Un
portrait de moitié Claire
est inspiré et nourri par un conte de Philippe Dorin, Moitié
Claire qui évoque symboliquement le développement de la
sexualité d’une petite fille.
Claire a environ 35 ans et comme beaucoup de femmes aujourd’hui,
elle ne se fond pas dans le reflet sociétal du modèle féminin.
Ses compagnons sont partis les uns après les autres, elle vit
seule, et le manque affectif est au centre de sa vie. Partant
de ce présent dificille, son portrait part explorer son identité
intérieure et secrète.
Il se dessine, au fur et à mesure, en scènes successives : les
souvenirs d’enfance heureuse où elle exprime une sexualité libre
et innocente, l’abandon, les paroles maladroites de sa mère, ses
rivales, les rêves amoureux que fait Claire dans sa misère affective,
la souffrance de se sentir différente.
Ainsi, dans le portrait de Claire adulte, flotte et danse l’ombre
de Claire enfant. Le récit, en forme de monologue, s’écoule au
fil de ses pensées, sans volonté chronologique, la réalité de
Claire et son imaginaire sont indissociables. Les images se concentrent
sur Claire, elles explorent son corps, s’approchent de sa peau,
regardent l’intime, pénètrent en elle. On suit Claire dans sa
maison, dans ses longues promenades, dans les paysages mentaux
de sa solitude.
Un portrait de moitié Claire s’inscrit dans la continuité
d’autres livres de PIerre Duba comme Sans l’ombre d’un doute
et Racines, tout en s’aventurant dans des paysages plus
intimistes sur le questionnement de l’identité, de la femme et
de sa sexualité.
"...
Quand j'ai commencé ce projet, j'avais l'ambition très claire
de faire un livre mature sur la sexualité. Pour la première fois,
j'ai ressenti le besoin de travailler avec un modèle, une femme.
J'ai ouvert une porte pour essayer de regarder autrement.
J'ai regardé.
J'ai dessiné et j'ai regardé vaciller mon dessin, il flottait,
balloté entre une représentation idéalisée de la femme et cette
réalité physique, concrète du corps de Claire. Je ne voulais pas
représenter un fantasme de femme, je ne sais pas si mon dessin
y échappe, je ne mesure pas l'enjeu ni les forces qui dirige mon
regard de cet endroit. La tentation d'embellir, ou d'enlaidir,
de styliser, de représenter une 'image' de la femme est réelle
et forte. Je trouve qu'il est difficile de regarder librement,
voire impossible, je me suis arrêté en route pour finir le livre.
Mais j'ai essayé un peu.
En dessinant ce corps, en m'approchant de l'intime, je me demandais
comment regarder un sexe sans être aveuglé, comment, devant la
réalité de cette chaire si étrange, peut-être monstrueuse, pouvait
naître le désir ? De cette pâte humaine, des images sont apparus
que je ne pouvais laisser dans le livre, ne pouvant pas les assumer,
pourtant elles contiennent peut-être ce que je cherche...
Au début de ce texte je dis que j'avais l'ambition de faire un
livre mature sur la sexualité, je trouve ça quand même un peu
prétentieux de ma part, mais bon, c'est comme ça... Dans Un
portrait de moitié Claire j'aborde ouvertement le thème
de la sexualité, mais j'ai le sentiment que mes livres précédents,
sous couvert de thèmes différents, n'échappent pas à cette dimension.
Le geste de dessiner contient un mystère qui me semble être relié
profondément à la sexualité. Par ailleurs, ce n'est pas parce
que je dessine une femme nu, un homme nu, ou une scène d'amour
que je parle forcément de sexualité.
Quand je réfléchis, à ce que je voulais entreprendre dans ce livre,
je suis effrayé par la complexité de ce que j'entrevois.
Je dessine ! Je crois que le dessin me sauve de cet écrasement,
me laisse approcher cette complexité et j'espère que je laisse
dans mes livres cette complexité vivante. En peinture, autrefois
pour finir un tableau on utilisait le terme 'Achever un tableau'...
Pour ce livre j'ai utilisé des couleurs acryliques, j'arrivais
à une précision qui me surprenait, mais pour le résultat final,
je les recouvrais d'un voile très fin de papier japonais. Comme
pour atténuer la dureté du réel ? Va savoir !"
Pierre
Duba