Né
en avril 2001 sous l’impulsion créatrice de Tom Steinle et Andrés
Krause softl music se définit comme une plateforme culturelle où
intérêt pour l‘expérimentation, goût de la nouveauté, intransigeance
artistique, détermination philantropique se superposent et se croisent
en vue de permettre à une jeune génération de musiciens “de calcifier
l’ossature transparente de leur première expérimentation sonore”.
SOFTL
record a déjà, à la faveur de quatre productions, satisfait aux
critères musicaux et esthétiques des plus exigeants amateurs de
souffles (dis)harmoniques.
Dans
l’imbroglio de galaxies de labels naissants et déclinants, il a
su faire montre de son savoir-faire, de ses prises de risques, de
sa capacité à occuper l’espace, à conquérir de nouveaux territoires ;
aventureux, plus que prédateur.
De
cette capacité à émanciper les sphères environnementales des scories
qui bannent habituellement le genre, Softl donne à entendre, en
un sens, une approche nouvelle, plus permissive et plus sensitive
de genre estampillé électro-acoustique-atmosphérique.
Il
rend ainsi lisible des pans entiers d’un spectre musical qui jusqu’alors
se soustrayait à notre ouïe. Il conforte, en un sens, l’idée communément
admise selon laquelle il ne saurait y avoir de plus beaux espaces
sonores que dans le silence : souhaiter atteindre cet idéal,
c’est déjà quelque part en comprendre la richesse.
Pour
autant, le label ne se veut pas le hérault d’un ultra minimalisme
dépouillé tel que le conçoit Trente Oiseaux ou 12 K, mais se
révèle plus proche de l’esprit d’A Bruit secret, de Lucky Kitchen
ou d’Intr_version. Sans doute cette manière d’assimiler la délicatesse
est-elle sa marque de fabrique, le supplément d’âme forwardé en
pièce jointe.
Ce
désir intense d’abstraction trouve ses limites dans l’étude de genre
orchestré par les autres labels du duo, à savoir Tomlab et bmlab ;
Softl se veut une variation atmosphérique/environnementaliste des
projets les plus éthérés développés sur Tomlab (Rafael Toral, notamment)
et, au-delà, une forme autrement abstraite d’expressionnisme musicale.
La
tyrannie des modes, la persécution des courants ne trouve ici aucun
point d’ancrage, aucune faille apparente où s’immiscer, pas même
de détails tangibles sur lesquels porter son attention. Dans une
opposition totale, le label appose toute sa pureté originale, toute
sa virginale sincérité. Des compositions qui feignent l’aspect blanchâtre
de la neige tout en trahissant son caractère glacial. Il émane ainsi
des productions de Softl une chaleur réservée, aérienne, éthérée,
vaporeuse, un embrasement à froid ; quelque chose comme une
évocation de la lumière qui n’en serait pourtant pas tout à fait
une ; un écho lointain de celle-ci, une somnolence d’obscurité.
Pourtant
Soft n’est pas qu’une épure esthétique, un geste artistique, une
coquille vide de sens. Il reste au demeurant un laboratoire actif,
un activateur de particules élémentaires qui gravitent autour d’approches
plus sensitives que conceptuelle. La gradation des sensations qui
active leur marche sur ce label évolue par palier successif, dans
une gamme croissante de teintes chaudes. Les micro-organismes du
label s’animent alors à la vie…
Ce
sont deux artistes japonais qui ont inauguré l’esprit des lieux.
Une approche tactile et imaginaire, naturaliste et avant-gardiste
s’attachant à une dynamique tout à tour profonde et de surface,
par effleurements successifs.
Plus
qu’un regroupement artistique, le label a fédéré une fratrie, pour
qui le sens de la beauté musicale, de la recherche narrative dans
la composition n’est pas feinte.
Reste
peut-être à considérer pour satisfaire aux exigences de la nature,
la délicate question du plaisir.Celle des musiciens, d’une part,
celle des auditeurs, d’autre part… petite revue de détail.
Le
monde de l’indicible, l’ensemble des petits éléments concomitants
à la trame musicale, pour discrets qu’ils soient font parti de l’œuvre.
Yoshio Machida, travaille sur ces sources (cliquetis d’eau
sur le galet ? Froissement de feuilles ? ), qu’elles
soient radiations sonores, échos ou vibrations.
La
beauté élémentaire des sons s’éveille souvent aux détours d’instants
sommaires : un cillement de paupière, le frémissement d’une
feuille, le chuchotement du vent. C’est de cette conception environnementale
des sons que yoshio Machida a su extraire une musique contemplative.
Le
thème de la fragilité de l’environnement est ici traité avec une
profonde délicatesse, et un sens du juste qui dépasse l’intuition.
Les titres (Radiant wind, Malaria, Valley, Deep sound Channel)
viennent surligner l’atmosphère hautement “naturelle” qui s’en dégage.
Quelques propositions sonores de ce que devrait être le monde, de
ce qu’il serait peut-être, dénué de présences humaines (l’idée de
traces paléontologiques du son) ou simplement une interprétation
de ce que l’auteur en retient… Personne ne peut vraiment le savoir.
L’illusion
et la suggestion sont les sources de prédilections du monde de Yoshio
Machida.
“la
chose importante n’est pas simplement d’écouter les sons, mais aussi
de sentir les choses qui s’y cachent derrière.”
Alors
que Francisco Lopez ou Aube reconstruisent une image à partir de
sources sonores diverses (samples collages, effets concrets) Yoshi
Machida joue le jeu du trompe-l'œil, des faux-semblants avec sa
musique électroacoustique qui nous laisse entendre des choses qui
ne sont pas… Au-delà du naturel…
Aki
Onda s’est établi à la périphérie de l’humanité, dans un lieu
où il tente de faire survivre la matérialisation d’échos sonores,
où il égrène avec quiétude une gamme d’effets spartiates de guitares,
d’un chapelet cristallin d’arpège acoustique, fondue dans la maîtrise
d’ondes électroconcentriques. il déploie une corporéité, une identité
à ce dernier, apposant un canevas électronique teintées d’effets
organiques à l’ossature.
Compositeur
émérite, il a approfondi l’étude de la musique électroacoustique
dans divers styles, offrant des apartés sublimes au genre folk,
au blues ou à l’électronique, noyé aux confins d’atmosphère vaporeuse
dont seul le pays du soleil levant a le secret. Des curieux en tout
genre sont venus collaborer par le passé à ses travaux, depuis Yamatsuka
Eye à Nobukazu Takemura ou encore SFT, Steven Berstein ou Blixa
Bergeld….
Après
5 années passées au sein d’Audio Sport, il choisit en 1996 une voix
plus introspective et solitaire, sans fard ni masque, avec pour
seul bagage la simple nudité de sa composition : 3 albums édités
chez All Acces, EWE rec,et à présent Softl.
Cette
seconde production du label est lunaire et poétique. Elle dresse
sur le temps bref de l’album, un portrait assez juste de son auteur
(dont une coproduction de Kazutoki Umezu sur Toward a place in
the sun) ; assemblage de perceptions intimes et d’expressions
libres, d’érudition discrète et de sagesse consommée, d’échos traditionnels
et de rumeurs futuristes ; un monde où la clarinette arpente
avec quiétude les plaines désertées chères à Taku Sugimoto, john
Fahey, Arild Andersen, nobukazu Takemura. Un folk éthéré à l’excès
qui aurait préféré l’horizon au sommet. ; du vent qui se serait
pris dans les cheveux d’une jolie fille…
Alejandra
& Aeron, quant à eux continuent à glisser sur le câble tendu
au dessus du vide d’une musique atmosphérique à la fois pastorale
et intimiste mêlant quiétude, paix intérieure et sérénité. Les funambules
Américano-espagnole transigent toujours avec un à-propos magnifique.
Ils exaltent les éléments du quotidien, les infimes détails de l’existence
pour en faire émerger une poésie abstraite, une spiritualité surprenante
et filiforme. Ce sont les spectres, revenants et autres esprits
qui leur donnent cette fois-ci le prétexte à l’expression musicale
qui nous a ravies par le passé sur Lucky Kitchen.
Alejandra
& Aeron Bergman s’attachent ici à fouiller, à creuser les plis
de l’air écossais pour y entrevoir (y entendre) les spectres anciens
de ces terres antiques. Partis de contes et de légendes, selon lesquels,
en plus de hanter les demeures, chaque fantôme régit sa propre gamme
de sonorités au contact de l’air en se déplaçant, ils ont enregistré
patiemment au long de ces 18 pièces, ce qui leur semblait être le
passage de revenants. Ces compositions musicales ne manquent évidemment
pas d’esprits; elles revendiquent volontiers une part d’étrange
beauté, constituée pour partie de tremblements, de micro-événements,
de glissements d’air, de souffles imperceptibles et de petites mélodies
en retrait. C’est incontestablement superbe, comme tout ce que touche
le couple et absolument indispensable à toute recherche du bonheur.
Des
pièces atmosphériques et minimalistes, évanescentes par nature,
suggestions d’effets plus proches du document sonore environnemental
(comme c’est le cas pour Scotch Spirits) que de l’interprétation
classique.
Ian
Ellps, pour sa part, affectionne les distances intérieures,
parcoure les synapses et les liaisons méandriques du système nerveux
de l’enfance au travers d’un travail empathique.
Il
laisse l’irrationnel et le surnaturel de côté pour axer sa démarche
sur les terrains de l’étude comportementale et des techniques issues
du documentaire (psychanalytique). En appliquant une forme d’entropie
sur l’auditeur (on se retrouve dans la peau d’un enfant de 4 ans),
il sort nos anatomies de leur contexte, invitant nos esprits à quitter
un temps nos corps et la certitude de leur existence. Une petite
symphonie de l’enfance, légère et douce, à porté de mains d’un Isan
et d’apartés électro-ludo-acoustiques soyeuses. Très beau !!
La
force de ce label réside avant tout dans le choix d’artistes prédestinés
à la transversalité artistique comme expression, une sorte de “rationalisation
poétique” de l’existence et une interrogation perpétuelle (une ré-interprétation)
de ce qui nous entoure…
A
titre de conclusion, distinguer l’esthétisme céleste apporté aux
albums : évoquant le souci artistique d’un label tel que Bronbron,
les pochettes se déclinent comme un entrelacs complexe de pliages,
une sorte de sédimentation de feuillets cartonnés disposés en accordéon,
savamment agencé -labyrinthe imprimé de papier recyclé- avec toujours,
en repère, deux légers bandeaux soulignant l’identité de chaque
artiste et de leur pensée singulière et radicale, prolongement graphique
d’une musique qui ne se laisse pas découvrir avec facilité.
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