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Hors collection |
A plusieurs milliers de kilomètres de distances, Daniel Jeanneteau et Pierre Duba entretiennent une correspondance. L'un est au Japon, étudie le Nô et décrit à l'autre son périple, qui le met en images et lui raconte, en retour ses événements quotidiens. Un voyage en forme de quête, à la recherche d'un ailleurs dissimulé en chacun de nous. |
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"Kyoto-Béziers" s'inscrit à part entière dans mon travail d'auteur de bande dessinée. Ce livre représente une étape importante et un aboutissement auquel je ne m'attendais pas. Il m'a permis et cela à mon insu, de puiser dans une expérience acquise en une quinzaine d'années de travail et de recherche, avec une liberté, qui jusqu'alors n'avait pas pu trouver son chemin. Il est vrai que ce projet s'est crée malgré moi, sans la volonté d'en faire un livre. Cette légèreté à permis une forme échappée, improvisée, à la fois étrangère et si proche de moi. Le livre existait avant qu'il ne soit écrit, la forme est apparu dans le temps de l'écriture. Il a été inspiré et déterminé dans la liberté par notre amitié réciproque et profonde. Je crois que cette dimension insaisissable donne le ton et l'ossature de "Kyoto-Béziers". Après ce voyage j'ai écrit un court texte que nous avons mis au début du récit et qui exprime je crois l'esprit de ce livre. ce livre est une bande dessinée ? / je ne sais pas / moi non plus / Daniel me dit je pars au Japon étudier le Nô / 4 mois / ça me fait peur quatre mois / et nous avons dit : si on s'écrivait chaque jour ? / ce n'est pas exactement comme ça qu'on s'est parlé, / mais c'est comme ça que j'ai entendu / il est parti / j'ai commencé à écrire et dessiner, ou bien dessiner et écrire ? / peu importe / c'est venu comme ça, sans préméditation, sans volonté, / avec la distance / avec chacun son étoile / et son voyage est devenu mon aventure, / et mon quotidien est devenu son voyage / avec la lumière d'une bougie nous avons traversé la nuit / notre souffle a pulvérisé la distance / nous étions deux étoiles soleil. Pierre Duba |
Je devais partir au Japon plusieurs mois. Avec Pierre, nous nous sommes dit, avant le départ, quon sécrirait tous les jours. Comme ça, comme une sorte de défi. Et aussi parce que javais un peu peur. Nous lavons fait. Je lui décrivais ce que je voyais, ce que je faisais. Il me répondait par des planches de BD, improvisées chaques jour, me contant sa vie sédentaire et les images du Japon que mes lettres lui suggéraient. Il en résulte une longue rêverie denviron cent quatre vingt pages qui évoque, plus que sa vie à Béziers ou la mienne à Kyoto, létonnante liberté quautorise la distance. Maurice Blanchot dit, au sujet de lamitié, que la distance est la condition de léchange. Durant ces quelques mois, à la fois trop courts et déployés en une infinité dinstants, nous avons été proches comme jamais auparavant. Lespace indéfini du monde, la nuit partagée comme la matrice de nos rêves (toujours lun veillait pendant que lautre dormait), ouvraient une intériorité aux dimensions de la planètes. Je me voyais dans léloignement de ses pages, vivant dans linconnu, inventé par lui, rêvé par lui, accompagné de lintérieur. Sans que je ne lui envoie aucune image des lieux que je traversais, Pierre en a eu la vision juste. Nous étions ensemble témoins de ces moments que je vivais seul. Étrange sensation de lautre en soi. Beaucoup de ses lettres se sont perdues en route. Certaines me sont parvenues avec plusieurs mois de retard. Se mêlant, perdant le fil de nos échanges. Ce nest quau retour que jai pu découvrir la cohérence de ce que nous avions échangés Daniel Jeanneteau
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