Les
flingués du bocal sont de retour. Et dans la bande d'accros aux
petites perversités quotidiennes, David Boring n'est pas
le dernier sur la liste. Sa vie de citoyen ordinaire se partage entre
ses fantasmes féminins (observations anatomiques maniaques, compilation
d'images) et le statut tragique d'enfant abandonné par un père
dessinateur de comics quasi inconnu dont il cherche la trace (les échos
d'une ressemblance ?) au travers de quelques pages éparses retraçant
les aventures de "La griffe jaune". Deux directions qu'il emprunte selon
la chance du moment, encore que question chance, David Boring peut mieux
faire...
C'est en allant enterrer son meilleur ami d'enfance qu'il rencontre
la troublante Wanda Kraml, aussitôt promulguée femme idéale
de par sa ressemblance avec une image de femme nue qu'il conserve dans
un livre, sa bible érotique, héritage de son adolescence.
Re-rencontre, brève liaison puis disparition de la quand même
assez bizarre Wanda. Il se laisse consoler par sa colocataire, Dot,
jeune lesbienne aussi désorganisée que lui côté
cœur avant de... ha ? prendre une balle dans la tête ? Mais, on
est à peine à la fin du premier chapitre ?... S'ensuit,
mais on n'entrera pas dans les détails, une convalescence assez
pénible composée de fantasmes de troisième guerre
mondiale, d'un huis clos éprouvant dans une maison isolée
au beau milieu d'un lac, de souvenirs d'enfance saupoudrés de
secrets de famille et de… Wanda, toujours présente à l'esprit
du jeune anti-héros souffreteux. Un tourbillon de situations
comme aime à les manier Daniel Clowes avec son style pince-sans-rire
qui mouille de glamour fifties et asperge de rebondissements lynchéens
ses histoires, blanches comme un feuilleton de l'Amérique très
profonde ; puis les essore à la folie ordinaire (passion des
armes, farfouillage intime, philosophie de music-hall) des vrais pionniers
de l'ouest. L'univers de Daniel Clowes se déroule comme une vaste
agoraphobie à l'échelle d'un continent où tous
les protagonistes intériorisent leur mal-être jusqu'à
l'inévitable et violente ouverture des vannes.
Pièce
maîtresse de la jeune carrière de cet auteur -si scrupuleux-
de la description des sentiments, David Boring tient perpétuellement
en haleine tout au long de ses 128 pages et file des secousses par l'absurde
comportement destructeur de ses protagonistes. On en reste pantois tandis
que l'histoire file le long d'un chemin où les issues se ferment
sitôt découvertes, il n'y aura pas d'échappatoire.
JP.