à la loupe

le label SOFTL

Yoshi MACHIDA
Hypernatural #2
(Softlmusic)
Aki ONDA  
Precious moments 
(Softlmusic)
ALEJANDRA & AERON
Scotch monsters

(Softlmusic)
IAN EPPS
Finds the 4yearoldchild Courtside, Volume I

(Softlmusic)

www.softlmusic.com
softl music
steinle & krause
Bismarckstr. 70
50672 Cologne
Germany

andres@softlmusic.com
newsletter@softlmusic.com


Le label V/VM
Le label Z & Zoé
 

LABEL


par Julien Jaffré


Né en avril 2001 sous l’impulsion créatrice de Tom Steinle et Andrés Krause  softl music se définit comme une plateforme culturelle où intérêt pour l‘expérimentation, goût de la nouveauté, intransigeance artistique, détermination philantropique se superposent et se croisent en vue de permettre à une jeune génération de musiciens “de calcifier l’ossature transparente de leur première expérimentation sonore”.

SOFTL record a déjà, à la faveur de quatre productions, satisfait aux critères musicaux et esthétiques des plus exigeants amateurs de souffles (dis)harmoniques.
Dans l’imbroglio de galaxies de labels naissants et déclinants, il a su faire montre de son savoir-faire, de ses prises de risques, de sa capacité à occuper l’espace, à conquérir de nouveaux territoires ; aventureux, plus que prédateur.
De cette capacité à émanciper les sphères environnementales des scories qui bannent habituellement le genre, Softl donne à entendre, en un sens, une approche nouvelle, plus permissive et plus sensitive de genre estampillé électro-acoustique-atmosphérique.
Il rend ainsi lisible des pans entiers d’un spectre musical qui jusqu’alors se soustrayait à notre ouïe. Il conforte, en un sens, l’idée communément admise selon laquelle il ne saurait y avoir de plus beaux espaces sonores que dans le silence : souhaiter atteindre cet idéal, c’est déjà quelque part en comprendre la richesse.
Pour autant, le label ne se veut pas le hérault d’un ultra minimalisme dépouillé tel que le conçoit Trente Oiseaux ou 12 K, mais se révèle plus proche de l’esprit d’A Bruit secret, de Lucky Kitchen ou d’Intr_version. Sans doute cette manière d’assimiler la délicatesse est-elle sa marque de fabrique, le supplément d’âme forwardé en pièce jointe.
Ce désir intense d’abstraction trouve ses limites dans l’étude de genre orchestré par les autres labels du duo, à savoir Tomlab et bmlab ; Softl se veut une variation atmosphérique/environnementaliste des projets les plus éthérés développés sur Tomlab (Rafael Toral, notamment) et, au-delà, une forme autrement abstraite d’expressionnisme musicale.
La tyrannie des modes, la persécution des courants ne trouve ici aucun point d’ancrage, aucune faille apparente où s’immiscer, pas même de détails tangibles sur lesquels porter son attention. Dans une opposition totale, le label appose toute sa pureté originale, toute sa virginale sincérité. Des compositions qui feignent l’aspect blanchâtre de la neige tout en trahissant son caractère glacial. Il émane ainsi des productions de Softl une chaleur réservée, aérienne, éthérée, vaporeuse, un embrasement à froid ; quelque chose comme une évocation de la lumière qui n’en serait pourtant pas tout à fait une ; un écho lointain de celle-ci, une somnolence d’obscurité.
Pourtant Soft n’est pas qu’une épure esthétique, un geste artistique, une coquille vide de sens. Il reste au demeurant un laboratoire actif, un activateur de particules élémentaires qui gravitent autour d’approches plus sensitives que conceptuelle. La gradation des sensations qui active leur marche sur ce label évolue par palier successif, dans une gamme croissante de teintes chaudes. Les micro-organismes du label s’animent alors à la vie…
Ce sont deux artistes japonais qui ont inauguré l’esprit des lieux. Une approche tactile et imaginaire, naturaliste et avant-gardiste s’attachant à une dynamique tout à tour profonde et de surface, par effleurements successifs.
Plus qu’un regroupement artistique, le label a fédéré une fratrie, pour qui le sens de la beauté musicale, de la recherche narrative dans la composition n’est pas feinte.
Reste peut-être à considérer pour satisfaire aux exigences de la nature, la délicate question du plaisir.Celle des musiciens, d’une part, celle des auditeurs, d’autre part… petite revue de détail.


Le monde de l’indicible, l’ensemble des petits éléments concomitants à la trame musicale, pour discrets qu’ils soient font parti de l’œuvre. Yoshio Machida, travaille sur ces sources (cliquetis d’eau sur le galet ? Froissement de feuilles ? ), qu’elles soient radiations sonores, échos ou vibrations.
La beauté élémentaire des sons s’éveille souvent aux détours d’instants sommaires : un cillement de paupière, le frémissement d’une feuille, le chuchotement du vent. C’est de cette conception environnementale des sons que yoshio Machida a su extraire une musique contemplative.
Le thème de la fragilité de l’environnement est ici traité avec une profonde délicatesse, et un sens du juste qui dépasse l’intuition. Les titres (Radiant wind, Malaria, Valley, Deep sound Channel) viennent surligner l’atmosphère hautement “naturelle” qui s’en dégage.  Quelques propositions sonores de ce que devrait être le monde, de ce qu’il serait peut-être, dénué de présences humaines (l’idée de traces paléontologiques du son) ou simplement une interprétation de ce que l’auteur en retient… Personne ne peut vraiment le savoir.
L’illusion et la suggestion sont les sources de prédilections du monde de Yoshio Machida.
 “la chose importante n’est pas simplement d’écouter les sons, mais aussi de sentir les choses qui s’y cachent derrière.”
Alors que Francisco Lopez ou Aube reconstruisent une image à partir de sources sonores diverses (samples collages, effets concrets) Yoshi Machida joue le jeu du trompe-l'œil, des faux-semblants avec sa musique électroacoustique qui nous laisse entendre des choses qui ne sont pas… Au-delà du naturel…


Aki Onda s’est établi à la périphérie de l’humanité, dans un lieu où il tente de faire survivre la matérialisation d’échos sonores, où il égrène avec quiétude une gamme d’effets spartiates de guitares, d’un chapelet cristallin d’arpège acoustique, fondue dans la maîtrise d’ondes électroconcentriques. il déploie une corporéité, une identité à ce dernier, apposant un canevas électronique teintées d’effets organiques à l’ossature.
Compositeur émérite, il a approfondi l’étude de la musique électroacoustique dans divers styles, offrant des apartés sublimes au genre folk, au blues ou à l’électronique, noyé aux confins d’atmosphère vaporeuse dont seul le pays du soleil levant a le secret. Des curieux en tout genre sont venus collaborer par le passé à ses travaux, depuis Yamatsuka Eye à Nobukazu Takemura ou encore SFT, Steven Berstein ou Blixa Bergeld….
Après 5 années passées au sein d’Audio Sport, il choisit en 1996 une voix plus introspective et solitaire, sans fard ni masque, avec pour seul bagage la simple nudité de sa composition : 3 albums édités chez All Acces, EWE rec,et à présent Softl.
Cette seconde production du label est lunaire et poétique. Elle dresse sur le temps bref de l’album, un portrait assez juste de son auteur (dont une coproduction de Kazutoki Umezu sur Toward a place in the sun) ; assemblage de perceptions intimes et d’expressions libres, d’érudition discrète et de sagesse consommée, d’échos traditionnels et de rumeurs futuristes ; un monde où la clarinette arpente avec quiétude les plaines désertées chères à Taku Sugimoto, john Fahey, Arild Andersen, nobukazu Takemura. Un folk éthéré à l’excès qui aurait préféré l’horizon au sommet. ; du vent qui se serait pris dans les cheveux d’une jolie fille…


Alejandra & Aeron, quant à eux continuent à glisser sur le câble tendu au dessus du vide d’une musique atmosphérique à la fois pastorale et intimiste mêlant quiétude, paix intérieure et sérénité. Les funambules Américano-espagnole transigent toujours avec un à-propos magnifique. Ils exaltent les éléments du quotidien, les infimes détails de l’existence pour en faire émerger une poésie abstraite, une spiritualité surprenante et filiforme. Ce sont les spectres, revenants et autres esprits qui leur donnent cette fois-ci le prétexte à l’expression musicale qui nous a ravies par le passé sur Lucky Kitchen.
Alejandra & Aeron Bergman s’attachent ici à fouiller, à creuser les plis de l’air écossais pour y entrevoir (y entendre) les spectres anciens de ces terres antiques. Partis de contes et de légendes, selon lesquels, en plus de hanter les demeures, chaque fantôme régit sa propre gamme de sonorités au contact de l’air en se déplaçant, ils ont enregistré patiemment au long de ces 18 pièces, ce qui leur semblait être le passage de revenants. Ces compositions musicales ne manquent évidemment pas d’esprits; elles revendiquent volontiers une part d’étrange beauté, constituée pour partie de tremblements, de micro-événements, de glissements d’air, de souffles imperceptibles et de petites mélodies en retrait. C’est incontestablement superbe, comme tout ce que touche le couple et absolument indispensable à toute recherche du bonheur.
Des pièces atmosphériques et minimalistes, évanescentes par nature, suggestions d’effets plus proches du document sonore environnemental (comme c’est le cas pour Scotch Spirits) que de l’interprétation classique.


Ian Ellps, pour sa part, affectionne les distances intérieures, parcoure les synapses et les liaisons méandriques du système nerveux de l’enfance au travers d’un travail empathique.
Il laisse l’irrationnel et le surnaturel de côté pour axer sa démarche sur les terrains de l’étude comportementale et des techniques issues du documentaire (psychanalytique). En appliquant une forme d’entropie sur l’auditeur (on se retrouve dans la peau d’un enfant de 4 ans), il sort nos anatomies de leur contexte, invitant nos esprits à quitter un temps nos corps et la certitude de leur existence. Une petite symphonie de l’enfance, légère et douce, à porté de mains d’un Isan et d’apartés électro-ludo-acoustiques  soyeuses. Très beau !!


La force de ce label réside avant tout dans le choix d’artistes prédestinés à la transversalité artistique comme expression, une sorte de “rationalisation poétique” de l’existence et une interrogation perpétuelle (une ré-interprétation) de ce qui nous entoure…
A titre de conclusion, distinguer l’esthétisme céleste apporté aux albums : évoquant le souci artistique d’un label tel que Bronbron, les pochettes se déclinent comme un entrelacs complexe de pliages, une sorte de sédimentation de feuillets cartonnés disposés en accordéon, savamment agencé -labyrinthe imprimé de papier recyclé- avec toujours, en repère, deux légers bandeaux soulignant l’identité de chaque artiste et de leur pensée singulière et radicale, prolongement graphique d’une musique qui ne se laisse pas découvrir avec facilité.