Jade :
Peux-tu définir les éditions Ego Comme X ?
Loïc
Néhou : D’entrée de jeu on a eu envie de publier
ce qui me semblait être des évidences. Voilà.
Des livres évidents pour nous. Évident qu’ils existent,
par rapport à la situation inverse qui serait qu’ils n’existent
pas si on n’était pas là. Donc : être là.
Publier des livres qui sans nous n’existeraient pas. C’est générique
comme définition. Je pense qu’on va embrayer après sur
d’autres choses qui vont, en plein ou en creux, définir quelle
est la politique éditoriale. C’est vrai que c’est difficile.
On n’a pas d’abord pensé : " qu’est-ce qu’on
va publier " ? C’était : il y a des
choses à faire. Et puis, voilà. Il faut les faire.
Comment
lies-tu le fait d’avoir une activité d’éditeur et le
fait d’avoir une activité d’auteur ?
Les
deux ne sont pas faciles à faire, parce qu’en tant qu’auteur
je suis plutôt feignant (Rires). Ça me rend malheureux
parfois. C’est une histoire d’énergie que parfois je n’ai pas
à consacrer à ça. Je le regrette.
Tu
aurais besoin, toi en tant qu’auteur de bénéficier de
l’appui que tu apportes à certains auteurs d’Ego Comme X ?
C’est
paradoxal, parce qu’effectivement, à priori j’ai tout à
ma disposition pour faire des livres. Puisque j’ai la structure qui
me permettrait de les éditer, de les diffuser, donc il ne reste
plus qu’à les faire et c’est pas ça le moins dur. Et
même quand j’ai fait des histoires, il faut que –même
si je suis le seul juge grosso modo dans la politique éditoriale
d’Ego- pour mes histoires, je suis obligé de demander à
d’autres gens si il faut vraiment les mettre, parce que je ne me sens
pas très armé pour juger de mon propre travail. Même
si j’ai une conscience de ce que je fais, c’est aussi ce qui fait
que je fasse si peu de choses, parce que le discernement que je mets
à juger le travail des autres je le mets aussi pour juger mon
travail et malheureusement je l’utilise avant que les choses soient
faites, ce qui fait que la plupart du temps ça m’empêche
de faire des choses. Par exemple j’ai remarqué qu’un certain
nombre de récits que je lis chez les autres, je me dis " c’est
drôlement bien " et puis je m’aperçois qu’à
un moment donné j’aimerais bien raconter quelque chose comme
ça et puis je ne juge pas que ça serait intéressant
si je le fais, par contre si je l’avais lu sous la plume de quelqu’un
d’autre, ça m’aurait terriblement intéressé.
C’est un petit peu problématique dans ce cas-là.
Comment,
par rapport à ça, tu vis ton travail d’éditeur,
au niveau de la relation avec les auteurs ? Est-ce que le fait que
tu sois auteur joue dans la disponibilité que tu accordes à
leur travail ? Ou est-ce que c’est une réponse à
certaines craintes que tu as, toi en tant qu’auteur ?
Je ne sais pas comment fonctionnent les autres directeurs
de collection ou éditeurs qui ne sont pas auteurs. Oui, je
suis peut-être plus à même de comprendre leurs
doutes, leurs questionnements et puis c’est vrai qu’il y a un certain
nombre d’auteurs qui ont besoin d’un échange et moi je suis
à la fois de leur côté et du mien. Des deux en
fait, parce que je ne suis pas juste celui qui fabrique des livres,
ce n’est pas ça. Peut-être que c’est différent
que les auteurs aient un interlocuteur qui dessine, mais dans le milieu
des éditeurs indépendants, les éditeurs sont
assez auteurs, donc c’est pas très singulier.
D’où
est née l’envie d’Ego Comme X ?
On était à cette époque-là
plusieurs à s’investir dans ce genre de choses, on voulait
monter une revue qui publie des choses qui nous intéressent,
qui n’étaient pas publiées ou mal publiées et
c’est comme ça qu’est née la revue Ego Comme X,
qui voulait d’emblée ne pas être un fanzine. D’emblée,
sans savoir à qui on pourrait éventuellement s’adresser,
on a choisi d’imprimer et non pas de photocopier, parce qu’on a trouvé
que ce qui était dedans c’était drôlement bien
(rire gêné) et que ça aurait été
pas rendre service aux auteurs qu’on avait contacté de juste
imprimer quelque chose en photocopie. Il fallait que ça rende
hommage aux gens qui avaient participé. Et c’est la même
chose pour ce qui concerne ensuite les livres. Quand est arrivé
le Journal de Fabrice Neaud, il travaillait dessus. Il n’y
avait pas d’autre chose à faire que de le publier. À
la création d’Ego Comme X, on avait pas forcément l’intention
de créer une maison d’édition. Ça s’est fait
naturellement. Il y a ça, il y a Nénéref,
il faut le publier. Il y a le Journal qui est là, on
va le publier. Ça s’est passé comme ça. Et dans
l’idée à chaque fois de servir au mieux les auteurs.
À chaque fois moi je suis très très soucieux
de ça. Vraiment, vraiment servir au mieux les souhaits, les
désirs de l’auteur, donc ce qui fait que nos livres ont pas
des formats pré-établis, pas de collection, parce que
les auteurs ne travaillent pas tous au même format. Un livre
est plus large que l’autre. Et donc il faut peut-être mettre
plus de blanc en bas, sur le côté et donc le travail
de l’auteur génère l’ouvrage lui-même. À
part le Journal. Mais là c’est normal, l’auteur travaille
toujours au même format. Sinon nos livres n’ont jamais le même
format.
Extérieurement,
ce n’est pas l’impression que cela donne. Peut-être parce que
l’identité des livres est fortement marquée, il se dégage
le sentiment d’une collection.
C’est bien, c’est l’identité de l’éditeur,
parce qu’elle est marquée à chaque fois. Effectivement
ça je trouve ça bien que l’identité de la maison
d’édition soit à chaque fois imprimée sur le
livre, au delà d’une mention Ego Comme X, qui souvent est parfois
très petite, discrète. Qu’on sente que ça vient
du même creuset. Et c’était Evariste Blanchet, un jour
qui m’avait dit : "Ah c’est curieux, parce que dans Ego
Comme X il y a vraiment des choses très très différentes,
mais ça forme une unité". Parce que c’est vrai
qu’entre le travail de Fabrice Neaud, qui a un dessin très
réaliste et d’autres qui ont des traits plus "underground",
de facture ça a peu de rapport, mais après c’est une
question de choix -ce n’est pas par hasard s’ils se côtoient,
c’est pas juste un collage- c’est parce que en gros c’est les goûts
de l’éditeur, et donc forcément c’est les goûts
de quelqu’un, ça ne peut pas être disparate, parce que
ça parle de lui, quoi. Effectivement, quand je choisis tel
ou tel auteur, je parle de moi. C’est à dire que c’est ce que
les gens disent à ma place.
On
va parler de cette sensibilité éditoriale. Pour moi
ce qui caractérise les ouvrages d’Ego comme X, c’est l’examen
de soi, sous des formes très différentes. Frédéric
Poincelet, Fabrice Neaud, ont des manières très différentes
de s’ouvrir au monde. D’un côté une volonté de
communication qui se fait dans la précision, de l’autre c’est
presque l’inverse.
Effectivement,
dans les choses que l’on publie, l’introspection elle est très
présente. Pour moi il n’y a pas tant de différences
que ça entre Frédéric Poincelet et Fabrice Neaud.
Ils parlent d’eux avec les moyens qu’ils ont à leur disposition.
Et c’est le moteur qui est important, ce que la personne a envie d’expulser,
de dégager, qui va faire qu’une chose est à mon sens,
intéressante ou pas. Après les moyens pour l’obtenir,
je pense qu’on a le droit de tout faire, et qu’on a opté pour
tous les moyens qu’on a à notre disposition. Graphiquement
il n’y a pas d’école à laquelle je serais plus sensible,
à partir du moment où c’est narratif et que ça
parle de l’humain, ça apporte un témoignage sur l’auteur
lui-même ou non, sur les gens qu’il côtoie, sur l’époque
qu’il traverse, sur quelque chose qui existe. Si un livre n’a pas
de succès –il se trouve que ça n’arrive pas souvent-
et que moi je continue à trouver qu’il est bon, je ne me fait
pas de bile. On le jugera dans quelques années à sa
juste valeur. Je ne flanche pas une seule seconde sur ce point.
Pour
moi ce qui vous caractérise, c’est cette forme d’engagement
intime, qui est très marquée et on sent également
une certaine violence dans l’engagement. Une forme épurée
de crudité.
Ouais.
Moi je pense effectivement, que ce qu’on ne peut pas dire, il faut
le dire. Ce dont à priori on ne serait pas en droit de parler,
je crois qu’il est important d’en parler. Je ne pense pas que ce soit
agressif, en tout cas, c’est là, c’est-à-dire que je
ne me pose pas de questions s’il se trouve que quelque chose a besoin
d’exister, je ne pense pas aux réactions. C’est là et
ça existe. Faites avec.
Je
ne vois pas ça comme agressif. Il y a un mélange de
pudeur et d’intégrité. L’engagement est très
net.
J’espère
que oui, c’est un engagement franc.
Comment
cela est venu dans votre ligne éditoriale ? Comment s’est
montée la structure à la base ? Tu étais
tout seul et tu avais décidé de publier des choses biographiques
en bande dessinée ?
Non ça ne s’est pas passé comme ça.
On était 5 auteurs, il y avait Fabrice Neaud, Xavier Mussat,
il y avait Thierry Leprévost, moi et puis est venu un peu après
Vincent Sardon. C’est vrai qu’on avait des goûts communs, on
a eu envie que ces goûts s’expriment dans une structure éditoriale.
Peu à peu, tout le monde connaît ça quand on monte
une association, chacun a trouvé ses marques. Pour certains
les marques étaient d’aller ailleurs. Fabrice maintenant ne
fait plus que travailler sur son journal, Xavier travaille sur ses
projets, Thierry fait autre chose tout en continuant à penser
à faire des choses pour Ego comme X et puis effectivement la
structure fonctionne par ma seule volonté.
Comment
s’est fait la transition entre la revue Ego Comme X, avec laquelle
vous avez commencé et l’édition de livres ?
Ça s’est fait naturellement. Aristophane publiant
dans la revue Ego Comme X, on a eu envie de faire un livre,
il a eu envie aussi, on l’a fait et puis après les projets
se sont succédés d’eux-mêmes. Le fait qu’il y
avait de plus en plus de livres en librairie faisait qu’il y avait
de plus en plus de gens qui avaient accès à notre travail,
donc finalement de plus en plus d’intérêt pour nous,
donc des propositions qui viennent s’adjoindre. Des propositions pas
forcément prévues, c’est le cas de Vincent Vanoli qui
publie dans Ego et qui un jour nous propose un livre et puis
aussi des cas d’auteurs qu’on va aller chercher. Mais moi ça
ne m’intéresse pas de juste publier un auteur pour dire :
je l’ai eu ; ça n’a aucun intérêt, l’important
c’est qu’il soit publié. S’il est publié ailleurs et
bien, c’est on ne peut mieux. On ne fait pas de tableau de chasse.
Là j’aurais envie de parler de projets qu’on a, avec des auteurs
peut-être qu’on ne va pas s’attendre à trouver chez Ego,
mais bon, comme ce n’est pas suffisamment avancé, je n’ose
pas en parler. Les choses se sont faites un peu naturellement, moi
ça m’a surpris, l’accueil des livres. Le Journal on
s’attendait à en vendre 300 et on en a vendu dix fois plus
et puis ça, ça le fait à chaque fois pour tous
les bouquins, c’est que des heureuses surprises finalement.
Comment
s’est faite la confrontation au monde de l’édition, au sens
large ?
La confrontation au monde de l’édition ? C’est-à-dire
que nous, enfin je dis toujours nous parce que j’ai vraiment l’impression
de parler pour d’autres, quand je fais le travail d’édition
que je fais, je parle pour les auteurs, je me mets à leur service,
du mieux que je peux. La confrontation au monde de l’édition,
c’était sans y penser, je suis simplement quelqu’un qui se
retrouve à éditer des livres et pas un réel éditeur.
Donc la confrontation elle est de fait. Nos bouquins se retrouvent
effectivement en librairie à côté de bouquins
édités par d’autres éditeurs, voilà. Ça
a été une heureuse surprise par rapport à l’accueil
du public, en même temps on ne peut pas dire que c’est pas difficile :
on ne vend pas énormément. Par exemple j’ai été
surpris, parce que depuis le début on fait la diffusion nous-mêmes
et curieusement quand j’ai commencé à démarcher
les libraires pour le premier numéro d’Ego Comme X,
j’ai eu aucun problème à les placer et je m’étonne
encore maintenant, rétrospectivement, de la facilité
qu’on a eue à imposer nos ouvrages. Parce que je vois avec
des questions que les gens peuvent poser, ou des personnes de structures
moins en place que nous, moi je m’aperçois qu’en fait je ne
sais plus comment je m’y suis pris, mais je n’ai pas eu de problèmes.
Ça s’est fait un peu naturellement. Mais il y a une chose à
laquelle je crois profondément c’est qu’on essaye pas de faire
des coups, je pars du principe que si le livre est bon, il parlera
de lui-même. Je le laisse faire.
C’est
vrai que vous êtes assez discrets. Pas dans les livres qui s’imposent
assez directement. Jusqu’à il n’y a pas longtemps, vous aviez
une ligne éditoriale très marquée, avec très
peu de livres, ce qui est étonnant, sans revendiquer de parti
pris.
Non,
non, on n’a pas de discours. Si le livre est bon il peut se défendre,
je lui fais confiance. Il peut se défendre de lui-même.
Non pas que ça dispense l’éditeur de faire son travail,
moi je mets un point d’honneur à mettre à la disposition
le plus possible les ouvrages, à la vue de ceux qui pourraient
être intéressés.
Qu’est
ce que c’est pour toi un livre qui te parle ?
Ben,
c’est difficile à définir. C’est un livre qui a un ton
singulier, que presque j’aurais envie d’être le seul à
l’aimer. Alors c’est un peu curieux, parce que à la limite
si j’étais le seul à l’aimer, je me dirais : celui-là
il est vraiment bien ! (rire gêné) Et c’est ce qui
s’est passé pour le Journal de Fabrice. Je n’avais aucun
doute, un insuccès total, ça ne m’aurait pas fait flancher
une seule seconde. C’est pareil pour Frédéric Poincelet.
Je crois dur comme fer au très grand intérêt de
son travail. Et on peut me faire toutes les remarques qu’on veut,
je ne vais pas cesser de le publier, il n’en est pas question. Et
même si on continue à en vendre très peu, comme
c’est arrivé, je continuerai quand même.
Chez
Ego Comme X on sent un attachement vraiment particulier aux auteurs…
Oui,
parce que quelqu’un qui travaille, qui s’exprime, qui fait une œuvre,
c’est pas seulement ce qu’on voit au travers de la feuille, c’est
aussi l’individu qu’il y a derrière et s’il fait ce qu’il fait,
c’est pas par hasard, c’est parce que l’individu lui-même est
intéressant et qu’il mérite d’être sauvé
au même titre que son œuvre. Donc, c’est pas une marchandise.
C’est curieux parce que le travail qu’on fait génère
aussi des rencontres intéressantes, pour parler de Frédéric,
c’est quelqu’un qui a envoyé ses travaux pour qu’ils soient
proposés dans Ego, je les ai reçus par la poste,
je ne le connaissais pas du tout. Je connaissais son travail un petit
peu, je l’avais vu dans Réciproquement, etc. Quand il
m’a envoyé ce qui a été publié dans Ego
N°5, ça a été l’histoire que j’ai été
le plus content de publier dans ce numéro, je savais que ça
serait la plus incomprise. Mais justement, c’est encore plus vivifiant
de s’imaginer être seul contre tous, c’est pas forcément
le cas, ce n’est pas le cas d’ailleurs.
On
sent la volonté de développer un travail éditorial
en profondeur.
Oui,
il peut arriver également qu’il y ait des auteurs qui soient
réellement infréquentables, mais ça ne va pas
nous arrêter non plus, c’est à dire que si moi je constate
que le travail est intéressant, on sera toujours là.
Ce n'est pas le cas d’Aristophane, mais c'est quelqu’un d’assez curieux,
et moi je voulais absolument qu’il sache qu’on était toujours
là, même s’il s’était passé plein de choses
dans sa vie qui lui avaient fait un petit peu changer d’approche,
on ne vas pas s’étendre sur sa situation à lui, mais
moi c’est pareil, par rapport à ça, le copinage n’a
aucune raison d’être. Pour moi, ça n’existe pas, je vais
avoir la même rigueur avec quelqu’un que je connais qu’avec
quelqu’un que je ne connais pas. Je ne sais pas si j’ai répondu
tout à fait à la question…
On
va parler du journal de Fabrice Neaud : c’est soit extrêmement
ambitieux, soit assez périlleux de se lancer dans la publication
d’un travail d’aussi longue haleine…
Ben, on ne s’est pas posé la question, encore une fois.
Mais le Journal III, avec ses 400 pages, ben il n’y avait plus
qu’une chose à faire, c’était de le publier. Très
longtemps j’avais cru que ce serait quasiment impossible, parce qu’au
début il était censé faire 250 pages, après
il en à fait 300, après 320, après 350, 370,
j’étais effrayé, et puis à un moment j'ai dit
à Fabrice, qui m'avait demandé de lui fixer des bornes,
"arrête-toi, ça serait bien qu’on ne dépasse
pas les 350. " Ce qui aurait déjà fait
péter toutes les limites, impensable, en plus à la sortie
faire en sorte que ce soit assez peu cher, 375 pages, 149 F., c’est
vraiment peu cher, parce que l’équivalent c’est Conte démoniaque,
qui coûte 100 francs plus cher. Mais bon, il y a encore une
fois cette volonté d’être au service de l’auteur, donc
si il y a 400 pages, ben il y a 400 pages, on trouvera les moyens,
voilà.
On
sent que vous n’avez pas une volonté inflatoire par rapport
aux prix…
Ben non, souvent on nous a dit : vu les livres que
vous faites, de toutes façons, y’a peu de personnes qui sont
intéressées et donc ces personnes elles le seraient
tout de même avec un livre vendu plus cher. Ils achèteraient
quand même. Mais ce qu’il y a c’est que moi aussi je suis acheteur
de livres, et j’ai un budget assez modeste et en tant que lecteur,
je me mets tout à fait dans la position de la personne qui
va se retrouver en librairie face à un ouvrage qu’il a envie
d’acheter parce que ça lui plaît et s’il n’en a pas les
moyens, ben je trouve ça dommage qu’il soit privé de
ce plaisir. Donc alors évidemment, nos prix ne sont pas définis
au hasard, ils sont calculés, mais ils essayent toujours de
faire en sorte que… Je me mets toujours dans la peau de l’acheteur :
" Combien je serais prêt à mettre pour un livre
comme ça ? " Et j’essaye de ne pas
dépasser ce seuil que je me suis fixé, donc après
c’est des batailles… J’ai changé souvent d’imprimeur, faire
jouer tout un tas de trucs…
Notamment,
pour maintenir vos prix vous avez augmenté les tirages…
Voilà, par exemple. Effectivement, Une relecture
a été tiré à 2000, on ne vendra jamais
2000 exemplaires mais bon, c’était pour pouvoir le vendre sans
perdre d’argent en imaginant qu’on vende tous les exemplaires, ce
qui est fort peu probable. Mais bon, dans ce cas là c’est à
l’éditeur de prendre le risque, c’est pas à l’auteur
parce que son livre sera moins vendable, qu’il devrait être
pénalisé en se retrouvant à avoir un livre plus
cher que les autres. Moi je m’insurge contre cette politique d’un
certain nombre d’éditeurs, qui éditaient, je ne sais
pas, Mattotti, et qui, sous prétexte qu’ils n’allaient pas
en vendre beaucoup, les mettaient à des prix exorbitants. Ben,
non, c’est pas ça qu’il faut faire, et en plus ce genre d’éditeur
pouvait très bien, ils disaient eux-même que c’était
leur danseuse, donc qu’ils assument, qu’ils le fassent jusqu’au bout,
qu’ils le fassent au même prix que les autres. Je trouve que
ce n’est pas un bon calcul.
Comment
vous avez vécu le succès du Journal ? C’est
presque un best-seller pour un éditeur de votre taille…
Ah ben, oui. Le Journal en est à sa troisième
réédition. Ben, c’était bien, parce qu’on a fait
un livre en pensant qu’à la qualité du livre, c’était
le premier livre de l’auteur, quasiment le premier livre de l’éditeur,
et il s’est retrouvé qu’avec l’impression qu’on avait que c’était
un bon livre, la preuve, c’est que c’est quelque chose qui porte ses
fruits parce que quand c’est vraiment un bon livre, c’est pas un bon
livre juste pour deux personnes, c’est un livre pour un grand nombre
de personnes. Ça s’est vérifié. En même
temps, j’ai pas été, curieusement, très surpris,
je trouvais ça formidable, même sans le prix à
Angoulême je l’aurais trouvé tout aussi bien ce livre,
ça n’aurait rien changé, effectivement c’était
important parce que ça ouvre un accès un peu plus large
pour la diffusion en librairie, bien que ça ne soit pas phénoménal,
mais effectivement, d’un seul coup d’un seul, au lendemain de l’Alph’art,
il y a toutes les Fnacs de France et de Navarre qui l’ont commandé,
indépendamment du chef de rayon, parce que jusque là
c’était très très dépendant du chef de
rayon. Le prix a fait que par la volonté nationale de la Fnac,
il fallait qu’il y ait ce livre dans toutes les Fnacs.
Comment
fonctionnez-vous économiquement ?
C’est
une association, donc jusque là les auteurs, tant que faire
se peut, sont payés en droits d’auteur. Ils ont une avance
sur les ventes, sur la moitié du tirage en général.
Ce qui est parfois conséquent, parce qu’il s’écoulera
peut-être cinq ans avant qu’on écoule ne serait-ce que
la moitié du tirage. Et en même temps c’est rien. Et
moi je sais bien que c’est rien, je fais le chèque, je vois
bien que ce n’est pas grand chose. Je sais bien ce qu’il faut pour
vivre. Et je suis très ennuyé de ne pas pouvoir faire
plus. Il se trouve que c’est une association, mais jamais on n’a mis
d’argent de notre poche, c’est les ventes du premier qui ont fait
le deuxième, qui ont fait un peu plus, etc. Et puis des prêts
du C.N.L., mais qu’on essaie de ne pas trop utiliser, parce qu’évidemment
c’est à retardement, après ça se rembourse, même
si c’est sans intérêts, et c’est très très
important de les obtenir quand on les obtient, mais il faut y faire
attention. Donc c’est les ventes et les prêts du C.N.L. qui
nous permettent de regarder un petit peu plus loin que d’attendre
que l’argent rentre, ça permet de voir un peu en avance. Et
d’ailleurs, Fabrice Neaud étant partie prenante de la maison
d’édition, il a choisit délibérément,
pour que son livre soit vendu moins cher, pour qu’il puisse avoir
le plus de lecteurs possible, de ne pas toucher de droits d’auteur
sur le tome I et le tome II.
C’est-à-dire
qu’il les touchera plus tard ou qu’il ne les touchera pas ? il
préfère que ça soit réinvesti ?
Il
préfère que ça soit réinvesti. Pour le
tome III il en touche, c’est moi qui n’ai pas voulu qu’il ne touche
pas de droits d’auteur pour cet ouvrage. Après pour la réédition
du II, je ne trouverais pas très bien qu’il ne soit pas associé
à ça, même s’il y a de sa part la volonté
de ne pas toucher d’argent, il aura quand même, comme il se
doit ses droits d’auteur.
C’est
un sacré engagement.
L.N. :
Ben, ouais. Il y avait ce livre à faire on lui a fait. Il est
sorti, il est là, dans la librairie, et puis c’est nos salades
de savoir si on va pouvoir ou non le payer, si on met en péril
la boîte…
Toi,
tu es salarié, maintenant ?
Alors
maintenant je suis salarié, ouais, mais c’est parce que ça
fait plusieurs années que je donne mon temps à Ego comme
X sans avoir aucune contrepartie financière. Effectivement,
quand je disais qu’on avait pas mis d’argent, on n’a pas mis d’argent
mais on a mis de l’énergie. Ça, ça ne se compte
pas et par contre, éventuellement, la valeur à laquelle
on pourrait monnayer ça effectivement pourrait être assez
élevée. Mais, en pratique, on n’a pas mis d’argent de
notre poche. En temps, moi j’ai renoncé à avoir des
emplois, parce que sinon je n’aurais plus eu de temps à consacrer
à Ego et je jugeais que c’était la chose la plus importante.
Là, il peut arriver que je pressente qu’il y ait un poste qui
pourrait me convenir, et qui serait payé je ne sais pas moi,
4 fois plus que ce que je pourrais gagner en étant au Smic
à Ego, mais non, ça ne m’intéresse pas. Parce
que je ne ferais plus ce qui me plaît, enfin ce qui me fait
vibrer. Alors oui, depuis le 1er mars 2000 je suis salarié
d’Ego, mais je ne sais pas combien de temps ça va durer, c’est-à-dire
que ça c’était avec l’aide d’une subvention, qui devrait
être reconduite encore deux fois, après à nous
de voir si on peut voler de nos propres ailes. Si au bout de trois
ans je m’aperçois qu’il faut soit me payer soit faire un livre,
ben j’arrêterais de me payer et je retournerai… Ça ne
fera pas un pli, le choix sera vite fait.
suite
de l'interview >>>
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