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Entretiens

  JadeWeb chroniques #11
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LES ENTRETIENS
. Clinic .

. Piano magic .

. Bip-Hop .
. Travaux Publics .
. Mathieu Malon .
. Arbouse Rec .

À LA LOUPE
Le label Z & Zoé

 

SNOWBOYS Para Puente & the latin section
JOHN BELTRAM Sun gypsy
(Ubiquity/La baleine)

On se prenait à douter qu’un jour une scène émerge du travail admirable de Burnt Friedman, au sein de ses diverses entreprises (Senor Coconuts, Replicant Rumba rockers, etc.)
L’émulation créatrice ne vient pas d’Allemagne mais de la côte ouest des États-Unis. Le label Ubiquity signe ici deux avatars heureux du genre, mélange de house brinquebalante, de rythmes bossa humides et de latino furieuse. Snowboys
a de la corne sous les doigts à force de marteler ses fûts. L’intelligence du projet résidant dans le refus d’asservir la félinité des attaques tribales à la rigueur des assemblages digitaux.
John Beltram contribue à un esprit néo-Tiki où la bossa et le tchatcha jouent un rôle majeur. Le numérique venant simplement parfaire et lécher la rudesse des rythmes tribaux. Imaginez une version instrumentale du Amore de Louie Austen et vous ne serez pas loin du résultat…
Acapulco, les croisières transatlantiques, les chemises hawaïennes, les rondelles d’ananas, le soleil et les décapotables… Un avant goût des vacances… Dépaysant et sucré.
JJ.

 
 
 
 

HOGGBOYS Or 8 ? (Sobriety records/PIAS)
Un groupe qui hait dans le même temps Stereophonics, Jamiroquai, les noix de coco, les chevaux et les étudiants (sans doute accessoirement la terre entière) a forcément quelque chose d’intéressant à nous livrer. Et même si le fil d’Ariane reliant ses divers boucs émissaires n’est pas d’une clarté évidente, on s’accorde volontiers avec la pure méchanceté gratuite qu’ils distillent.
Pourquoi faire simple quant on peut faire ultra-simple : Hoggboys, littéralement les garçons de Hogg est le groupe fondé autour de Hogg, jeune con survolté, punk sans crête dans l’âme ; le groupe : moins endormi par l’alcool que les Strokes, moins poilu qu’At the drive in, continue d’alimenter les presses internationales de ce vrai faux nouveau ancien renouveau de la scène rock anglo-saxonne.
Hoggboy sonne comme les Stooges ou les Sex Pistols avec les moyens du bord actuel. Ils aiment les filles, boire et fumer et écouter Bon Jovi, ça tombe bien, nous aussi.
Les jeunes prédicateurs remettent au goût du jour les harangues des anciens tribuns avec l’énergie de la jeunesse ; et si c’était ça, le devoir de mémoire…

JJ.

 
 
 
 

 

 
 
 
 

AMON TOBIN Out from out where
(Ninja Tune/Pias)

Le jugement esthétique (d’une œuvre) a besoin de l’épaisseur du temps, d’un recul sur l’objet d’analyse pour affiner sa critique. Ce quatrième album d’Amon Tobin a besoin de ce surcroît d’attention, dans la mesure où il marque, dans son approche, une correction de trajectoire légère. Si les principes de déconstruction de ses morceaux ne sont pas remis en question, (fidélité à ses constructions acoustiques parallélépipédiques) le sens qu’il donne à sa musique, le ton des atmosphères a quant à lui perdu en chaleur. Un album d’hiver qui répand de son mécanisme implacable, l’austérité et l’air glacial jusqu’à présent absent des productions de l’Anglo-brésilien. La trajectoire de son œuvre après avoir séjourné autour de l’équateur, a passé le tropique du cancer pour prolonger sa course jusqu’au pôle. De sa double culture, il semble avoir mis un voile (provisoire) sur l’esprit festif pour se concentrer sur la tension froide de l’ère post-industrielle européenne.
Visuellement, la géométrie des structures en mouvement qui ornent ses pochettes se rapproche étrangement des tableaux hérités du Futurisme (et l’art du mouvement) et du cubisme (et ses lignes brisées)…le Nu descendant l’escalier de Duchamp, synthèse malgré elle de ses deux courants, en est
un tangible exemple.
Out
from out where livre la part d’obscurité la plus marquée à ce jour du compositeur, pourtant déjà présente à l’état de bribes sur Bricolage, et ce dans le plus beau des langages : celui de la dissymétrie poétique.

JJ.

 
 
 
 

STUNTMANN 5 Bretzel arabesque
(Collectif effervescence/La Baleine)

Tout d’abord, on se fait un devoir d’apprécier les collages obliques et les manipulations photographiques de ces espaces industrieux désertés et monumentaux enfantés par Spoutnix.
L’apparence de l’image, sa répétition, sa stratification semblent nous mener un peu plus loin dans la recherche de vérité sur le projet Stuntmann 5.
Ensuite, se renseigner sur l’auteur, établir des filiations entre sa créativité et ses aspirations, le profil de ses attentes : anticiper sa musique, en comprendre l’épaisseur ; Christian Bagnalasta, 28 ans, Stuntmann (Cascadeur) avait porté son choix premier sur Skyscraper (déjà pris, pas de veine) amateur de noisy à la My Bloddy Valentine et de rap pour jeune (Def Jux, Dj Shadow), son approche apparaît alors plus organique qu’analogique.
Enfin écouter Bretzel arabesque : ces arpèges samplés de guitare sèche (intro), la mélodie angoissée et dépouillée (entêtante) de Cumshot, rythmée et métronomique sur Je suis un shoegazer, halluciné et spatial sur PuitVs caillou, illbient urbaine asthmatique sur Bretzel arabesque, Muller etc.
Le jeune homme maîtrise avec habilité les chenaux symphoniques et répétitifs enivrants mêlé à des ruptures de rythmes, des passages d’à pic et des glissements abyssaux vers les couloirs sombres des vallées. Un album qui ne néglige ni notre appétence pour la vie et le rythme, ni nos ascendants à laisser sombrer notre esprit. Par la répétition, il crée une communion hypnotique avec l’auditeur dans un climat intime et tendu à l’extrême.
Une grande réussite.

JJ.

 
   
 
   

SON OF CLAY Face takes shape
(Komplott/Mangedisque)

Andreas Bertilsson a sans doute encouragé à son extrême logique le home studio (si indispensable à la créativité contemporaine), transformant le temps d’un album les recoins les plus intimes de son logis en unique source sonore.
Dans un sens, est exposé ici la même logique prégnante chez Ouie-dire prod. , avec leur série Coliphonie (à ne pas confondre avec la série Coloscopie de Vvm !!) carte postale des régions proches du Quercy ou Antifrost et ses cartes sonores eidétiques d’Europe. Ici comme ailleurs, il est question de visualisation acoustique, cérébrale, auditive, d’un lieu aussi restreint soit-il (l’appart de l’Allemand).
Mais ne vous y trompez pas, les sources de son quotidien ne sont ici nullement livrées de manière abrupte, concrète, (au sens musical du terme), il les maquille, les mutile, les travestit, les transforme, décalant toujours un peu plus l’original de ses clones/copies.
Les craquements de la matrice, les hoquets digitaux, les exhalaisons chevrotantes n’en finissent pas de tourner et progressivement s’imposer en rythme aux atmosphères liturgiques et tristes de Face takes shape (little Wheel, bed on my back).
Sa maîtrise des espaces sonores, la rotondité et l’imminence de son quotidien est une variable acquise de longue date, multipliant au sein de ses études de sculptures sonores des compositions d’environnements sonores abstraits. Celui qui se surnomme electroreformer davantage qu’electroperformer livre ici une musique électronique/environnementale portée autant à l’avant-garde du genre qu’aux références passées qui l’ont construit (New garden ; Notebook). Son aversion pour la mécanique froide des logiciels est suggérée une nouvelle fois avec encore plus de vivacité et de lucidité. Avant le son ce qui filtre, c’est l’humanité…
Komplott, après l’excellent album d’Hans Appleqvist surprend à nouveau son monde.

JJ.

 
   
 
   

TENNIS Furlines + the " horseback mixes
(Bip-hop/La baleine)

Le premier album de Tennis, Europe on Horseback, n’a pas fini de nous livrer ses secrets de fabrication. Bip-hop a du moins décidé de proroger leurs travaux à la faveur d’un de-mixed (comme il est à présent coutume de dire), prétexte aussi à une vraie et saine émulation des barons du genre… Les invités de marque feraient pâlir la plus prestigieuse des programmations de festival, la plus avant-gardiste, également. De splendides prestations dans l’ensemble qui travestissent les morceaux d’origines, les dissèquent et les retranscrivent dans un éventail de sons électroniques minimaux, abstraits, infimes, microscopiques, transparents, itératifs aquatiques, spatiaux, ambiants Avec Taylor Deupree, Kptmichigan, Warmdesk, Frank Bretschneider, Cray, Tim Hecker, Pimmon, Electronicat, The jerker ( ?), Bovine life, bitTonic, Mikael Stavöstrand, etc. Évanescent et versatile.
Cependant, comme les protagonistes n’ont pas pour habitude la contemplation béate et l’enthousiasme nostalgique, Si-cut Db et Beng (Tennis) ont choisi cette occasion pour formaliser leur nouveau chantier en parallèle.
Furlines a quelque chose de plus bucolique, de plus pastoral dans l’âme, les samples paraissent en meilleure santé, moins visités par l’asthme des villes. L’air est moins vicié, moins chargé que sur Europe on Horseback, rendant plus prompt la débauche d’exercices physiques. Il est néanmoins toujours question de dub et d’analogie, de basses et de réverbérations de climat floconneux et d’atmosphères anémiées par la chaleur. L’engourdissement contemporain dans ce qu’il a de plus salutaire.

JJ.

 
   
 
   

THE CARIBBEAN History’s first know-it-all
(Tomlab/Chronowax)

The Caribbean
entretient un appétit incontestable pour les états seconds, les défectuosités légères, les imperfections et les anomalies. Son album en recèle ; non pas de celles qu’on aime à montrer du doigt, mais plutôt de celles qu’on souligne avec attendrissement.
Leur pop song névralgique et enjoué libère les amarres sur Officer Garvey puis glisse lentement vers une construction plus décomplexée, plus intime aussi. Et de même que les petits défauts fondent le charme, les positions adoptées ici favorisent l’attachement et confortent la profonde identité folk du groupe, sorte d’avatar heureux de Beulah, des Beach Boys, de Turin Breaks, des Beatles et de petits bricolages pop-électroniques délicieux. Des morceaux comme In house, Fresh Out of travel, History’s first know-it-all mettent en demeure des images fortes d’un spleen vivifiant, la douce brume matinale des champs bocagers
s’évaporant aux premiers rayons de soleil. Une belle représentation bancale de la plénitude !
JJ.

 
   
 
   

PANOPTICA Tijuana remixes (Certificate 18/La Baleine)
Les gerbes de bougainvilliers qui ornent la pochette sont à elles seules un appel à l’évasion et au dépaysement.
Au travers de cette compilation, deuxième du genre sur le label, la jeunesse mexicaine formule intimement le désir de faire le deuil des poncifs touristiques et des écueils culturels qui offensent leur pays (dans le désordre : tapas-cactus-farniente-sombrero et tequila).
Malheureusement, l’entreprise a beau esquisser quelques voies intéressantes, elle ne réussit à nous convaincre que difficilement de sa vraisemblance.
Ainsi, si Zapata a bien ébauché les principes de la révolution prolétarienne dans son pays, il faudra encore quelques années pour escompter son équivalent musical.
Pas mal, à approfondir.

JJ.

 
   
 
   

TELEFAX S/t (Dora Dorovitch/Discograph)
La musique de Téléfax n’est pas de l’ordre de l’exploitation immédiate. Elle ne s’utilise pas, elle se nourrit du temps pour nous permettre d’accéder à une dimension plus haute de sa réalité.
Perdu entre Experience, Dictaphone, Silver Mt Zion et Phonem, entre l’Allemagne de Morr / City Center Offices et l’Amérique de Constellation, Téléfax assure une jonction divine et pour tout dire inespérée.
Des titres tels que Hal tasmeouni, Our Talk, Des courbes de choses invisibles éclairent sans arraisonner l’esprit à un genre particulier. Ils reconfigurent des
schémas, ajoutant à la nature opaque, brute des ces bases l’épaisseur d’une pensée libre, d’émotions affranchies.
Une épaisseur qui nous rend paradoxalement plus léger et plus profond.
Poussières d’étoile littéraire, fragment de rock émotionnel et de folk déstructuré, univers d’abstraction et de poésie noire, Téléfax est tout cela à la fois et rien de cela dans le même temps. Un bel aparté.
JJ.

 
   
 
   

ALEXANDER PERLS Storm (Monopsone)
Après avoir fait la cour à l’axe post-électronique du collectif God Speed You Black Emperor, (Below the sea) tout en étant en tractation serrée avec l’espoir de la scène post -électronique (Team Forest), Monopsone continue de faire les yeux doux à l’international en convoquant à la barre Alexander Perls, de son vrai nom Alexander Perls (pourquoi faire compliqué…), par ailleurs membre actif du dispositif musical Icebreaker (Album sur Aesthetics).
On s’attendrait donc à une succession de climats compassés, chargés d’humidité, imprégnés de moiteur, saturés de condensation ; brouillard dense où ne filtre que la nécessité des mélodies.
Or la réalité de ce maxi est toute autre ; au travers de ce projet, Alexander Perls est déterminé à communier avec son enfance, à ébranler la gravité des ces compositions classiques, quitte à laisser transparaître une candeur excessive, une naïveté hautement abstraite.
Si l’on est un peu décontenancé au départ, la répétition des écoutes favorise l’immersion des sons et des mélodies dans notre esprit. Pêchant par un trop plein de naïveté, d’une sorte de candeur abstraite, la première écoute apporte son lot de doute et d’incertitude, de déception aussi.
Puis, progressivement, l’auditeur s’empare de certains titres, les dissèque (play-pause-introscan) les dissocie (Shuffle) et les recompose (program-repeat), les ambiances répétitives viennent pesamment se connecter à nos synapses, livrant par bribes leurs dociles décharges électriques. Un maxi qui malgré son allure un peu simple demande abnégation et écoute. Pour les fans absolus de pop !

JJ.

 
   
 
   

IMAGHO Nocturnes (FBWL)
SKETCHES OF PAIN Opal (Nabbo rec.) [mèl]
FRZ-IMAGHO Highlights (Autonome production)
[mèl]
L’esprit créateur de Jean-Louis Prades est multiple. Fractionné en trois quotités égales, chaque pan de son imagination créatrice est en soi un essai d’explication de l’ensemble.

La première [Imagho] met en relief une démarche quasi immobile, celle d’un homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure, dans ses intimes angoisses et ses doutes. C’est une histoire de répétition, de retours insistants, de séquences en échos, de contacts discrets des choses inanimées, agitations légères et profondes de la surface des choses. On retrouve sur Nocturnes la même illumination créatrice qui avait animée en son temps le Navigators Yards de Dakota Suite ou certaines pièces intimistes de O’Rourke. C’est le présent.
Au delà de cette histoire, il y a la rugosité du climat social, une histoire rythmée et violente, faite de flux impétueux et de vagues de fond... forces des profondeurs à l’œuvre, terrassement des climats dans le domaine de l’accumulation des sons.

[Sketches Of pain]
Opal est en proie à la violence tellurique des éléments, des activistes; c’est le canal historique, l’intime retraite musicale de Frank Lafaye et Jean Louis Prades, leur assourdissant refuge, proche des vents violents de Neurosis et des climats de Bastard. C’est l’héritage du passé.

Enfin, la dimension non plus de l’homme, du social, mais de l’énergie créatrice pure [Frzz-Imagho], événementielle, impalpable, fluctuante, sous-jacente, insaisissable : oscillations brèves, éphémères, variations futuristes, échos cristallins, sonorités aqueuses des profondeurs… neuf compositions d’improvisations électroacoustiques limpides et éclatantes (entre la texture du Endless Summer de Fennesz et l’esprit de perdition du Womblife de Fahey). Le climat et la dimension fugace de la raison, des rêves et des illusions.
L’avenir ? Splendide !!!!!!
JJ.

 
   
 
   

MOU, LIPS Peanuts and shells geometria [site]
(List rec/Metamkine)

L’uchronie transpose sur le plan événementiel ce que l’utopie pense sur le plan des structures politiques.
Andrea Gabriele et Emanuela de Angelis appliquent le principe de pensée qui consiste à mettre en avant une réalité improbable. Si l’esprit humain s’avère incapable d’envisager la pluralité des combinaisons, des événements possibles, l’uchronisme musical doit montrer que la liberté humaine peut introduire d’autres possibles dans le champ musical.
Les deux compositeurs prélèvent leurs sources, fruits du domaine de l’habituel, du coutumier, du fréquent et les transgressent vers celui de " l’accidentalité " pure, participant ainsi de ce mouvement.
Le développement aléatoire, la saisie conceptuelle deviennent alors outil d’interprétation de leur musique. Celle-ci désigne ici, par bribes, le récit mouvementé des procédés de collages et d’expérimentations d’un Ilpo Vaisanen, les illusions perdues d’un Fennesz [sri>zawore 5 : 28PM], la soif d’Harmonie d’un Oval ou d’un SND sur Mille plateaux… Pensez à l’image d’un bras de platine sur un disque rayé.
Tant du point de vue du genre que de son effectivité au sein des compositions de Mou, Lips, le groupe n’a de cesse de susciter interrogations, curiosité, émois. Mais n’est-ce pas là le propre d’une démarche critique ?? Artistique ?!? À découvrir.

JJ.

 
   
 
   

SCANNER + TONNE Sound polaroids
(Bip-hop/La Baleine)

Si ce ne sont quelques accidents de parcours, l’intégrité créatrice de Scanner ne se dément pas et fait autorité jusqu’à la périphérie des pôles. Sans doute est-ce dû à la haute exemplarité de ses approches, l’accumulation chronique de ses travaux et collaborations ainsi que son investissement personnel.
Tonne, pour sa part s’est épanoui dans une interprétation plus visuelle du travail sonore, multipliant les angles de comparaisons entre images et sons. Une obsession et une réflexion si intenses qu’il est le commanditaire d’un logiciel permettant une interface ludique entre ces deux médiums.
Dans l’exploration qui est faite ici, on observe un phénomène d’osmose, de symbiose assez singulier entre les deux artistes d’une part, entre les musiciens et les villes traversées, d’autre part. Ils trouvent dans la genèse du projet un sens commun à leur approche, une manière de penser et d’agir accordée ; une série de compositions qui se laisse envisager sous l’angle d’une plongée cinématique. Le procédé en est simple et peut se résumer à cette phrase : " Chaque performance est unique pour ce projet : ré-assembler les fragments d’une ville en un langage symbolique né de ces détails. " L’expérience et la sagesse accumulée de Robin [des voix] et de [a]Tonne ne laisse aucun doute quant à la puissance esthétique et conceptuelle de ce projet. Édifié comme un cheminement en autant d’escales qu’il est de titres, ce pèlerinage sonore visite le prestige des capitales. Sommairement nommé du nom des cités, le profil des morceaux compose une multiplicité d’émotions, de traits de caractères singuliers et enivrants qui, dans un contexte où tout semble noyé sous les effets de la mondialisation, nous rappelle avec bonheur que chaque ville, pour peu qu’on sache l’observer, reste unique et infalsifiable. Fabuleux !

JJ.

 
   
 
   

SALVATORE Tempo (Racing Junior/Pop lane)
Salvatore
arrive à point nommé pour briser la monotonie endémique qui s’est emparée des productions hexagonales. Loin d’afficher une quelconque prétention à endosser l’habit du meneur de scène, ils décomplexent leur musique, post-rock aérienne, volatile et saccadée, pondéré par de lents reflux de dub blanc à la faveur d’une production soignée de John Mc Entire...
On ne mentira à personne en
lançant aux vents quelques noms de circonstance pour évoquer leur musique : Ganger, Fridge, Appliance, mais surtout (j’insiste) la proximité de vue qu’ils entretiennent avec Salaryman et Genf.
On retrouve d’ailleurs pour partie les teintes qui ont fait la renommée des deux groupes sus-nommés : lentes digressions de guitare, lignes claires, rythmes de batterie expressifs et vifs, chauds, sons volatiles en perdition… Un road movie en filigrane.
L’apaisement rédige ici ses plus belles pages. La musique de Salvatore est un consensus entre deux sensations pourtant opposées ; le désir suprême de calfeutrage, de repli sur soi, et l’instinct de fuite en avant qui nous gouverne. Quelque part entre le goût de l’ignorance et la soif de connaissance ; beau et molletonné.

JJ.

 
   
 
   

VENETIANS SNARES Winter in the belly of a snake (Planet Mu/La Baleine)
Dans une époque où la seule certitude qui nous reste, c’est de ne plus en avoir aucune, où le principe du beau est battu en brèche, où les repères deviennent au mieux fluides, au pire instables, l’assurance de retrouver à échéance régulière un album de Venetians Snares est un cadeau en soi.
Aaron Funk a choisi d’assembler les courants contradictoires, les aspirations divergentes qui régissent sa création, quitte à juguler, les contraindre à se côtoyer, à infléchir simultanément leur course.
Le résultat est fascinant, puisqu’il ne s’astreint à aucune " limite " bravant à certaines occasions les interdits (ajout de voix sur des structures rythmiques en désintégration notamment).
Hautement mélodique, Winter in the belly of a snake est un raccourci entre l’instabilité rythmique d’un Richard D. James ou d’un Mike Paradinas (l’influence est palpable), la ludicité expérimentale d’un Bisk ou d’un Rom=Pari, et la profondeur atmosphérique d’un Atom Heart ou d’un Scanner.
Venitians Snares crée de belles ambiguïtés rythmiques posées sur des quintets à cordes, des convulsions de glitchs sur une planisphère analogique. Avec déjà cinq albums à son actif, dont un split en compagnie de Speedranch., Venetians Snares met en avant un autre grand phénomène de la modernité musicale, l’émancipation du rythme, la dyslexie chronique des sons, les soubresauts des lignes de basses. Hautement déstructuré et inspiré.

JJ.

 
   
 
   

ANGEL Set the volume and listen
(Bip-hop/La Baleine)

L’antigravité, la rayonnement, la création de matière, l’instabilité, les antiparticules, les particules ; l’ensemble du vocabulaire généralement consacré à l’étude des principes quantiques s’accommode volontiers des collisions atmosphériques, des phénomènes de torsion du son, d’imprévus et d’accidents auxquels se livre ce duo, Angel, composé de Ilpo Vaisänen (Pan Sonic) et de Dirk Dresselhaus (Schneider TM).
Il est ici question de brouillard d’électrons, d’attraction gravitationnelle, de nuages de bruits blancs, de saturation paradoxale et d’interférences absolues. On devine par bribes, par indices approximatifs, une voix, une réverb, un revox, un sample (Jimi de KPT Michigan), la trace d’une existence humaine et intelligible… Puis le tumulte numérique laisse place à quelques courts répits aux constructions protomélodiques, antérythmiques (Angel NR 7, Angel NR 9) qui enflent dans le temps, gagnent en intensité, redéfinissent sous forme de crachin la course illogique de la vie et l’âpreté du réel.
Un album dur, acéré, cinglant dont la philosophie prolonge sa course au-delà des aspérités de surface et de l’évidente bestialité des contreforts de l’analogique pour aborder avec un regard neuf les rapports entre l’homme et la machine, le vide et la matière, le silence comme élément coexistent du bruit. Une expérience !

JJ.

 
   
 
   

ABSTRACT KILL AGRAM Cluster ville
(Goom/Chronowax)

L’approche créatrice qui précède généralement un premier album est un bon indicateur du parti pris d’un groupe à développer ou à nier les orientations premières de sa musique. Dans le cas d’Abstract Kill Agram, l’ombre portée [créatrice] de ce second volet reconstruit les bases de l’album éponyme avec une plus grande dextérité à la délicatesse mêlée, un goût plus mesuré pour l’abstraction et une bonne dose de panache.
La dextérité, car plus que dans le précédent, la musique est libérée des contraintes techniques, des traditions et des fils blancs qui maillent leur pourtant excellent premier album (sorti chez Monopsone). L’univers cinématographique est dépassé (les samples de répliques se font plus rares), transcendé, mutilé comme sur Brouillard, suite de séquences de samples hautement ciselés.
L’abstraction qui prend ici le détour de la sérénité ; l’album est fondamentalement plus calme, plus posé, ce qui sans être regrettable nous laisse néanmoins empreint de la nostalgie de leur live tyrannique. L’utilisation en retrait des techniques hip-hop (scratch, etc.) donnant sans doute une ébauche de réponse même si d’excellents morceaux comme AC, ou Mata Hari (que n’aurait pas renié Scott Herren !) nous font mentir.
Du panache, enfin, dans leur capacité à s’aventurer, à expérimenter de nouvelles problématiques musicales comme c’est la cas sur L’oreille Droite dont le texte est tiré d’une nouvelle de James Delleck et la musique en collaboration avec Hi-Tekk et Nikk Furie.
Le souffle de la vie inonde cette cluster ville, malgré l’isolement intense et irascible suggéré par la photo. Splendide !

JJ.

 
   
 
   

V/A Battle of the Year 2002 (Urban/Tripsichord)
Initié par Thomas Hergenröther depuis bientôt treize années, Les BOTY sont devenus au fil des années, la rencontre incontournable de la cité d’Hanovre. Courte période durant laquelle le monopole de la violence légitime octroyé à la police laisse place à une bataille de clans au cœur de la ville d’un genre très spécial.

Les BOTY, sont en réalité des " contests " de hip-hop durant lesquels une profusion d’équipes, de niveau national et international aiguisent leurs techniques les plus poussées de breakdance, de skratchs, de cutmasters, dérivés étourdissants et contemporains des original B boy street funk & block party classics d’Harmless. Scratch massifs, cut-up sauvages prétexte aux jeux de prouesses corporelles, de mouvements contemporains et de gestuelles tribales de l’organisme, défiant avec une vivacité et une énergie cent fois renouvelée les principes de pesanteur de Newton.
Cet art corporel, même s’il est largement intégré à la culture hip-hop, relayé par les tenants du rap et du R’n’B, semble pourtant développer sa propre entité musicale, constituée pour partie de boucles syncopées et élastiques, d’accents funky et d’accélérations rythmiques ravageuses, de flow saccadés et tranchants, à même de sustenter les prestations des breakers internationaux. Musicalement, ça se situe, bien davantage dans la veine des productions du Grandmaster Flash, de Sugarhill Gang sous Guronsan et des constructions syntaxiques africaines, aux frontières de l’électronique, du hip-hop old school et de Scott Herren pour la touche moderne (il a d’ailleurs dû s’inspirer du genre pour ses compositions). Une forme de proto-techno chaude et sautillante, prompte aux déhanchements les plus subtils même si elle vire par moments vers des sonorités un peu putassières, attention ! Une scène dynamique où figurent : Grandwizard Thaid, Rick Ski & science fiction, Double D, Haweye, Cutmaster GB, Dynamic bass system, Muffin Tunes, Chillig, etc. À découvrir.
JJ.

 
   
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