis persuadé qu’elle
a mis beaucoup d’elle-même dans cet album, mais ça tombe,
pour moi, à l’eau.
L’autre
album "témoignage" de Delcourt ce mois-ci, Pawa de Stassen
semble nettement plus au point.
JN.
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[site]
LE 11e JOUR | Sandrine Revel
48 pages | 10,95 EU | éditions Delcourt
ISBN 2 84055-940-4
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