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chroniques #6
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PEEP
SHOW
Après
Seth et Chester Brown,
voici Joe Matt pour compléter le trio anglo-canadien de
choc qui fit sa petite révolution dans le monde du comics alternatif
autobiographique au milieu des années 90. Son oeuvre phare,
Peep show est enfin traduite dans la collection Tohu Bohu. Après
le raffiné et distant Seth, l’élégant Chester Brown
(Cf. chroniques #5),
autant dire que Joe Matt, lui, prend un malin et presque masochiste plaisir
à mettre les pieds dans le plat et un peu tout le reste également.
Pas d’évocation évanescente, pas de distance, Peep show
porte bien son titre. C’est cru, frontal, on lui mettrait des baffes tellement
il s’y présente dans l’exacerbation de tous ses défauts,
qu’il estime nombreux. Feignant, totalement obsédé par le
sexe, les cassettes pornos et la masturbation, profitant au maximum du
moindre de ses avantages -son statut d’auteur par exemple-, hypocrite,
couinant sur son sort, etc. Joe Matt ne nous épargnera rien et
c’est là toute la force de sa démarche. Cela rappelle les
ouvrages de Mattt Konture qui lui aussi insiste pour se mettre le plus
possible à nu dans une tentative graphique quasi-thérapeutique.
Avec Peep show, on assiste à son quotidien de glandeur de
première, de dragueur invétéré ou à
ses maladresses absolues qui confinent à la grossièreté
envers sa copine Trish. Le plus épatant dans tout ça, c’est
qu’à force de nous asséner par couches l’étendue
de ses lâchetés -dans lesquelles chacun saura reconnaître
les siennes-, on finit, entre deux rires grinçants, par le trouver
touchant et quasi-sympathique. Qu’un type qui se dévoile autant
ne peut pas avoir un si mauvais fond malgré sa récurrence
à l’auto-flagellation, est-on là aussi face à une
autobiographie thérapeutique ? Difficile cependant d’y voir
une tentative de soulagement car cette franchise, imprimée et disponible
dans les comics shop de sa ville semble lui amener les pires ennuis. Ainsi
de la représentation d’Andy et Kim, un jeune couple branché
très amateur de ses comics et qui se retrouvent quelques épisodes
plus tard portraiturés dans le rôle de fans un peu bêtes
dont Matt use et abuse, allant jusqu’à dévoiler qu’il se
taperait bien Kim et qu’Andy a l’air d’accord. Et que dire de son amour
pour la jeune Frankie qu’il cherche désespérément
à impressionner avec ses livres et son travail d’auteur tout en
la transformant en objet de fantasme dans ces derniers. Forcément,
tout ça ne peut que logiquement tourner à la catastrophe.
Au final, on se retrouve face à un livre -et un personnage- désarmant,
pas si feignant que ça à la vue de l’ampleur de son travail.
Nous aurait-il menti ? Cette thématique de dévoilement
et de mise en scène d’un entourage proche ou lointain pourra rappeler
d’autres ouvrages comme Le journal d’un Album (Dupuy et Berbérian),
Livret de phamille (Jean-Christophe Menu) ou le Journal
de Fabrice Neaud et confronte comme chez ceux-ci la bande dessinée
(et surtout son lectorat) à un espace dont elle n’a pas l’habitude.
On entre dans un espace tout à fait mature, où le sérieux
du média n’est plus une question, celui-ci devient -enfin- un pur
support aux échanges humains même si cela se passe souvent
dans un cadre polémique. Les techniques narratives, souvent largement
enrichies par ce type d’oeuvre, n'est plus une question centrale, comme
trop souvent lorsque l’on évoque la bande dessinée alternative,
niant par là l’originalité de son contenu. En cela, Peep
show est aussi une vraie réussite.
Joe Matt | PEEP SHOW |
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INCERTAIN
SILENCE Jusqu’alors
pas vraiment convaincu, je dois bien l’avouer, par les récits de
François Ayrolles, je profite de la sortie d’Incertain
Silence dans la toujours rigoureuse collection Éperluette de
l’Association pour changer mon fusil d’épaule et chanter les louanges
de cet auteur finalement très discret. L’ouvrage propose de partager
quelques moments agités du quotidien d’un peintre ambulant à
la physionomie de Buster Keaton et qui ne dira pas un mot durant tout
le récit. L’action, totalement Rocambolesque, se déroule
au début du vingtième siècle et, dans un esprit proche
des films comiques du cinéma muet. Prenant comme compagnon de route
un certain Jim, soi-disant poète mais surtout minable escroc (et
qui ressemble comme deux gouttes d’eau au Blôtch de Blutch), notre
peintre pince-sans-rire affrontera chute d’eau, voleur de chevaux, quiproquo
policier, artistes pochetrons, tombera amoureux et finalement récupérera,
par une suite de pirouettes narratives s’enchaînant sans répit,
son petit chez soi, une vieille roulotte. L’air de rien, le déroulement
graphique est impressionnant de limpidité, tout s’enchaîne,
même le plus invraisemblable, dans une redoutable logique et la
fable sociale qui se déroule au fil des pages sait être à
la fois touchante et drôle. Le dessin à l’encre de Chine,
raffiné, fait parfois penser à Muñoz ou aux premiers
ouvrages de Chauzy avec un petit plus pour la composition des images fascinante
d’élégance.
INCERTAIN SILENCE | François Ayrolles |
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LA
MEILLEURE DU MONDE Nouvelle
venue sur la scène de la bande dessinée alternative et après
un premier ouvrage remarqué, La Boîte, chez le même
éditeur Pauline Martin revient avec La meilleure du monde,
suite de saynètes de rencontres amoureuses où l’amour, justement,
semble faire souvent défaut. Quittée par son ami dans la
première histoire, l’héroïne va enchaîner les
aventures, poursuivie par une sensation de manque que ces rencontres ne
viendront pas apaiser. L’occasion de dresser des portraits de jeunes adultes
souvent cyniques ou sans réelle volonté de communication
avec l’autre. La présence de " l’autre " semble souvent
mystérieuse, les personnages impénétrables, seulement
mus par le contact physique ; la gentillesse, d’apparat, masque une
certaine indifférence et parfois la cruauté. Tout en restant
légère dans le ton, on est toujours au bord du gouffre,
Pauline Martin dresse avec La Meilleure du monde un constat douloureux
des rapports humains à l’aune de sa propre expérience et
sous sa robe bichrome vert olive et noir, l’on se prend à apprécier
la sensation de malaise qui plane sur l’ouvrage. L’univers de cet auteur
est décidément très curieux, à la fois attachant
et dérangeant et, en tous les cas, extrêmement singulier. LA
MEILLEURE DU MONDE | Pauline Martin |
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Dubuffet Pour
prolonger les plaisirs de l’ambiance de la rétrospective Jean
Dubuffet qui a lieu au centre Pompidou, ou pour ceux qui n’auront
pas la chance d’aller la voir, pourquoi ne pas se ruer sur son imposant
catalogue mi-chic, mi-cheap, l’occasion d’avoir à la maison des
reproductions d’oeuvres souvent difficilement accessibles, voire carrément
invisibles. Jean Dubuffet, façonneur de monde, expérimentateur
forcené a porté l’art brut vers le public quasiment à
lui tout seul, lui faisant -presque à contre coeur- une place de
choix dans les musées (chacun pourra en peser les avantages et
les inconvénients). Son influence sur le monde de l’image dans
de multiples domaines, y compris dans le fourmillement que constitue la
bande dessinée actuelle est toujours d’une fascinante actualité.
Quasiment 400 reproductions soigneusement imprimées donneront l’occasion
de se perdre de nombreuses heures dans ses mondes intérieurs. Quelques
textes tels ceux d’Henri Meschonnic ou d’Alexandre Vialatte apportent
des éclairages particuliers que viennent compléter les propres
écrits de Dubuffet, souvent délicieusement surannés
dans le ton. Une imposante biographie illustrée boucle ce catalogue
indispensable de liberté. Dubuffet
| COLLECTION CLASSIQUES DU XXe SIÈCLE |
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LA
LECTURE DES RUINES
Décidément,
quelle étrange fascination à David B. pour la guerre...
avec La Lecture des ruines, il convie le lecteur à un récit
d’espionnage au coeur de la première guerre mondiale, à
la recherche d’un savant farfelu et mystique, inventeur d’armes étranges
comme le canon à rêves ou les barbelés vampires. On
retrouve rapidement certains thèmes de prédilection de l’auteur
des Incidents de la nuit, dévoilant des groupes occultes
et des mondes parallèles, tournés vers des quêtes
dont l’enjeu est un mélange de nouveaux savoirs ou d’anciennes
pratiques perdues. Ces thèmes, souvent archi-rabâchés
en bande dessinée avec des yeux béats d’optimisme sont cependant
d’une noirceur implacable chez David B. où les personnages, abrupts
et cruels -qui n’auraient pas semblé étrangers à
un Hugo Pratt-, sont enracinés dans leurs calculs et savent toujours
comment foutre en l’air le moindre espoir. La confrontation, chère
à l’auteur et quasiment ritualisée dans ses fictions, oppose
ainsi deux folies, symbolisées par le canon à rêves,
qui se nourrissent l’une de l’autre. Proche d’un imaginaire enfantin surchargé
de bribes de savoir (tel qu’il se décrit lui-même dans L’Ascension
du haut-mal), où le merveilleux se noue à l’horreur
et à la violence, La Lecture des ruines explore une voie
transversale aux Incidents de la nuit plus festive et primale. David
B. | LA LECTURE DES RUINES |
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GORAZDE
2 De
cette guerre des Balkans suivie au travers des médias, dans des
grandes lignes pas toujours très claires, nous ne conserverons
en général que de vagues souvenirs d’un spectacle horrifiant.
Joe Sacco, dans la lignée de ses précédents
ouvrages, cherche à aller plus loin et a recueilli sur place, dans
l’enclave de Gorazde, les témoignages de ceux qu’il a rencontrés
et dont certains sont devenus des amis. Il en livre, avec le second et
dernier volume de Gorazde, une compilation quasiment insoutenable.
Médecins, professeurs, étudiants, paysans, tous lui racontent
comment ils ont été entraînés à prendre
part et à subir cette guerre civile, à la fois religieuse
et nationaliste. Ces témoignages rapportent des évènements
tellement abominables que cela devient vite une épreuve de finir
le livre. À la lumière de ceux-ci et de ses propres investigations,
Joe Sacco tente de démêler les fils de la politique internationale
d’alors. Cette confrontation entre réalité vécue
par les habitants de l’enclave et les méandres de la diplomatie
écoeure au plus haut point et au final l’ouvrage éteint
toute tentative de jugement moral, on en ressort blême. Ce tome
2 de Goradze est certainement le plus dur de tous les ouvrages
de Joe Sacco et désespère sur les comportements humains.
Mais comment ne pas le lire ?
Joe Sacco | GORAZDE tome 2 |
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