Quels
sont les avantages et les inconvénients pour vous d’être
situés à Angoulême ?
Là,
j’aurais mauvaise conscience à dire qu’il n’y a que des inconvénients,
mais jusqu’à il y a un an il n’y avait que des inconvénients.
La ville s’en foutait royalement de nous, ce qu’on pouvait faire. Ils
ont appris un an plus tard qu’il y avait un éditeur à Angoulême
et qui en plus avait reçu un Alph’art, c’est quand même formidable.
Alors maintenant, ça a changé, donc c’est un peu délicat,
parce qu’ils semblent manifester l’envie de se bouger dans ce sens, de
manière assez notable. Ils ont construit une maison des auteurs,
etc. Mais jusqu’à l’année dernière, c’était
que des inconvénients, parce que le fait de ne pas être à
Paris, d’être un peu isolé comme ça. Bon, les imprimeurs
ils sont éventuellement moins compétents qu’ailleurs, il
faut les former pour leur faire faire ce qu’on veut, les prix sont plus
élevés, pour la diffusion on ne peut pas, n’étant
pas parisiens, c’est bien plus difficile, faut toujours passer par la
Poste, avec le problème immense que constitue la Poste et son mode
de fonctionnement parfois pas très efficace.
C’est
un gros problème d’être un éditeur en province ?
Non,
c’est pas un gros problème, simplement, non, moi, ce qui m’agaçait,
c’était quand on nous disait " ça doit vous
aider d’être dans la ville de la bande dessinée ",
sauf que jusqu’à il y a un an : zéro aide, rien. Et Angoulême
c’est la ville de la bande dessinée pendant 4 jours, c’est tout.
Comment
vous vivez le Festival ?
Si,
il y avait un seul avantage à habiter à Angoulême
et à être invité à Angoulême, c’est d’être
à Angoulême au moment du Festival, parce que on n’a pas d’hébergement
à payer aux auteurs, voilà. Et pas de déplacement.
C’est le seul avantage. Jusque là. Là, depuis un an il y
a le conseil général qui a pris en compte le fait qu’il
y avait un certain nombre de choses qui existaient et puis qu’il y avait
un éditeur, qui fonctionnait tel qu’il fonctionnait et que peut-être
il ne fallait pas négliger ça et qu’il était important
de soutenir ce genre de travail. Donc maintenant il y a des choses qui
se passent.
Est
ce que c’est pas un peu confus, tout ce grouillement d’activités
très très différentes autour de la bande dessinée ?
Il
y a grouillement d’activités au moment du salon, c’est tout. Alors
il se trouve qu’il y a un certain nombre d’auteurs de bande dessinée
qui vivent à Angoulême, mais un auteur de bande dessinée
peut vivre n’importe où ailleurs, c’est juste, bon, qu’ils se sont
retrouvés là en sortant de l’école de bande dessinée…
Vous
avez confiés votre ligne graphique à Frédéric
Poincelet…
Ouais,
c’est à dire qu’il s’est proposé très gentiment pour
faire la maquette de son ouvrage et puis comme il faisait les choses très
bien et que de par nos faibles moyens... et encore, fut un temps ou j’ai
pu faire quelques maquettes sur l’ordinateur qu’on avait à notre
disposition, qui n’était même pas le nôtre, qui nous
était prêté par Xavier Mussat, après l’ordinateur
est devenu obsolète et il n’était plus question de faire
les maquettes dessus. Je me suis retrouvé bloqué et donc
Frédéric s’est mis à faire les maquettes d’Ego comme
X, qui se trouvent être telles qu’il les a faites, extrêmement
concluantes. Et je vais continuer de lui proposer de les faire, parce
que je trouve que son travail est concluant.
Vous
avez un habillage de livres qui reflète bien votre identité.
À la fois extrêmement discret et voyant.
Ouais ?
C’est vrai. On est discret dans la pratique qu’on a de l’édition
et par contre le contenu pourrait être parfois voyant, parce qu’il
y a des choses violentes, des choses qui peuvent choquer, mais c’est pas
délibérément dans le but d’être voyant. Simplement
les choses sont telles qu’elles sont. Par exemple, la sexualité
fait partie de la vie. Il n’y a pas de raison de la cacher, donc on la
montre. Mais il n’y a pas de volonté d’être racoleur, du
tout.
Vous
abordez aussi ouvertement la difficulté à être, qui
est liée de toute façon à la sexualité…
C’est
une des choses les plus intéressantes de l’existence humaine, ouais.
Qui est un facteur de perturbation d’un grand nombre de comportements
et d’attentes, de frustrations, tout ce qu’on veut. Il ne faut pas minimiser
l’importance de la sexualité en tant qu’existentialisme. C’est
très très important. Pour tout le monde. Même ceux
qui vont dire que c’est pas la chose qui… On est assujettis. C’est très
très troublant cette problématique sexuelle.
Il
s’agit de thèmes que l’on trouve assez peu dans la bande dessinée
en général…
C’est
à dire que l’on en parle mal. On en parle par clichés, on
n’en parle pas telle qu’on la vit au quotidien. Jusque là en bande
dessinée, c’était de la sexualité fantasmée.
Et même pas des fantasmes personnels, c’est des fantasmes impersonnels,
des fantasmes formatés à but lucratif. Le fantasme aussi
est intéressant, mais dans la mesure où il est personnel,
et c’est pas quelque chose qui va être…
C’est
des thèmes qui par contre sont plus fréquents dans la littérature…
Oui,
c’est ça. Depuis très longtemps la littérature, le
cinéma parlent de ça et puis la bande dessinée a
droit, comme tout autre art de l’évoquer. C’est pas un droit, c’est
un devoir. Parce que c’est sous-jacent à toutes les créations
humaines et donc on en parle si peu, quel non-sens… C’est pas ça
parler de la vie. Parler de la vie sous toutes ses facettes, et celle-ci
aussi. Alors, oui, c’est peut être la problématique de l’image
qui fait que c’est pas si facile que ça d’en parler. C’est peut-être
moins facile qu’en littérature. Justement là où il
est difficile d’aller, il est d’autant plus nécessaire d’essayer
de s’y rendre. On n’est pas des pionniers, mais si il n’y en a pas un
certain nombre qui y vont en premier, personne n’ira jamais. Il y a la
frontière du connu et de l’inconnu, si on ne la fait pas avancer
un petit peu, pas à pas, ça n’évoluera jamais.
Ça
nous amène à deux choses : d’une part votre engagement,
votre rapport à la bande dessinée, d’autre part le rapport
que vous avez à l’écrit, à la littérature…
C’est
vrai que j’ai une culture très très littéraire. Il
ne s’agit pas de faire état de références, il s’agit
de comprendre ce que nos prédécesseurs en littérature,
ou contemporains ont fait et de prendre la marche suivante, poursuivre.
Donc les travaux en littérature, oui, il y a des pierres angulaires,
qui sont à mon sens, plus (silence)… saillantes. Plus importantes
que d’autres. Alors j’aurais envie de citer des noms…
Le
récit de vie, par exemple est un de vos axes…
Oui,
mais le nombre de fois où des gens nous ont dit " moi
je ne peux pas vous envoyer ça parce que vous vous publiez que
de l’autobiographie". Il ne s’agit pas de ça, il s’agit
qu’un récit sonne juste, ou qu’il ne sonne pas. C’est pas il sonne
faux, c’est il ne sonne pas. Soit il sonne juste et alors là la
question ne se pose pas, qu’il soit autobiographique ou non. Soit il sonne
creux et puis on l’entend même pas. Donc, non, Les sœurs zabîme
n’est pas autobiographique, un certain nombre d’ouvrages, de récits
dans Ego ne le sont pas, mais simplement si ça sonne juste,
c’est l’important. La voix intérieure, le livre de Joe Pinelli
ne l'est pas, le livre de Vanoli ne l’est pas non plus ; Nénéref
ne l’est pas non plus.
Mais
on sent la volonté de creuser, de creuser des choses qui ne sont
pas sûres. On sent la même acuité et la même
sensation d’instabilité.
Encore
une fois, essayer d’aller chercher là où ça fait
peut-être un peu mal, là où ça chatouille,
où on n’a pas envie d’aller voir. Par exemple, moi quand j’étais
adolescent, à cette période où on lit beaucoup de
bande dessinées, et puis à un moment donné dans l’existence,
on a besoin de se confronter à un certain nombre d’autres problématiques
et elles ne sont pas abordées en bande dessinée. Jusque-là
elles ne l’étaient pas, ou très très peu. Et c’est
à ce moment-là où je me suis aperçu qu’en
littérature, par contre, là c’étaient des choses
qui étaient abordées. Tout un tas de questionnements personnels
auxquels des auteurs avaient pu se retrouver confrontés avant nous.
Quand j’ai découvert Calaferte, par exemple, ça a été
important, quand j’ai découvert Léautaud, ça a été
important. Renaud Camus, ça a été important. Et je
regrettais que ce genre de choses ne se fasse pas en bande dessinée.
Et donc quand Fabrice a commencé à travailler, j’ai senti
qu’il y avait en germe ce qu’il allait faire, moi je lisais Renaud Camus
et je me dis : mais ce type il a dans les mains, avec un autre médium,
de quoi exprimer des choses profondes autant que peut le faire tel ou
tel écrivain, il est important de prendre la suite. Et donc l’attachement
à la bande dessinée, comme médium, par exemple quand
j’ai lu les premières histoires de Menu dans le premier Lapin,
c’était le début de ses récits autobiographiques,
je me suis dit : voilà. Voilà ! Je désespérais
qu’il y ait enfin ça en bande dessinée. Pour moi c’était :
on prenait la suite de Léautaud, que j’avais lu peu de temps auparavant.
Et je me disais : enfin. Enfin ! Il avait faillit être
trop tard. Et là c’était très très important
ce qu’il était en train de faire.
Quelle
a été ton rôle d’éditeur pour le journal de
Fabrice ?
Il
le raconte un peu dans le Journal I. Il avait envie de faire de
la bande dessinée, il faisait de la bande dessinée de plus
ou moins science-fiction, il mettait des choses personnelles, mais déguisées,
parce qu’il n’osait peut-être pas dire ces choses, tout simplement.
Et puis je suis tombé par hasard dans ses cartons sur des pages
de fantasmes sexuels et puis ça m’a semblé évident.
" Qu’est-ce que tu t’embêtes avec ça, là,
tu vas te taper des tonnes de pages où tu vas pouvoir, de-ci de-là
glisser un petit peu de tes préoccupations sous un brouhaha de
contingences narratives inutiles et là on aborde les choses directement,
ce qui te préoccupe directement. " Et c’est là,
quand je lui ai dit ça, il a compris qu’il avait le droit de faire
ça. Il ne savait pas que c’était possible. Peut-être
que le fait que quelqu’un lui dise " mais si, t’as le droit "
ça l’a décomplexé. Je ne saurais pas me mettre à
sa place, il faudrait lui poser la question, mais peut-être qu’il
n’avait tout simplement pas songé que c’était possible.
Voilà. Parce qu’il a été le premier, à le
faire. Un récit autobiographique à connotation homosexuelle
revendiquée, ça n’existait pas, ou alors très rarement
dans les bandes dessinées américaines underground…
Quels
sont les retours de lecteurs que vous avez ?
Toujours
positifs, parce que ceux qui prennent la plume… Évidemment on n’a
qu’une petite partie, un tout petit bout de l’iceberg. Il y a ceux qui
n’aiment pas, j’imagine, et puis il y a ceux qui aiment et qui vont vouloir
passer le stade supérieur et qui vont jusqu’à le dire, ou
l'écrire. Donc, jusque-là que des rapports positifs. Pas
de lettres d’insultes.
Je
veux dire, par rapport au fait de publier des travaux biographiques…
Ça
pose quelques problèmes à Fabrice, dans sa vie quotidienne.
Des problèmes assez considérables. Indépendamment,
effectivement, aux auteurs qui se frottent à ce genre de récit,
comme Xavier Mussat aussi, qui est obligé de renoncer à
publier des choses, parce que la personne concernée ne veut pas.
Oui, mais ça c’est ce à quoi se confrontent tous les écrivains
qui se mettent à parler d’eux, que ce soit Marc Edouard Nabe, que
ce soit Christine Angot, que ce soit Houellebecq ou Guillaume Dustan.
C’est impossible dans leur vie quotidienne, c’est très difficile
à gérer mais bon, il faut savoir où est la priorité :
est-ce que c’est le confort ou est-ce que c’est l’art ? Il y en a
qui font le choix, qui font le choix du confort, il y en a c’est le choix
de ne pas faire de lard. Moi je pense qu’il faut se mettre -c’est facile
à dire, de l’extérieur- en danger. En même temps je
ne pense pas que tu aies à être approuvé Quelque chose
que j’ai pu faire n’a pas à poser de problème.
Peux-tu
nous parler d'Essai de sentimentalisme, le projet que tu as eu
avec Frédéric Poincelet…
C’est
curieux. Un jour, on discutait, il m’a dit " tu ne voudrais
pas me proposer quelque chose ? " Effectivement, moi
qui un moment donné quand j’avais pas l’énergie de faire
les choses, moi-même, je me disais " ah, ce qui m’intéresserait
ce serait que quelqu’un se mette à faire, à mettre en scène
par exemple des extraits de mon journal ou ce genre de choses "
mais je me disais " c’est pas possible, quelqu’un ne va jamais
s’intéresser suffisamment à la vie de quelqu’un d’autre,
déjà dans la vie courante quand on raconte ne serait-ce
qu’un petit peu de ses problèmes à l’autre, ça a
vite fait de l’embêter, donc quel est le type suffisamment désintéressé
qui va consacrer une partie de son temps, de son existence à mettre
en forme l’existence de quelqu’un d’autre ? " Ça
me semblait être quelque chose d’humainement pas trouvable -je ne
sais pas si c’est un néologisme acceptable, " trouvable. "
Et puis, sans que je sollicite en aucune manière, la demande est
venue de faire ce genre de chose alors que moi j’avais renoncé
à ne serait-ce que penser que quelqu’un pourrait le faire. Parce
qu’effectivement, moi ça m’aurait libéré d’un poids.
Finalement c’est ce qui se passe. Donc effectivement on travaille ensemble
sur des récits qu’il met en images et que par sa manière
d’aborder l’entreprise apporte une distance, un humour, une émotion,
qui étaient évidement contenus dans les textes que je lui
fournissais mais qui était très bruts et qu’il fallait faire
jaillir. Il arrive à faire ça. Il arrive à faire
jaillir des choses qui étaient contenues dans les creux. Dans les
choses que je fournis il n’y a que les choses saillantes et puis entre
tout ça il y a les événements, et entre les événements
il y a les émotions qui sont associées. Et il disait l’autre
fois que ça tout le monde avait le bagage pour le lire et lui,
c’est comme un révélateur, la feuille blanche, il y a la
lumière dessus, mais il faut un révélateur qui met
à jour.
J’aimerais
qu’on parle du fonctionnement de la revue Ego Comme X. Comment
se construit-elle ? Elle semble assez thématique…
Elle
est pas thématique en fait. Encore une fois c’est cette histoire
d’autobiographie. Moi, je n’ai qu’une envie, ce serait en bande dessinée,
de faire ce que fait Rohmer au cinéma. C’est pas du tout autobiographique.
Si j’étais capable de faire de la fiction, je ferais ça.
Ça arrivera peut-être un de ces jours. C’est pas une volonté
de parler de soi, simplement, il se trouve que les gens qui ont le propos
le plus juste, le plus sensible, le plus profond émotionnellement,
c’est des gens qui vont prendre le risque de parler d’eux. Si quelqu’un
est capable de produire les mêmes sentiments avec de la fiction,
je dis banco, tout de suite. Sauf que c’est très rare, c’est très
difficile à trouver.
Est
ce que travailler sur soi est nombriliste ?
Il
m’est arrivé de faire des interventions, de parler avec des jeunes
auteurs et je leur dis " ce qui est important, c’est de faire
des choses que personne d’autre ne pourrait faire à votre place". Il
est déjà bien difficile de se connaître soi donc aller
connaître quelqu’un d’autre c’est quasiment mission impossible.
Là c’est la grande qualité des auteurs qui sont capables
de faire de la fiction si ça met en jeu des sentiments, quelque
chose qui sonne juste. Donc au lieu d’aller raconter une histoire qui
nous concerne pas et si on parlait des choses que l’on connaît –soyons
un peu humbles ! Moi je dirais plutôt que c’est être
un peu humble de se dire qu’on ne va pas connaître l’autre et l’autre
et l’autre, déjà on va commencer par soi, essayer de se
connaître soi-même et que peut-être on pourra essayer
de comprendre l’autre. Je dirais plutôt que c’est être humble
d’essayer de comprendre comment soi on fonctionne. On aura la prétention
de comprendre comment fonctionne quelqu’un d’autre. Parce que comment
on va comprendre… On ne comprend pas les chagrins d’amour des autres,
si on ne l’a pas soi-même vécu, ou tel autre drame. Il est
important d’avoir cette expérience et de l’avoir analysée
pour soi et après peut-être…
On
sent également un souci de clarté dans ce qui est publié
par Ego Comme X…
Ben
oui, c’est très important que ce soit, je ne sais pas pourquoi
mais ce qui me vient c’est " la vertu de la clarté
de la simplicité. " Non pas la simplicité
dans le sens où les choses qui sont exprimées sont simples,
mais dans le sens où elles sont exprimées clairement et
qu’il n’y ait pas de difficultés d’accès. Je trouve ça
insupportable quand une œuvre est d’un accès trop difficile, parce
que c’est pas respectueux des personnes à qui on s’adresse. Ça
veut dire, bon, voyez… Non, c’est pas respectueux. Maus, c’est
clair pour tout le monde et pourtant c’est une œuvre considérable
et ça met en jeu des problématiques les plus complexes qui
soient et pourtant c’est un langage clair. Je conseille à tous
ceux qui sont tentés de faire des choses qui ne le sont pas de
regarder ça et de se dire " et ben voilà, si
lui il a pu faire ça", traitant ce genre de problèmes
en étant clair et faire en sorte que ça s’adresse au maximum
de personnes –sans que ce soit péjoratif du tout, surtout qu’il
n’y ait pas de… Parce que souvent, soi-disant les choses un peu claires-obscures
cachent malgré tout, je suis désolé de le dire, mais
une faiblesse intrinsèque que l’auteur n’a pu résoudre que
de cette manière.
On
ne sent pas d’élitisme affiché, chez vous. Plutôt
une exigence.
Oui
c’est une exigence. Moi ça ne me gène pas si on me traitait
d’élitiste, parce que je ne vais pas comprendre forcément
le terme dans la même observation, mais non, non, c’est pas une
volonté délibéré d’être obscur.
Vous
êtes apparus au début des années 1990, en même
temps que d’autres petits éditeurs. Comment vois-tu ce courant ?
Je
trouve que c’est extrêmement vivifiant pour le médium et
pour l’expression artistique en général. Il y a eu quelques
précurseurs, qui sont des Baudoin, des Crumb, des Spiegelman, des
Forest, c’est comme ce qui s’est passé –même s’il faut se
garder des comparaisons hâtives- au cinéma. La nouvelle vague
elle avait envie d’autre chose. Il était important qu’aussi en
bande dessinée les gens aient envie d’autre chose et qu’ils puissent
le faire, parce que les éditeurs en grande majorité pensent
savoir ce que veut le lecteur. Sauf que non, malheureusement le lecteur
n’avait à sa disposition qu’un seul choix possible et que c’est
sûr, c’est toujours ça qu’ils vont acheter, qu’il n’y a qu’une
seule proposition. Là on s’aperçoit que si proposition il
y a, intérêt il y a et acheteurs il y a aussi, c’est pour
ça que maintenant ils s’intéressent un peu plus à
ce que eux ne voient être que comme une veine, qui est en fait être
autre chose que ça. C’est pas une tendance, c’est quelque chose
de fondamental, c’est ça qui va rester. Hormis les grands succès
publics, parce que là ce sera la masse qui aura parlé, c’est
ça qui va rester. C’est ça dont on va parler dans les années
à venir.
Tu
sens un mouvement global ?
Oui.
Je crois. Même s’il y a des différences, c’est sûr
que entre nous on peut critiquer un tel ou un tel sur la conception qu’ils
ont de la bande dessinée, mais il restera que face à des
gens extérieurs, toujours on défendra. Par exemple on peut
mettre le doigt sur –on va citer des éditeurs, parce qu’on ne va
pas rester dans le flou- l’Association, Amok, Fréon, alors évidemment
on se différencie et on peut critiquer la conception d’untel ou
d’untel et on peut même aussi être violent, virulent ou tout
ce qu’on veut, parce qu’on sait de quoi on parle. Par contre, à
quelqu’un qui va parler de cette mouvance générale des éditeurs
que j’ai nommé et qui sera extérieur, je les défendrai,
c’est-à-dire que je ne me poserai pas de questions, même
si je suis capable de les critiquer indépendamment, face à
une attaque extérieure je les défendrai tous, en bloc. Après
c’est histoire de nuances, il faut savoir pour quoi il faut se battre,
et avec qui.
Comment
tu vis la position qui se marque de la part du Festival d’Angoulême ?
C’est…
(soupirs) Alors Thévenet, qui est un ancien de Futuropolis, arrivant
au festival de la bande dessinée, qui fait une conférence
pour dire : nous allons recentrer le festival de sorte qu’il soit
plus grand public. Alors là, ça fait mal, ça. Quelqu’un
qui a fait ce qu’il a fait et qui en plus ait ce discours, alors que je
ne connais pas de festival de bande dessinée qui soit plus grand
public qu’Angoulême, avec des expo de Joe Bar Team, Spirou
et puis je ne sais pas quoi d’autre, à tire-larigot. Qu’est ce
que c’est que plus grand public que ça ? Il a pété
un câble…
Peut-être
les Victoires de la bande dessinée ?
Qu’est
ce que ça veut dire ? Et ce n’est pas la bonne manière
de se faire respecter. Pourquoi Cannes est respecté ? Oui,
il y a les stars, il y a tout ce dont les journaux people parlent, OK,
ils sont là, simplement, quels sont les films qui vont être
couronnés ? Ben, ils ont des choix courageux : c’est
Rosetta, c’est L’humanité. En plus sous la houlette
d’un président américain, incontestable donc, et ça
ça fait un festival respectable. Angoulême qui veut être
plus grand public, mais qu’est-ce que ça veut dire ? On peut
être grand public, on peut faire venir le plus de monde qu’on veut,
avec les têtes d’affiche qu’on veut, mais qu’on ne se trompe pas,
que les prix soient décernés justement avec discernement.
Alors pourquoi cette année, alors d’un coup d’un seul, les auteurs
n’ont pas votés pour le grand prix de la ville, comme c’était
le cas les deux années précédentes ? Parce que,
manque de chance, les gens qui font de la bande dessinée, les auteurs,
donc les gens qui seraient censés être respectés par
le Festival, par le public, par tout ça, visiblement les instances
dirigeantes du Festival ont pensé que c’était quantité
négligeable, qu’ils n’étaient pas dignes d’intérêt,
parce qu’eux, les choix qu’ils avaient fait, étaient des véritables
choix, c’est à dire c’était pas le choix du public, c’était
le choix des auteurs, de ceux qui font la bande dessinée, que les
gens admirent, il ne faut pas l’oublier. Parce que les gens qui ont voté
pour Crumb, ou pour Goossens, c’est des Bilal, c’est des Juillard, c’est
tout ça, donc. Et là, comme on leur avait fait deux fois
le coup, ben ils décident, sans demander l’avis à personne,
d’enlever le droit de vote, qu’ils avaient donné, sans que personne
ne leur demande, aux auteurs, et comme leurs choix ne correspondaient
pas à ce qu’ils escomptaient, ben on leur retire. Quel mépris,
mais quel mépris ! Je ne connais pas un seul festival pour
lequel les auteurs soient plus mal traités, ou méprisés.
Ils sont considérés comme des vaches à lait, des
machines à faire des dédicaces, des singes savants, en plus
cette année avec une organisation déplorable, déplorable.
Et puis alors les indépendants, évidemment… Ils se trompent,
ils se trompent, mais s’ils savaient à quel point ils se trompent,
je ne sais même pas si ça sert à quelque chose de
leur dire que c’est pas comme ça qu’ils seront respectés,
tellement ils se trompent. Résultat, qu’est-ce qui va se passer,
c’est qu’il va y avoir un festival off, qui va faire plus parler de lui
que le festival, et qu’ils récupéreront quand ils auront
vu que ça tourne bien, et qu’il y a plus de presse… enfin bref
je trace des plans sur la comète, mais c’est ce qui leur pend au
nez.
Pour
conclure, j’aimerais qu’on parle de comment tu vois l’évolution
d’Ego Comme X…
Ben,
moi je m’aperçois que de plus en plus ça ressemble à
une sacré vraie bonne maison d’édition (rire) et donc là
les projets sur lesquels on travaille, je m’aperçois que de plus
en plus le champ va s’ouvrir et l’exigence restera la même. Je pense
qu’on va publier de plus en plus de livres - j’espère, mais on
peut aussi bien se casser la figure, c’est tout à fait possible.
Sont sortis dernièrement quatre livres –dont une réédition
du Journal II épuisé et Ego Comme X n°7, Le
périodique n°3, un livre de Michaël Sterckeman qui s’appelle
Petits manèges, une chronique des rapports amoureux vus
par le petit bout de la lorgnette, à la manière d’un anthropologiste
avec sa loupe, qui regarde les humains se débattre dans leurs problèmes
sentimentaux, c’est un livre avec une distance très pudique et
en septembre, il y a eu un livre de Matthieu Blanchin, un comix d’une
jeune dessinatrice qui s’appelle Pauline Martin, qui était tout
à fait imprévu, qui arrive comme ça, qui est très
très bien, et puis alors des projets à plus long terme,
qui sont le livre de Xavier Mussat, le Journal de Fabrice Neaud,
le Journal IV, V, VI, etc. et puis d’autres projets dont je n’ose
pas encore parler.
À
quelle envie correspondent les comix ?
Ben,
en fait, malheureusement Ego Comme X sort de manière peu
régulière parce que souvent on n'a pas le matériel
nécessaire, pas le matériel qui nous permet de faire un
tout cohérent, donc pour les auteurs qui ont une production plus
importante, effectivement on a pensé à faire en sorte qu’ils
voient leur travail publié plus rapidement, ne pas les faire attendre
inconsidérément. Je me mets toujours à la place de
l’auteur et je sais bien qu’il est important que les choses sortent vite
après. Et donc je veux essayer de les satisfaire au mieux.
Vous
pensez continuer la revue ?
Ben
à priori ça pourrait continuer. Ça serait dommage
d’arrêter, bon, personnellement c’est une des choses les plus difficiles
à faire. Pour un livre on a un rapport avec un auteur, une revue
on a un rapport avec 15 auteurs, 15 délais différents, les
difficultés sont multipliées par 10, voilà. On a
pas l’air de s’en rendre compte, en plus c’est plus ingrat, parce que
c’est moins remarquable, malgré tout le lecteur aime bien retrouver
des choses qu’il connaît, donc c’est pour ça qu’il préfère
acheter des livres plutôt que des revues qui sont collectives, alors
qu’il est très très important que les gens puissent commencer
à publier dans des revues, soit parce que eux-mêmes ils n’ont
pas un album en préparation, ou qu’ils n’ont pas cette envie là,
mais aussi il faut permettre que le public les découvre. Alors
c’est embêtant, parce que les revues se vendent moins bien moins
que les livres, pourtant c’est indispensable. Ça a beaucoup d’inconvénients
et les avantages qui font que Ego Comme X la revue est indispensable,
ne sont pas payants à courte échéance. Alors on va
se retrouver dans la situation où ça va être comme
chez les autres : ne pourront faire des livres, que ceux qui ont
déjà été édités. Il n’y a déjà
presque plus de support de prépublication, nous c’est pas le cas,
Ego Comme X n’est pas un support de prépublication, on ne
fait pas le livre à partir des histoires qui sont parues dans Ego,
pour l’instant ça ne s’est pas fait. Les pages du Journal
qui ont été publiés dans Ego Comme X, Fabrice
les a redessinées. L’histoire qui fait 10 pages dans Ego,
elle en fait 30 dans le Journal, ça n’a rien à voir.
C’est une autre version. Et c’est la seule chose qui a été
faite de cette manière. Mais il est important que les auteurs…
Parce qu’après on va se retrouver dans la même situation
de regretter l’absence de support pour les auteurs jeunes ou moins jeunes,
je ne sais pas, qui n’ont pas l’envie de faire un album tout de suite,
et donc ils seront obligés, même chez les petits éditeurs
de faire tout de suite un album, dans lequel ils devront mettre tout ce
qu’ils savent faire, parce que sinon on ne leur donnera pas le droit de
faire autre chose, si ça a raté, personne ne leur donnera
le droit de tenter autre chose, donc c’est vraiment nécessaire
de continuer Ego, mais évidemment c’est difficile. Et puis,
je me bats contre ça, mais le lecteur va trouver une revue et puis
dedans il y a un truc qui ne lui plaît pas, ah ben il ne va pas
prendre le risque d’essayer de voir si ça peut l’intéresser
ou non, le livre, bon, c’est un auteur qui me plaît, je le sais,
j’achète, je donne le chèque en blanc, ah non, des fois
qu’on découvre quelque chose, tu te rends compte, ça fait
bien trop peur, c’est l’inconnu. Mais il faut découvrir des choses,
si on ne découvre rien, il n’y aura plus rien au final. Si un certain
nombre d’auteurs n’avaient pas commencé à publier dans Ego
dans Lapin, dans je ne sais pas quoi ils n’auraient publié
nulle part ailleurs, ils auraient pu proposer tous les projets qu’ils
veulent personne ne les aurait jamais acceptés. À commencer
par Fabrice, d’ailleurs. S’il avait proposé son projet…
Présentation
du catalogue
des éditions égo comme x (sur le site du9)
Chroniques Le
val des ânes (Matthieu Blanchin) - Petits
manèges (Michaël Sterckeman)
Interview de Frédéric
Poincelet
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