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JadeWeb
. Chroniques de la bande dessinée actuelle #13
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Entretiens |
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ENTRETIEN
Roberta Gregory
A
LA LOUPE
CHRONIQUES
2003
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QUARTIER
LOINTAIN t.1
On est habitué
à l'impression tranquille et sereine qui émane des ouvrages
de Jirô Taniguchi et à des récits, tels L'homme
qui marche, d'une déconcertante simplicité. Le bonhomme
excelle dans l'art de décortiquer le quotidien. Avec Quartier
lointain, le propos fictionnel semble exubérant : et si nous
pouvions réellement revivre notre adolescence ? C'est ce qui
arrive à Hiroshi, cadre quarantenaire éméché
qui se trompe de train et, croyant rentrer cher lui, se retrouve dans
la petite ville de son enfance. Profitant du fait pour aller se recueillir
sur la tombe de sa mère, le voici, soudainement et sans explication,
dans la peau de ses 14 ans. À la fois original et universel (c'est
un genre d'idée qui saura interpeller chacun), on commence par
se dire que l'on va nager en pleine science fiction et puis, non, finalement,
on renoue rapidement avec le quotidien -avec un quotidien déjà
vécu dans le cas d'Hiroshi- à la lourde différence
qu'il sait maintenant ce qu'il va traverser. La question qui enclenche
l'étonnant suspens de l'ouvrage reste bien évidemment
celle chère aux paradoxes de la science fiction : vais-je renouer
avec les mêmes choses ou la connaissance de ce que j'ai déjà
vécu va t-elle influer sur mes actions, modifiant ainsi mon avenir
? Mais Hiroshi porte en lui d'autres secrets ainsi qu'un drame familial
jamais résolu, l'occasion d'enfin les percer...
Le récit se partage alors entre le retour du personnage sur lui-même,
son passé et la quête de réponses qu'il n'a jamais
eues. On se laisse très rapidement emporter par ce récit
mystique et introspectif, laissant courir nos fantasmes sur notre propre
quête de rachat envers ce que l'on n’aurait pas soi-même
maîtrisé. Le toujours très discret et élégant
graphisme de Tanigushi disparaît par la force des évocations,
adapte la musique intérieure de nos propres souvenirs à
celle du jeune personnage. On pourra faire un parallèle avec
un film comme Le miroir d'Andreï Tarkovski, lui aussi dicté
par la rythmique du souvenir ; tout à la fois idéalisation
d'indistinctes sensations passées, que Taniguchi aborde à
travers la vision des paysages et du ciel de son enfance -reconstruction
mentale de la topographie- et fragments mnémoniques de son lien
social au monde. Les secrets de la famille d'Hiroshi viendront soutenir
le récit et se focalisant sur eux, l'auteur nous fait croire
adroitement que c'est de cela que nous attendons une révélation,
nous faisant accepter comme acquis la connaissance de la propre vie
d'Hiroshi (ce qui n'est pas le cas). Jirô Taniguchi nous propose
ainsi, au long des quelques centaines de pages une nouvelle incarnation,
une nouvelle jeunesse à la rencontre du passé, peut-être
une seconde chance ?
JP.
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[site]
QUARTIER LOINTAIN t.1 | Jirô Taniguchi
Collection Ecritures | 200 pages | 12,50 EU | éditions Casterman
ISBN 2-203-37234-6
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SIX
CENT SOIXANTE-SEIZE APPARITIONS DE KILLOFFER
Un ouvrage fou
et excentrique. Six cent soixante-seize apparitions de Killoffer
est un peu le coup de poignard dans le politiquement correct de l'année.
Si Killoffer avait souvent surpris dans des courtes histoires où
il savait mettre à nu sa nonchalance nihiliste, nonchalance qui
se confirmait hélas aussi par l'absence d'un ouvrage pleinement
abouti jusqu'à présent et loin des compilations pas forcément
convaincantes, c'est maintenant chose faite. Ce Six cent soixante-seize
apparitions de Killoffer est plus qu'un pavé dans la mare tristoune
du bon goût, c'est carrément une bombe. On retrouve à
la fois la légèreté dandyste et terriblement futile
du mâle urbain cherchant à tromper son ennui monté
en épingle autour de l'égo, ainsi qu'une angoisse destructrice
proprement vertigineuse, laissant entrevoir tous les bas-fonds du monde.
Killoffer ne s'épargne rien, endosse par la répétition
(Six cent soixante-seize !) de sa propre représentation toutes
les culpabilités avec l'élégance de ne pas en accabler
les autres. Tout au long des pages de l'ouvrage, qui rappelle autant la
collection 30 x 40 de Futuropolis -par le format- que les ouvrages du
groupe Bazooka parus dans cette même collection -par la force trangressive
et l'expérimentation graphique-, l'auteur s'observe, se scrute
et ne se rate pas. Violent, sale, scatologique, dominé tragiquement
par ses instincts sexuels, je-m'en-foutiste et la liste serait longue.
Avec une approche philosophique en forme de masse d'armes, Killoffer tape
de tout côté sur le néant qui le grignote, se vomit,
se tue, se viole, se fait la fête comme un chien accueillant son
maître, se fait ses 120 journées de Sodome dans son appartement
pour finir par expulser -le mot est idéal- une œuvre particulièrement
aboutie, dérangeante et forcément questionnante, et expérimente
la composition graphique qui saura le mieux en rendre compte. Imparable.
JP.
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SIX CENT SOIXANTE-SEIZE APPARITIONS DE KILLOFFER | Killoffer
48 pages | 28 EU | éditions L'association
ISBN 2-84414-109-9
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MISH
MASH
On ne sera jamais assez rassasié de Blutch. Avec Mish
mash, regroupant de nombreuses histoires courtes principalement parues
dans Fluide Glacial, on pourra replonger avec bonheur dans les
débuts de cet auteur hors pair. Outre l'ambiance éternellement
décalée de ses histoires mettant en scène gitans
modèles de peintres, boxeurs de théâtre, cow-boys
de cinéma après leur tournage, enfants échappés
d'un film néo-réaliste italien et autres personnages animaliers
virés par Walt Disney, il s'échappe toujours des dessins
de Blutch, au détour d'un regard, d'une posture, quelque chose
d'indéfinissable, qui échappe à la compréhension
que l'on peut avoir de l'image. Il y a un mystère Blutch comme
il y a un mystère Picasso, une grammaire ad originem dont
il semble le seul dépositaire (depuis la disparition d'Aristophane
du paysage de la bande dessinée). Mish mash regroupe seize
histoires, de 1992 à 2002, toutes somptueuses et mises en valeurs
par la beauté de l'ouvrage dont la couverture laisse sans voix.
Il ne faut donc pas rater un seul ouvrage de Blutch, même Vitesse
moderne (Coll; Air libre, éd. Dupuis), malgré le mauvais
papier d'impression et fagotté d'une tentative de mise en couleurs
hardie mais décevante.
JP.
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MISH
MASH | Blutch
120 pages | 21 EU | éditions Cornélius
ISBN 2-909990-76-1
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GARDUNO,
EN TEMPS DE PAIX
Philippe
Squarzoni s'était déjà fait remarquer dans les
sphères de la production indépendante avec Le très
jeune âge des chiens, paru en 1997 sur son propre label éditorial
Les sept piliers (nom hommage au roman de T.E. Lawrence, Les sept piliers
de la sagesse). Mais celui-ci restera confidentiel, comme ses quelques
productions suivantes mélangeant les approches créatrices
(Year 506, Sansnom). Le voici de retour, poursuivant son œuvre
toujours marquée par un profond engagement militant, avec Garduno,
en temps de paix, livre réflexion, autant constat de son lien
au monde que questionnement sur la destinée de celui-ci. L'ouvrage
retrace les années qui l'emmèneront à s'engager auprès
d'ATTAC, compile en flashback son cheminement intérieur et géographique
(membre d'une organisation non-gouvernementale en Croatie, observateur
au Chiapas, participant à une tournée en Angleterre avec
Happy Anger…), recueille impressions personnelles et témoignages
des personnes qu'il rencontre. Si cela peut sembler quelque part logique,
normal, le fait d'en rendre compte dans une bande dessinée semble
soudain très novateur. Ceux qui aiment voir la bouteille à
moitié pleine s'en féliciteront, ceux qui préfèrent
la bouteille à moitié vide continueront de pleurer sur le
statut d'OVNI de cet ouvrage. On pourra faire un rapprochement avec l'œuvre
de Joe Sacco par la gravité du propos, l'observation attentive
de situations contemporaines et graves et le rôle donné à
la bande dessinée en tant que média à l'écoute
du monde. Mais quand Joe Sacco envisage la chose tout à la fois
depuis l'œil du journaliste et de celui du scénariste, composant
un récit rythmé par une narration, Philippe Squarzoni lui
substitue la rythmique plus monocorde de l'essai et de la démonstration.
Et là est son originalité. Garduno, en temps de paix
va puiser dans l'information mondiale les corrélations nécessaires
à l'élaboration d'un constat, celui de la mondialisation
en tant que nouveau totalitarisme, qui se constitue par bribes éparses
à nos yeux de privilégiés occidentaux à l'échelle
de la planète. Philippe Squarzoni commence par mettre le doigt
là où se déroule le combat de la propagande : les
médias, l'occupation du terrain de l'information par le publi-reportage
politique dont nous vivons en ce moment avec la situation irako-étasunienne
un frappant exemple. Développant sa réflexion sur la base
des impressions et témoignages qu'il va lui-même recueillir
sur place dans les lieux de conflits, se gardant ainsi de toute attaque
sur la pertinence de ses sources, l'auteur utilise également les
possibilités de la bande dessinée pour construire des exemples
marquants. La force graphique de l'ouvrage -et le constat du rôle
de l'image tout à la fois- se situe là. On pourra juste
regretter le style assez impersonnel du dessin tout en lui reconnaissant
cette volonté de ne pas tomber dans un pathos graphique -le sujet
ne s'y prête pas-, arme habituelle des tenants de l'opinion. Ce
premier volume sera suivi d'un Zapata, en temps de guerre, titre
répondant au premier volume, tous deux correspondent à un
même lieu changeant de nom selon le moment.
JP.
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GARDUNO, EN TEMPS DE PAIX | Philippe Squarzoni
136 pages | 15 EU | éd. Requins Marteaux
ISBN 2-959095-75-5
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SOCK
MONKEY
Chouette ! Encore un
auteur complètement frappa-dingue. Avec Sock Monkey, Tony
Millionaire nous emporte dans un univers de conte rempli de personnages
étonnants et joue avec des changements d'échelle qui déstabilisent
le lecteur… et le récit. Tout d'abord, une kyrielle de personnages
inattendus : les deux protagonistes principaux sont un singe et un corbeau
soiffard, tous deux en peluche. S'adjoignent à eux, une famille
de souris malchanceuse, une chauve souris, des équipages de maquettes
de bateaux, une famille d'une maison de poupée, une tête
passée entre les mains de réducteurs de têtes, un
Trumbernick (à vos souhaits) qui vit dans l'horloge ; cet enchevêtrement
de personnages -tous insupportables- déclenche une vraie tornade
destructrice. L'univers du conte, fichtrement cruel en général,
nous évite le dépaysement. Tout ce beau monde saccage la
bâtisse victorienne qui les abrite, c'est à de vrais pugilats
d'enfants -à qui fera le capitaine et qui, le pirate- que Millionaire
nous invite, de Little Nemo à Alice en passant par
Moby Dick. Le dessin lorgne vers la gravure, l'ambiance très
fin XIXe siècle et l'accumulation des cadrages sur des
lieux décalés (l'intérieur d'une maison de poupée,
d'une horloge, un lustre) fait s'échapper nos repères :
une maquette de goélette s'anime puis nous partons sur l'océan
(à son bord ?), l'intérieur de la maison de poupée
pourrait être l'intérieur de la bâtisse où vivent
les personnages qui sont des jouets en chiffon. On change ainsi d'échelle
autant par l’agencement des cases dans les pages, parfois minuscules,
qu'avec les personnages, tel ce couple de souris vivant dans une cave
aux airs de far west. Tout concorde à n'être qu'un rêve.
JP.
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SOCK
MONKEY | Tony Millionaire
88 pages | 14 EU | éditions Rackham
ISBN 2-87827-065-7
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LE PIQUE-NIQUE
La bande dessinée Libanaise existe t-elle ? En tout cas, il y a
au moins un auteur, Mazen Kerbaj et qui produit quelques beaux
petit ouvrages dont on retiendra principalement Le pique-nique,
sortie hebdomadaire d'une famille libanaise pour aller voir heu... une
exécution. Une histoire d'a peine quelques pages, forte -très
forte- et un talent de conteur abouti soutenu par un dessin pleinement
maitrisé. On pourra aussi relever Achèvement, variation
poétique aux superbes couleurs aquarelles sur un texte de Laure
Ghorayeb. Kerbaj se présente comme un auteur original autant qu'expérimental
(avec des petits recueils comme Le point noir ou Le bout du
tunnel) mais le peu de visibilité de son travail dans son pays
ne lui rend pas justice. Vous pouvez le soutenir en le contactant par
courrier (100 rue 64 - Secteur 73 - Beyrouth LIBAN) ou par mèl.
JP.
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LE PIQUE-NIQUE | Mazen Kerbaj
20 pages | Auto-édition
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SENTIERS
BATTUS
En fait de sentiers battus, le dernier ouvrage de Vincent Vanoli
est plutôt une invite à justement en sortir. C'est dans ses
souvenirs d'enfance et d'adolescence que Vanoli nous conduit, sur le chemin
de la mémoire un peu abstraite que l'on conserve de petits évènements
anodins qui nous ont marqué profondément sur tel ou tel
détail, un paysage, une odeur, une impression de l'insouciance.
On pourra rapprocher cet ouvrage par son sujet de Quartier Lointain
de Jirô Taniguchi mais là où l'auteur japonais construit
une fiction attractive et pleine de suspens pour justifier la réflexion
sur son enfance, Vanoli livre de façon brute des scènes
éparses, sans autres
véritables
liens entre elles que sa jeunesse. Il campe les scènes -principalement
des scènes de vacances- à la manière dont on les
range dans sa mémoire : un point de départ précis
(une promenade à vélo, une randonné, un jeu de colonie
de vacances), une narration organisée autour du sentiment qui lui
reste de cet événement et une fin qui disparaît dans
un flou orchestré par les années. Il s'agit là de
bribes, d'instants fugaces et précieux, de partage de bouts de
vie tels qu'ils surgissent de son passé et qu'il commente à
la lueur du présent, fustigeant telle attitude observé,
telle petite lâcheté qu'il a lui-même commise. Une
approche minimale de l'autobiographie, chose à laquelle il n'est
pas habitué -c'est même son premier détour dans ce
genre-, sans remparts narratifs, linéaire et accidenté par
la distance. Le dessin particulièrement lâché proposé
ici, rejoint l'esprit de vagabondage qui guide le livre, et on "écoute"
ses récits comme partie prenante d'une conversation que l'on aurait
avec l'auteur, cherchant à lui faire part d'expériences
similaires.
JP.
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SENTIERS BATTUS | Vincent Vanoli
92 pages | 14 EU | éd. Ego comme X
ISBN
2-910946-33-9
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