|  | Frida 
        Kahlo, une biographie surréelle 
        
 
  La 
        biographie d’artiste en bande dessinée est assez rare. L’année 
        dernière, Thierry Smolderen et Jean-Philippe Bramanti tentaient 
        une biographie en partie fictive de Winsor McCay, le créateur de 
        Little Nemo (McCay, la balançoire hantée, éditions 
        Delcourt). Leur approche mêlait fiction et repères historiques, 
        marquant explicitement la difficulté de rester dans le cadre strict 
        d’un compte-rendu historique via le médium bande dessinée. 
        On touche là à l’emprise que peut avoir la fiction sur certaines 
        formes d’arts narratifs. Or, la bande dessinée s’est déjà 
        largement plongée dans l’autobiographie, le journalisme ou les 
        contraintes formelles (tel l’Oubapo). Pourquoi ne pas franchir le pas ? 
        C’est ce que s’est dit l’auteur italien Marco Corona qui en 1998 
        proposa " une biographie surréelle " de Frida 
        Kahlo. Aujourd’hui traduit par les éditions Rackham, l’ouvrage 
        est l’occasion de se jeter avec délectation sur les traces de cette 
        véritable icône de l’art moderne, muse de tout un pays, le 
        Mexique. La vie de Frida Kahlo est déjà un poème, 
        traversé des souffrances qui parsèmeront sa vie. Atteinte 
        de poliomyélite, rescapée douloureuse d’un terrible accident 
        à l’âge de 18 ans qui l’obligera à porter, sa vie 
        durant, un corset et à subir de multiples opérations qui 
        s’achèveront par l’amputation d’une de ses jambes, elle passera 
        une partie de sa vie alitée dans une convalescence sans fin. Malgré 
        ce sort peu enviable, Frida Kahlo mènera également une vie 
        tonitruante de croqueuses d’hommes, de militante communiste puis trotskiste 
        (l’hébergeant même lors de son exil au Mexique) et d’artiste 
        de renommée internationale que soutiendra André Breton et 
        les surréalistes, souvent dans l’ombre de son mari, le tapageur 
        artiste muraliste Diego Rivera. Frida et Diego formeront un couple emblématique, 
        version amérindienne et picturale de Jean-Paul Sartre et Simone 
        de Beauvoir. Avec un dessin surprenant, tout en rondeur, Marco Corona plie le récit 
        au gré des événements ponctuant la vie de Frida, 
        contrebalançant des scènes classiques de bande dessinée 
        avec des séquences illustratives fortement symboliques, plonge 
        dans les rêves du personnage à la manière d’un journal 
        intime, cherche une écriture surréaliste rendant justice 
        à son sujet. Après un prime-abord pas forcément séduisant, 
        on s’immerge rapidement dans la succession des anecdotes et des combats 
        de la diva, efficacement rythmé par les interventions des figures 
        du siècles qui traverseront sa route. La personnalité touchante 
        de Frida Kahlo s’y dévoile avec grâce.
 JP.
  
        Le site 
        de Marco CoronaFrida Kahlo, une biographie surréelle | Marco Corona
 64 pages | 50 FF / 7, 62 Euros | éditions Rackham
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    |  | Kane 
        #1 | Bienvenue à New Eden
 
  Kane : 
        voilà une traduction originale. Le flic d’apparence impassible 
        de Paul Grist fait partie de ces comics carrément en marge 
        par rapport à ceux qui traversent couramment l’océan pour 
        débarquer en France. Kane n’a que peu à voir avec 
        la production mainstream américaine tout en reprenant certaines 
        de ses trames, telle une histoire somme toute classique de flic ré-intégré 
        dans son service (la police de New Eden -symbolisant New York-) après 
        avoir tué son équipier ! Inutile de préciser que 
        l’accueil est plutôt frais. L’adjonction d’un nouvel équipier, 
        une jeune femme qui cherche à s’imposer dans ce milieu ultra-viril, 
        ne fera que saisir davantage l’image de Kane, rongé par son passé, 
        solitaire par force autant que par expiation. Mais la série, bien 
        qu’auto-éditée par Paul Grist ne ressemble pas non plus 
        à la production indé que l’on a l’habitude d’apprécier 
        ici. La légèreté de traitement d’une intrigue façon 
        polar urbain, pleine d’humour, nous éloigne des drames fantasmatiques 
        et des ambiances plombées que l’on aurait pu lire sous la plume 
        d’un Daniel Clowes ou d’un Charles Burns. Là où on s’attend 
        à une critique engagée ou pessimiste du milieu policier, 
        on trouve finalement un ton de comédie douce amère, un soap 
        aux gags incongrus chers aux séries télés. C’est 
        tout le charme de Kane, cette approche mi-figue, mi-raisin mariée 
        à un graphisme parfois sombre, on pense à Frank Miller, 
        parfois rondouillard et enjoué à la Steve Ditko. Les décors 
        nocturnes de la ville de New Eden sont comme un décor de théâtre 
        un peu désuet, rappelant en clin d’oeil Radiant city, la cité 
        design du Mister X des Frères Hernandez. Bref, Kane reste 
        frais et léger malgré des ressorts dramatiques assez chargés 
        (rapts, attentats) et c’est toute sa force et son originalité. 
        Ce premier tome, Bienvenue à New Eden promet, même 
        s’il se laisse lire un peu trop vite, plus de pages ne l’auraient pas 
        desservi. JP.
  
         
        | extrait 
        |Kane tome 1, Bienvenue à New Eden | Paul 
        Grist
 64 pages | 88 FF/13,42 Euros | éditions La comédie Illustrée
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    |  |  | Trino, 
        ou l'aliénation et la patrouille des castors
 
  Depuis Feuerbach (1804-1872), 
        nous ne sommes pas sans ignorer que Dieu est définitivement mort. 
        L’amateur de bande dessinée sait cela aussi. Considérons 
        dès lors que ce dernier est capable de comprendre cette abstraction : 
        toute religion n’est que projection externe de l’essence de l’homme. De quel droit présumerions-nous de l’ignorance des collectionneurs 
        de Tounga ? Forçons-nous plutôt à entrevoir 
        ce singulier lectorat comme potentiellement qualifié à 
        assimiler une métalogique hégélienne un tant soit 
        peu élaborée. Persuadons-nous que le collectionneur 
        de La patrouille des Castors sait fort bien que Dieu est en réalité 
        une entité chimérique, conçue par l’homme et devenue 
        si puissante que celui-ci s’est lui-même subordonné à 
        elle, se laissant volontairement dominer et se soumettant ainsi à 
        ses propres produits, comme s’il s’agissait en réalité d’une 
        puissance étrangère... Hum ! Avouons-le tout net, il 
        serait foutrement étonnant que tout ceci réussisse un jour 
        à traverser l’intelligence d’un quelconque lecteur de Pim, Pam 
        ou Poum. Il serait bien plus convenable de laisser notre sympathique 
        lectorat à sa place et de continuer à le tenir pour ce qu’il 
        est ; un petit groupe de gens chouettes et sensas.
 Monsieur Altan (1942/20**), ironiste trévisan (et auteur 
        remarquable à ses heures comme nous le prouve la lecture de son 
        dernier ouvrage, Trino ou le journal de la Création), 
        semble également convenir de ce principe. Figurez-vous qu’il a 
        réussi, au moyen d’une vulgarisation saugrenue (une bande dessinée !) 
        à distiller malicieusement tout au long de son entreprise, les 
        bases ontologiques exposées ci-devant. Et c’est dans un élégant 
        recueil d’une petite centaine de pages (le lecteur de bande dessinée 
        n’apprécie guère les ouvrages de plus de dix mille caractères), 
        que le bédéiste transalpin nous donne à rire copieusement.
 Trino ou le journal de la Création, se présente 
        en réalité comme une succession de petits sketches (des 
        strips, nous dirait le fan). Là, Monsieur Altan nous réinvente 
        avec esprit une Genèse cocasse et hilarante, il nous réécrit 
        le Livre des Origines et la découverte de la hiérarchie 
        du Tout-Puissant n’est pas la moindre surprise du livre. Trino est 
        une bande dessinée qui ne consent pas seulement à dépeindre 
        quelques esprits bien pensés ni une ordinaire pléthore de 
        situations absurdes, c’est aussi un tableau intelligent dont certains 
        discours peuvent porter loin. Altan crée une langue indéfinissable 
        n’appartenant qu’à lui (un humour typiquement italien nous dirait 
        JP), mais qui, par son acidité et sa singularité, parvient 
        à s’imposer magistralement. Ne manquons pas de signaler aussi qu’il 
        a indubitablement fallu quelques traits d’esprit à notre aimable 
        Trévisan pour réussir à sortir de cette funèbre 
        et fantasque escroquerie intellectuelle, une oeuvre burlesque certes, 
        mais humaine et salutaire. Et Monsieur Altan se prive bien de tomber 
        dans le piège, car, au delà du Divin (le lecteur nous 
        pardonnera l’inconvenance de la formule), c’est bien sûr l’homme 
        que l’humoriste ajuste dans sa mire. L’homme dont il arrive à discerner 
        et à exagérer avec une acuité féroce, toute 
        la stupidité et l’ineffable vanité. En cela, le choix du 
        médium trouve toute sa portée et sa pertinence. Que d’autre 
        qu’une bande dessinée, littérature bâtarde vouée 
        à demeurer, probablement pour longtemps encore, l’art mineur qu’elle 
        est par essence, pouvait le mieux exposer l’inanité du sujet ? 
        Mmh ? Mais abandonnons vite ces perspectives car je devine déjà 
        les passions s’embraser. Passons sans autre transition à la facture.
 À la vue des planches épurées de Trino, 
        les plus jeunes connaisseurs de bande dessinée évoqueront 
        sans nul doute le tracé minimal d’un certain Lewis Trondheim -le 
        Trondheim des débuts, quand celui-ci savait encore insuffler une 
        once de fraîcheur à ses histoires, vous affirmeront les puristes 
        (hé oui, l’amateur de bande dessinée, lui aussi, sait se 
        faire tatillon). Mais n’oublions pas que Monsieur Altan créait 
        déjà son éclatante héroïne Ada, 
        alors que le petit Lewis n’avait pas encore la moindre plume au cul (le 
        jeune amateur de bande dessinée à l’instar du jeune dit 
        classique a également la fâcheuse tendance à 
        négliger son Histoire) ! Mais tout ceci n’est qu’insignifiance. 
        Retenez plutôt que la dernière bande dessinée de Monsieur 
        Altan est drôle, efficace et bien plus accessible que les assertions 
        de monsieur Feuerbach. Et cela, au grand soulagement du lecteur de bande 
        dessinée, Dieu soit loué !
 Monsieur.
 | 
        extrait 
        |Trino 
        ou le journal de la Création 
        | Altan
 96 pages | 69FF / 10,52 E | Ed. Rackham
 Essence du christianisme | Ludwig Feuerbach
 540 pages (écrit petit et sans dessin) | 89FF / 13,57 E | La Découverte
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