Père Ubu

Ce n'est qu'à Cleveland (Ohio), ville de l'industrie lourde, que pouvait naître le rock dissonant et désespéré de Pere Ubu. C'était en 1975, dans une Amérique qui allait passer en deux ans des vapeurs du rock progressif à l'urgence du punk-rock, puis au malaise de la new-wave. Vingt ans et dix albums plus tard, le groupe de David Thomas, à défaut d'avoir pu comme il le désirait "révolutionner le rock", lui aura fourni quelques-uns de ses plus beaux frissons. A l'heure où un coffret 5CD, Datapanik in the Year Zero, récapitule ce que beaucoup, de Deus à Frank Black , ont déjà repris à leur compte, retour sur un parcours chaotique mais d'une intégrité exemplaire.
(Davis Thomas)

Je n'écoutais pas beaucoup de musique étant enfant. Le premier morceau dont je me souviens est Sloop John B. par le Kingston trio. Mon père était professeur d'anglais et cultivait un coté beatnick. Il ne l'était pas vraiment, mais les enseignants de cette époque aimaient bien se faire passer pour des beatnicks. Il écoutait souvent les disques du Kingston Trio, Ken Nordine et Lenny Bruce. Je ne comprenais pas grand chose à la musique rock. Dans les années 60, j'étais un étudiant qu'on pouvait qualifier d'intellectuel. Je me souviens avoir trouvé Sounds of silence de Simon et Garfunkel trop rock pour moi. J'étais plutôt normal à cette époque. Le déclic s'est produit un été. Un ami et moi, nous nous sommes trouvés à tourner un petit film. Lui écoutait beaucoup Zappa et Beefheart. C'est lui qui m'a fait découvrir Uncle Meat ,un disque que j'ai trouvé plutôt intéressant. J'ai dû acheter Hots Rats à sa sortie, puis tout ce que j'ai pu trouver de Zappa et de Beefheart. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai découvert des groupes comme le Velvet Underground, les Kinks ou Pink Floyd, grâce à d'autres membres de Pere Ubu. Pour moi, il n'y avait guère que Beefheart, Can, les Stooges ou le MC5 qui comptaient. Des influences intéressantes à marier.

Jade : Tu étais dès le début intéressé par des gens qui se démarquaient du format pop.
Je n'ai jamais fait de différence entre ce qui était pop et ce qui ne l'était pas. Syd Barrett, Can ou Brian Wilson, c'est la même chose pour moi. Nous avons eu la chance aux Etats-Unis de ne jamais avoir le phénomène de "musique pour teenagers" comme on a pu le voir en Angleterre.

Quand as-tu décidé de passer du stade d'auditeur à celui de musicien ?
En 73 je crois. J'ai écrit pendant un moment dans un hebdo culturel comme on peut en trouver dans toutes les grandes villes du monde. J'aurai bien voulu devenir journaliste, mais j'avais laissé tomber la fac très tôt. Alors j'ai pris la première place que j'ai trouvé, à la maquette. Le journal a eu un jour besoin d'un rédacteur, alors j'ai commencé à faire de la copie. C'était vers 70-71. Je ne m'intéressais pas à fond à la musique, mais c'était un bon prétexte pour écrire. Je rédigeais des chroniques de disques. Deux ans plus tard, je m'étais fait un nom. J'étais réputé pour avoir des opinions très tranchées. Je commençais presque à culpabiliser d'être aussi radical dans ce que j'écrivais. J'ai pensé, à titre de plaisanterie, qu'on pourrait monter un groupe dont l'envergure ne dépasserait pas les portes du journal. Ca a duré six mois, à la suite desquels j'ai formé Rocket From The Tomb (la première mouture de Pere Ubu - ndr).

Quelle vision de la musique défendais-tu dans tes chroniques ?

Aucune en particulier. J'avais juste ce sentiment assez vague que le rock devait être considéré sérieusement comme une forme d'art, au même titre que la littérature ou la poésie. Le rock avait connu ses balbutiements avec la pop- music dans les années 60, mais maintenant c'était terminé : il était devenu une forme d'art à part entière. C'était mon postulat, et j'étais évidemment très critique envers les groupes qui ne correspondaient pas à cette définition.

Considérais-tu le groupe juste comme un hobby ?
Ca a été un hobby le temps de deux concerts. Après, je me suis rendu compte que, moi aussi, je pouvais le faire, et même mieux que beaucoup d'autres. Je me sentais coupable, mais il fallait que je profite de mon discernement. Le fait d'en vivre n'était pas ce qui nous préoccupait. Nous étions portés par l'idée que nous avions une mission à accomplir : révolutionner la musique. Il était clair pour nous que nous étions uniques tout comme les gens et les groupes que nous fréquentions à Cleveland l'étaient .Nous étions persuadés d'être au bon endroit au bon moment pour que s'accomplisse notre destinée. On avait vu le rock sortir d'une sorte d'adolescence pour approcher une certaine maturité vers la fin des années 60. Il était devenu plus expressif, capable d'aborder de façon complexe la question de la condition humaine. Nous étions à ce point précis de l'Histoire et désormais un projecteur était braqué sur nous. C'était maintenant à nous de prendre le flambeau des mains de nos aînés et de mener le rock à son destin glorieux : devenir une forme d'art. La littérature était morte, le jazz était mort, la sculpture et la peinture étaient mortes après avoir connu leur apogée. Une nouvelle forme d'art était née, inouïe et profondément expressionniste. Bien que nous ayons confiance en nous, nous étions aussi conscients que personne ne s'en rendrait compte. Nous ne nous faisions aucune illusion dès le début : nous allions changer la face de la musique, mais personne ne le saurait. C'était en 1975, et les choses commençaient à bouger dans divers endroits.

D'autres groupes avant vous n'avaient-ils déjà pas changé la face de la musique ?

Beefheart ou Brian Wilson l'avaient fait à leur façon. Je ne crois pas par contre que ce soit le cas de Zappa, sans vouloir pour autant paraître méprisant vis-à-vis de son oeuvre. Il était pourtant bien parti avec ses premiers disques, mais je n'ai rien compris à ce qu'il a fait dans les années 70. D'autres gens avaient révolutionné la musique, mais nous, nous étions au bon endroit et au bon moment. Plein d'autres gens ne l'avaient pas été, alors même qu'ils étaient meilleurs que nous. En ce moment encore, il y a des gens qui sont en train de révolutionner la musique et dont personne n'entendra jamais parler. C'est ce que j'appelle « The great brotherhood of the unknowns» (la grande fraternité des musiciens inconnus - ndr). J'éprouve beaucoup de compassion envers eux. Tout n'est en fin de compte qu'une question de circonstances.

Quels sont les raisons du split de Rocket From The Tomb ?
E
n 1975, tous les groupes autour de moi se séparaient. De toute façon, nous étions tous sur le point de laisser tomber. De 1973 à 75, nous avions eu l'impression de faire partie d'une sorte de « nouvelle vague », comme celle qu'avait pu connaître le cinéma français. Mais le cinéma avait fait son temps, et c'était à nous d'être la nouvelle vague du rock. Malheureusement en 75, rien ne s'est produit alors que nous nous étions dépensés sans compter. Personne n'avait daigné porter les yeux sur nous. Alors on s'est dit qu'il était peut-être temps de revenir à une vie plus « normale » : trouver un boulot, etc. Nous étions un peu dans le brouillard. On a décidé avant de se séparer de sortir quelque chose, comme une sorte de témoignage : un single.

A quoi fait référence le titre de ce premier single, 30 Seconds Over Tokyo ?
C'est au sujet d'un raid aérien au-dessus de Tokyo qui est raconté dans un classique de la littérature enfantine, Bombing Raid Over Tokyo, un bouquin que lisent tous les enfants quand ils ont dix ans. L'histoire d'un pilote de B- 52 qui, après avoir largué ses bombes sur Tokyo, n'a plus assez d'essence pour rentrer et choisi d'aller s'écraser en Chine. Tous les gosses de ma génération ont eu ce livre entre leurs mains. T'arrive t-il de réécouter ce disque ? Pas particulièrement. C'est un titre de Rocket From The Tomb qui ne correspond plus très bien au style d'Ubu. Si tu le mets en parallèle avec le reste de notre discographie, il dépare un peu, le style d'écriture est différent. Il n'y a pas beaucoup d'investissement au niveau émotionnel, c'est un titre assez adolescent. C'est d'ailleurs le premier titre que j'ai du écrire si je me souviens bien. Un exercice qui m'a été utile cependant. Final solution, notre second single, datait aussi de l'époque Rocket From The Tomb. En fait; c'est un décalquage de Summertime Blues. J'aimais vraiment beaucoup la version de Blue Cheer, et un soir que Tim Wright (bassiste de Pere Ubu de 75 à 76 - ndr) et moi répétions ensemble, nous avons réduit ce morceau à l'essentiel, juste le doum-doum-doum. Même les paroles sont calées sur la structure de la chanson. Ce qui ne m'empêche pas de penser que c'est un de nos meilleurs titres : j'aimerai en avoir écrit une douzaine comme ça.

Ces singles ont-ils été bien accueillis ?

Le premier, personne ne l'a remarqué. Mais après le deuxième, les choses ont commencé à bouger à droite à gauche, du coté de New York comme de Londres. Je me souviens même avoir lu une chronique dans un magazine français qu'on m'avait envoyé et avoir été très fier de la montrer autour de moi. "Regarde, personne ne nous prend au sérieux à Cleveland, mais les français nous aiment !". Je ne dis pas pour autant que nous figurions dans des grands magazines comme le New York Times ou Rolling Stone : c'était plutôt des fanzines.

Tu cites la nouvelle vague cinématographique, mais c'est du théâtre que provient le nom du groupe.
Je connaissais la nouvelle vague, parce que ça faisait partie de la culture, et maintenant de l'histoire du cinéma. Mais, contrairement à d'autres membres du groupe, ça ne m'a jamais trop intéressé. Nous utilisons par contre beaucoup la terminologie cinématographique quand nous parlons entre nous, pour des questions relatives à la production par exemple, parce que c'est la forme la plus adéquate pour communiquer. Je crois même qu'on peut dire que nous sommes un groupe particulièrement cinématographique étant donné que nous percevons la musique d'une façon très visuelle. C'est ce qui crée une connexion entre les différents membres du groupe. A l'université, j'ai étudié les surréalistes, l'école dada et bien sûr Alfred Jarry. Sans être un fan inconditionnel, j'aime sa façon de concevoir le théâtre et son interprétation sur scène. C'est ce qui m'a intéressé chez lui. Mais ça n'est pas la raison essentielle du choix de ce nom : c'est surtout parce que ça sonnait bien, juste trois syllabes, et que, pour l'américain moyen, ça ne signifiait strictement rien du tout. Je connaissais l'oeuvre, mais ce n'est pas vraiment un titre de gloire étant donné qu'on peut la lire en ... mettons une après-midi (rires). Je ne sais pas si Alfred Jarry est un auteur très coté en Europe, mais j'ai toujours été intéressé par sa façon de travailler, cette manière de présenter les choses de façon abstraite, comme l'utilisation de pancartes sur scène indiquant les actions, une seule personne représentant une armée, etc.

En quoi Pere Ubu était-il différent de Rocket From The Tomb ?
Quand nous avons formé Pere Ubu, personne ne voulait plus faire partie d'un groupe à temps complet. C'est la raison pour laquelle Pere Ubu s'est toujours présenté comme une série de courts projets, ce que nous appelons "The Company Ubu Projex". Quand nous avons terminé un album et une tournée, théoriquement le groupe n'existe plus. Mais en général tout le monde se pointe à nouveau et dit qu'il veut remettre ça. J'ai toujours considéré Pere Ubu comme une façon de faire travailler ensemble des gens qui ont souvent des conceptions très différentes de la musique, sans pour autant qu'ils se sentent piégés au sein d'un groupe. Annoncer notre séparation - comme nous avons eu l'occasion de le faire ces dernières années - a toujours fait partie du concept même d'Ubu.

Début 76, après la sortie de votre second single, vous avez la chance de jouer au Max Kansas City à New-york, scène sur laquelle se produisait souvent le Velvet Underground. Etais-tu sensible au fait de jouer dans ce lieu culte ?
Non, pas du tout. Nous étions persuadés que nous allions révolutionner la musique et que nous étions meilleurs que les autres. Alors je n'avais aucun complexe envers quiconque. Je connaissais très bien les disques du VU, mais ça ne m'a jamais emballé. Moi, j'aimais Captain Beefheart, Brian Wilson, le MC5, les Stooges, ce genre de "garage rock". Je sais que le VU était un groupe exceptionnel et je dois reconnaître leur contribution au rock artistiquement parlant, mais je n'étais absolument pas attiré par la scène new-yorkaise.

Te sentais-tu proche de celle qui se développait autour du CBGB, des groupes tels que Television, Patti Smith, les Ramones... ?
Non. J'avais bien des affinités avec certains groupes de cette époque, mais pas vraiment avec ceux de New York qui avaient une approche de la musique trop différente de la nôtre. Ce qui ne nous empêchait pas de beaucoup apprécier Tom Verlaine et la plupart de ces gens, mis à part les Ramones qui ne m'ont jamais beaucoup touché. C'est un point de vue qui m'est personnel, et d'autres membres du groupe te répondraient différemment. Mais je me sentais plus proche de groupes qui avaient une attitude typiquement mid-west comme les Residents. Personne dans Pere Ubu ne doit me poser de questions au sujet de New York, parce que je hais cette ville. Je déteste y jouer et, sitôt le concert terminé, je me barre immédiatement. Il y a trop d'emmerdes là-bas : pas moyen de trouver une place pour se garer, les hôtels sont hors de prix, ça pue... Chaque fois que j'y suis, je prie pour être ailleurs.

En 1977 vous signez sur Mercury. Comment se sont déroulées les négociations ?
Un directeur artistique chez Mercury, Cliff Burnstein, avait l'habitude de fouiner dans les magasins de disques indépendants à la recherche de nouveaux groupes a) parce que c'était son boulot et b) parce que c'était aussi ce qu'il aimait faire. Il s'était procuré notre troisième single Street waves, s'était renseigné sur sa provenance et avait cherché à entrer en contact avec moi. Il a appelé un jour chez mes parents et m'a dit qu'il aimait beaucoup notre travail, mais qu'il ne pouvait pas nous signer sur Mercury parce que ce n'était pas la maison de disques qu'il nous fallait. Il craignait qu'on perde notre temps avec eux mais il tenait à nous aider d'une façon ou d'une autre. Et me priait de le tenir au courant de ce qu'on faisait, et tout le bla-bla habituel. Trois mois plus tard, Chrysalis nous appelle pour nous proposer de signer chez eux. J'ai appelé Burnstein pour savoir ce qu'il en pensait, et il m'a dit de ne rien signer avant trois jours, le temps qu'il nous rappelle. Entre temps, il a joint le boss de Mercury pour lui dire qu'il voulait créer son propre label, ce qui lui a été accordé. C'est de cette façon que nous avons été signés sur Blank Records, son label.

Ce nom était-il un clin d'oeil à la Blank Generation de Richard Hell ?
Non (affirmatif). Je ne sais pas au juste, c'était son idée, je n'ai pas eu mon mot à dire. C'est possible que ce soit un clin d'oeil, c'est tout à fait probable. Il nous est arrivé de discuter de pas mal de choses avec lui, il nous demandait souvent notre avis. Mais je le vois mal se pointer un jour en disant : "Et si on appelait le label Blank ?".

Qui a choisi Kenneth Hamann comme producteur ?

Nous ne l'avons pas vraiment choisi, mais nous étions d'accord. Quitte à enregistrer un disque chez nous, à Cleveland, autant prendre un producteur coûteux comme Kenneth Hamann, qui avait bossé sur tous les grands disques de funk comme ceux de Grand Funk Railroad mais aussi sur Green Tambourine des Lemon Pipers, Time Won't Let Me des Outsiders, Play That Funky Music White Boy et plein d'autres trucs assez curieux. C'était déjà un homme âgé à l'époque, mais il nous a filé un sacré coup de main.

Le titre de votre premier album, The Modern Dance, doit-il se comprendre comme une sorte de manifeste du changement que vous étiez censés apporter ?
Non, c'était à cause de la chanson du même nom qui me semblait un bon titre. On aurait pu l'appeler Life Stinks (autre chanson de l'album - NDLR), c'était un bon titre aussi (rires). A vrai dire, je crois que ça s'est vraiment passé comme ça : on se demandait quel nom on allait donner à l'album, et on a juste regardé les titres qu'il allait y avoir dessus.

Si justement "la vie pue", Pere Ubu était-il un moyen de l'améliorer ?

Non. Life Stinks est un texte que Peter Laughner (guitariste de Rocket >From The Tomb - ndr) avait écrit. C'est une des seules chansons d'Ubu que je n'ai pas composé et elle n'a pas grand chose à voir avec les miennes. Et je pense que si Peter n'était pas mort entre temps, on ne l'aurait probablement pas mise sur le disque.

Tes textes sont toujours d'une grande noirceur. On a du mal à croire qu'il ne s'y cache pas une part d'ironie.

La majeure partie de nos chansons est constituée d'observations au sujet de nos vies, de nos comportements lors de certaines situations. Ce procédé permet de faire ressortir une certaine ironie, un certain humour. Il faut savoir rire de soi ou de la façon dont les événements se produisent. Mais souvent c'est un rire ironique devant la fatalité des choses. Nous essayons d'écrire des chansons sérieuses, parce que nous avons la folie de croire que le rock doit être considéré comme une forme d'art. Je sais que je devrais arrêter d'en parler. Ca fait 20 ans que je fais chier tout le monde avec ça, et je sais que les gens doivent commencer à en avoir marre de lire sans arrêt le même chose. Je dois ressembler à une sorte de vieillard un peu à coté de ses pompes et qui n'arrive pas à se défaire des conceptions de son époque. Le temps m'a dépassé. J'ai écrit une chanson à ce sujet, Kathleen, sur l'album Story Of My Life. Je sais que je devrais me taire, parler de quelque chose auquel les teenagers soient plus sensibles, mais je n'ai jamais cherché à aller dans le sens du poil depuis vingt ans, alors ce n'est pas maintenant que je vais m'y mettre.

En 1978 parait avant la sortie de votre deuxième album un ep de 4 titres inédits, Datapanik In The Year Zero. De quelle peur panique s'agissait-il ?

La chanson-titre était inspiré d'un film de science-fiction, Panik In The Year Zero, qui m'avait beaucoup marqué. J'étais obsédé par la notion de « datapanik », à savoir que les gens reçoivent trop d'informations, et que la surinformation tue l'information. Vingt ans plus tard, le thème est plus que jamais d'actualité. Moins nous en savons, mieux c'est. C'est de là que la chanson est partie. Mercury voulait sortir un single et nous n'allions pas reprendre ces titres que nous avions enregistrés sur l'album, alors on les a sortis sous cette forme. C'était juste une question d'opportunité.

Etes-vous sûr que votre public perçoive la dimension critique que l'on trouve dans certaines de vos chansons ?
Les gens ont l'air de les apprécier en tout cas. Les fans de Pere Ubu se situent au croisement de bien des fractions de la société. Ils ont en commun de ne pas appartenir au troupeau, de ne pas avoir trouvé leur place au sein de leur propre milieu. Ils peuvent avoir l'air de punk-rockers, mais tu te rendras rapidement compte qu'ils ne correspondent pas à cette caricature. D'autres ont l'air d'étudiants, avec huit stylos qui dépassent de la poche, mais ils ne ressemblent pas pour autant aux autres matheux. Nos fans ne représentent pas un public important, mais je pense que ce sont des gens qui se sentent plutôt bien dans leur peau.

Avec votre deuxième album, Dub Housing, le groupe semble prendre une direction plus expérimentale. Quelles étaient vos motivations ?
Nous ne voulions pas refaire The Modern Dance. Je ne crois pas que cette orientation ait été prise consciemment. Nous avons pour principe de ne jamais parler entre nous de ce que nous faisons et de cette vague notion poétique que nous avons tous en commun. C'est une méthode de travail comme une autre. Quand nous avons enregistré Dub Housing, nous sortions d'une tournée européenne, et c'est la raison pour laquelle l'album parle d'une sorte de voyage, de parcours.

A qui revient l'idée de ce son de basse si particulier qui allait forger l'identité du groupe ?

J'aimerai dire que c'est un coup de génie, mais c'est juste lié à la façon dont les musiciens jouent. Le son du groupe n'est pas dû à un membre en particulier mais à une méthode de travail, l'idée de réunir des gens intéressants et de voir ce qui se produit. Parfois ça marche, parfois ça se déroule...mettons différemment. C'est une des raisons pour laquelle tant de gens sont passés dans le groupe. Les musiciens sont en général des gens talentueux et inventifs, et leur combinaison est souvent explosive. Le problème, c'est que les gens vieillissent ou laissent tomber. Jim Jones par exemple ne peut plus tourner à cause de ses problèmes de dos. Scott Krauss est parti. Ca fait un moment que nous existons. Les gens vont et viennent, c'est quelque chose que tu ne peux pas empêcher. On finit par être fatigué de tout. Je suis même étonné d'être encore là : j'ai toujours pensé que j'en aurai ma claque un jour et que je laisserai tomber beaucoup plus tôt.

Quel souvenir gardez-vous de votre tournée anglaise avec Human League et les Soft Boys en novembre 1978 ?

Il est évident que nous ne nous sentions absolument pas proche de Human League qui me faisait déjà pitié - c'était pourtant bien avant le succès mondial de Don't You Want Me. Je crois même qu'à l'époque il n'y avait pas encore de filles dans le groupe. Nous dormions dans les mêmes hôtels qu'eux durant cette tournée en Angleterre, et je me souviens très bien que dès qu'ils entraient dans une pièce, tout le monde se sentait soudainement déprimé. Je ne garde pas de souvenir particulier des Soft Boys, je crois que je les aimais bien. Mais on évitait tout particulièrement les Human League pour la raison que je viens de te donner : ils foutaient le moral à zéro à tout le monde.

Votre étape londonienne fut marqué par une soirée particulière, le "Magic Mystery Ubu Tour". Est-ce toi qui a eu l'idée de ce concert très particulier ?

Non, c'est à notre maison de disques que revient l'idée de ce gros coup de pub. On achetait son ticket sans savoir où le concert avait lieu : les gens avaient juste rendez-vous au coin de Hyde Park à 19h00. Là, un bus venait les prendre et les emmenait dans les grottes très sombres qui sont au sud de Londres. Il y a des photos qui témoignent du coté bizarre de la soirée. Tout le monde se les pelait. Nous avons joué sur une sorte de scène improvisée, je n'ai pas idée du son que l'on a dû avoir ce soir-là, mais je suppose ça devait être atroce. De toute façon, tout le monde s'en foutait.

En 1980 sort The Art of Walking, album très controversé puisque certains considèrent que c'est votre chef d'oeuvre et d'autres que c'est un album raté. Comment avez-vous ressenti ces critiques ?

Tous nos albums ont été écrits en référence à des images bien particulières et qui sont pour moi chargées l'émotion. Mais tu n'éprouves pas en permanence les mêmes sentiments. Je crois qu'il y a des morceaux vraiment formidables sur The Art of Walking, et d'autres que je regrette d'avoir écrit. Mais c'est le même chose pour tous nos albums : il n'y en a aucun que je n'aime pas. Sur chacun d'eux, il y a quelque chose que nous cherchions à faire passer. Sauf que sur celui-ci, c'est comme si nous avions voulu peindre un tableau où tout aurait été représenté sauf ce que nous avions voulu y mettre. Pas que ce soit un mauvais disque, bien au contraire, c'est même un de mes préférés. Mais ce fut une catastrophe.

En 1981, vous publiez pour la première fois un album live. Etait-ce pour dissimuler un passage à vide au sein du groupe ?
Non, ça n'a rien à voir. Nous désirions depuis un moment sortir un album live, mais nous n'avons jamais été satisfaits des enregistrements réalisés. Jusqu'à ce que l'on tombe sur une série de bandes enregistrées par des amateurs. On a tout de suite adoré cette qualité de son, bien qu'elle soit très pauvre, et on s'est dit qu'on allait en faire un disque. De toute façon nous étions mieux placés que quiconque pour pouvoir juger du son que nous voulions entendre. Du fait de cette soi-disant pauvreté sonore, 390 of Simulated Stereo a été conçu comme un disque pirate, même jusqu'à la pochette qui rappelle beaucoup ce qui se faisait dans ce domaine.

Des rumeurs circulent cependant, comme celle selon laquelle l'enregistrement de Songs of the Bailing Man, votre album suivant, aurait été difficile.
Le guitariste et le batteur se haïssaient. Ce fut un véritable cauchemar. C'est la première fois que nous bossions avec Alan Kidman, qui avait entre autres produit les Raincoats, et ça se passait très bien de ce coté-là. Mais lui aussi s'est retrouvé piégé dans ce scénario de cauchemar.

La séparation de Pere Ubu une fois la tournée terminée a du être un soulagement...
Oui. Quand nous sommes revenus à Cleveland, plus personne ne se parlait dans le groupe. Chacun est rentré chez lui et n'a pas ressenti le besoin d'appeler les autres. On ne voulait plus en entendre parler. Des mois passèrent ainsi. Je ne peux pas vraiment dire que le groupe était séparé : c'est juste qu'on ne voulait plus se parler. Et quand bien même il nous arrivait de nous croiser, on se gardait bien de parler d'Ubu. Des mois passèrent ainsi. Chaque fois que le groupe se sépare, toute la pression retombe : c'est un vrai bonheur. Splitter devient alors comme une drogue. Un coup de fatigue après l'enregistrement du nouveau disque ? "Et si on splittait ?"(rires). C'est aussi le moyen de faire disparaître les hostilités au sein du groupe. On laisse passer un peu de temps, puis on se retrouve tous, sauf ceux qu'on a bien pris soin de ne pas réinviter.

As-tu immédiatement enchaîné sur d'autres projets musicaux ?

Oui, probablement. Je ne voulais plus être dans un groupe mais évoluer au sein de formations plus souples et plus restreintes. J'ai commencé à improviser des spoken words pour un saxophoniste, juste en jetant des textes sur sa musique. Ca devait être en 1983. Puis un batteur nous a rejoint, puis Leslie Cooper est arrivé, puis Chris Cutler... Et ce qui devait s'appeler The Pedestrians est finalement redevenu Pere Ubu.

Vous signez alors chez Fontana et publiez deux albums en deux ans, The Tenement Year en 1987 et Cloudland en 1988. Doit-on voir dans cette productivité exceptionnelle la volonté de rattraper le temps perdu ?

Je ne crois pas que ces albums aient été enregistrés plus vite que les autres. Modern Dance et Dub Housing ont été terminés en six mois chacun, New Pionic Time est sorti un an plus tard et Art of Walking six ou sept mois après. Nous n'avons jamais fonctionné comme un véritable groupe. On se dit qu'il serait temps de faire un album, et quelqu'un lance "Pourquoi pas maintenant ?". Alors on se met à composer des chansons. Voilà comment ça se passe : nous nous réunissons dans une pièce suffisamment grande et commençons à jouer jusqu'à ce que l'un d'entre nous propose une idée. Alors on commence à bosser dessus. S'il y a un bon riff, on note les accords et on travaille jusqu'à pouvoir se rendre à peu près compte de quoi la chanson va avoir l'air. Ce n'est qu'à ce moment précis que je me mets à bosser sur les textes. Je n'écris jamais séparément de la musique. Tout vient du chaos et du vide.

C'est lors de votre période Fontana qu'Eric Drew Feldman, éminent membre du Magic Band de Captain Beefheart, rejoint Ubu. Comment as-tu vécu le fait de jouer avec un proche de quelqu'un qui a autant compté pour toi ?
Je ne vois pas pourquoi je l'aurai considéré comme un honneur. Il était maintenant dans Pere Ubu, groupe qui a révolutionné la musique. En 1978, nous étions le plus grand groupe qui n'ait jamais été. J'ai toujours eu la grosse tête et un ego démesuré. J'avais vu Eric Drew Feldman sur scène avec Snakefinger, un groupe qui m'avait laissé béat d'admiration. C'était d'ailleurs un de leurs derniers concerts, ils ont dû se séparer quatre ou cinq jours plus tard. Notre manager Mick Hobbes était aussi un grand fan de Beefheart. Il avait fait l'école buissonnière pour suivre le groupe en tournée et avait fini par se joindre à eux. Il s'occupait des lumières, c'est de là qu'il a écopé du surnom de "Spotlight Kid". C'est Mick qui a suggéré qu'Eric fasse partie d'Ubu. Je savais que ce serait quelqu'un d'intéressant, mais personnellement je ne souvenais pas qu'il ait fait partie du Magic Band. Je ne vois pas Beefheart avec un clavier. Et pour cause : il jouait de la basse à l'époque. C'est dire l'attention que je lui avais porté !

Il joue maintenant avec Frank Black. Vois-tu une certaine logique dans cette succession : Beefheart, Pere Ubu, Frank Black ?
Frank Black a pu être influencé par nous, c'est sûr. Ca marche bien pour lui. Nous avons tourné un moment avec les Pixies. Derrière le personnage Frank Black, j'aime beaucoup l'homme, Charles Thompson. Lorsque les Pixies avaient un jour de repos, Charles venait assurer nos premières parties tout seul avec sa guitare et interprétait le répertoire de son groupe. C'était formidable. Il était vraiment épatant en solo, ce qui mettait en avant son talent de chanteur et de performer. Vraiment, j'étais impressionné. Je ne l'ai jamais vu avec son groupe actuel, je ne connais que les disques qu'il a sorti.

Les années Fontana accentuent le coté pop d'Ubu. Cherchiez-vous une reconnaissance du grand public ?

Non. Tout changement qui s'opère dans le groupe n'est jamais délibéré. Nous n'avons pas essayé d'être "commerciaux" ou "pop" mais de faire quelque chose que nous n'avions jamais fait auparavant. L'opportunité nous était offerte par Fontana, l'argent aussi, alors on a tenté le coup : nous allions pouvoir enregistrer en 48 pistes et bosser avec Steven Hague. C'est un grand fan d'Ubu, et on est rapidement devenus amis. Mais là où on s'est plantés, c'est que nous étions incapables de bosser en 48 pistes. Pour Words in Collision, c'est Gil Norton qui était aux manettes. Mais ça n'a rien changé au fait que nous ne sommes pas un groupe de studio étant donné que nous sommes incapables d'attendre.

L'enregistrement de Words in Collision est réputé pour avoir été aussi pénible que celui de Songs of the Bailing Man.

On a eu plein de problèmes sur ce disque. J'ai beaucoup de respect pour tous les gens qui ont bossé dessus, et j'espère qu'ils disent la même chose à mon sujet, mais le fait est que nous parlions vraiment deux langages différents. Je ne sais même pas comment ce disque a pu sortir, et je crois qu'il me faudra encore quelques années avant que je puisse le réécouter. Tout ce dont je me souviens, c'est de conflits dûs à d'immenses problèmes de compréhension. Un vrai dialogue de sourds. Tom Hermann, qui joue avec nous aujourd'hui, pense lui que Words in Collision est un des nos meilleurs disques. Je ne tiens pas à en parler plus longtemps parce que je le répète j'ai beaucoup de respect pour tous ceux qui ont travaillé sur ce disque. Je préfère mettre ça sur le dos d'une suite de malentendus.

Comment vous êtes-vous retrouvés sur le label Cooking Vinyl ?

Nous avons dépensé tout l'argent de Fontana qui n'en a pas gagné beaucoup grâce à nous, donc ça s'est terminé là. C'est un excellent label, et je ne regrette pas une seconde d'avoir été dessus. C'était une expérience très intéressante, un vrai label avec une politique d'artistes. Je garde un très bon souvenir de tous les gens qui m'ait été donné de côtoyer chez eux. Mais Fontana fait partie d'une plus grosse compagnie, Polygram, et ce n'était malheureusement pas la bonne compagnie pour Ubu. Nous étions sur le bon label en Angleterre où nous ne sommes pas du tout connus (rires) et sur le mauvais label partout ailleurs où nous aurions eu des chances de décoller. Alors on a arrêté les frais.

Pensiez-vous avec votre dernier album en date Ray Gun Suitcase avoir encore quelque chose à prouver ?

Oui. Nous avons toujours quelque chose à prouver . On ne peut pas se reposer sur les lauriers du passé. Rien ne me déprime plus que quand on vient me dire que Modern Dance est notre meilleur album. Imagine qu'on ait dit à Orson Welles toute sa vie que Citizen Kane était son meilleur film ! De toute façon Dub Housing est bien meilleur que Modern Dance. Nous avons toujours à prouver que nous avons gardé la flamme. C'était le but de ce disque d'adieux : montrer ce que nous savons toujours faire.

Comment expliques-tu que Pere Ubu ait réussi à garder le même son en dépit de ces changements permanents de personnel ?

Si tu fais la liste des gens qui ont joué avec nous, tu te rendras compte que la plupart reviennent fréquemment. Il y a une sorte de petite communauté autour d'Ubu. Jim Jones, par exemple, ne vient pas de nulle part : il avait joué dans des groupes depuis 1973, puis il a été notre ingénieur du son depuis 1977. Quand il a rejoint Ubu en tant que musicien, tout le monde a cru que c'était une nouvelle recrue alors qu'on le connaissait depuis toujours. Pareil pour Michele Temple qui est avec nous depuis une vingtaine d'années. Robert Wheeler, le dernier arrivé, est un ami d'enfance de mon frère. Il a grandi en écoutant Ubu, et maintenant il a réalisé son rêve : en devenir membre à part entière. Nous sommes toujours les mêmes, nous appréhendons la musique de la même façon, nous poursuivons les mêmes buts. Les sujets qui nous tiennent à coeur n'ont pas changé. Nous sommes toujours des natifs de Cleveland. Notre carrière ne ressemble pas à celle des autres groupes de rock. Nous sommes nettement plus dilettantes, plus dans l'esprit du folk.

Quel événement a précipité la parution de Ray Gun Suitcase ?
J'avais entrepris un voyage dans le delta du Mississippi parce que je voulais voir ces villes dans lesquelles le blues est né. Puis il y a eu cette convention à l'occasion de l'anniversaire de la mort d'Elvis à laquelle je suis finalement resté une semaine. Ray Gun Suitcase doit se concevoir comme un voyage, aussi bien à travers l'espace et le temps qu'à travers ma vie. Comme je savais que ce serait notre dernier album, je voulais rendre compte de toutes nos craintes. Il y a aussi des gens auxquels nous tenions à rendre hommage comme Arthur Lee ou à Brian Wilson. Dans chaque chanson du disque se trouve un hommage à quelqu'un en particulier. Histoire d'avouer nos complexes, en prenant comme prétexte le voyage.

C'est la première fois que vous produisez vous-même l'album. Pourquoi avoir attendu 20 ans avant de sauter le pas ?
Auparavant on ne savait pas comment s'y prendre. Il m'a fallu 20 ans avant que j'y parvienne enfin. Je ne suis pas très rapide (rires). Tout le contraire de quand nous enregistrons : on se pointe et on joue, point. Pas question de recommencer prise sur prise, parce qu'on se lasse rapidement. Nous préférons enregistrer dans l'urgence pour être vraiment satisfaits de nous. Sur scène, tu n'as pas la possibilité de reculer ou de recommencer. Tu es aux cotés des autres et tu essaies de créer une certaine atmosphère. C'est ce que j'ai essayé de reproduire sur disque. Si tu commences à réfléchir, le résultat est différent et il a tendance à s'éloigner de celui que tu cherchais à obtenir. Il y a même quelques parties du disque qu'on a enregistré en extérieur parce qu'on s'y sentait mieux. Ca n'était pas facile à cause des moustiques qui sont très nombreux à Cleveland l'été. J'ai même forcé Jimmy à jouer dans ces conditions bien qu'il était le premier à s'en plaindre. Mais je garde un excellent souvenir de l'enregistrement.

Sur la pochette de Ray Gun Suitcase, chaque membre du groupe donne ses coordonnées sur e-mail. Qu'attendez- vous de cet appel du pied ?

Nous avons toujours encouragé les gens à nous écrire ou venir nous parler. Leurs réactions nous intéressent beaucoup. Les autoroutes de l'information facilitent bien les choses : tu économises un timbre, et les contacts se font de façon plus directe. Les gens peuvent aussi trouver les paroles de nos chansons sur notre site internet . Je n'ai jamais trouvé que ce soit une bonne idée de les imprimer sur la pochette du disque. Je ne veux pas que mes textes se résument à des mots écrits sur une page. C'est quelque chose de différent, comme des images. Je m'exprime de façon de plus en plus claire sur disque. Mais il est vrai que j'avais un peu mis de coté le fait que tout le monde ne comprend pas l'anglais facilement. Je suis désolé pour ceux que ça aurait pu incommoder. Je promets que le prochaine fois on mettra les paroles sur le disque, SAUF sur le pressage américain.

Quel bilan dresses-tu de la carrière de Pere Ubu ?
Plutôt positif : nous existons depuis vingt ans, nous continuons de jouer une musique qu'on peut facilement identifier comme étant la nôtre. Ca n'est déjà pas si mal. Parfois on a fait exprès de se séparer, parce que ça faisait vraiment du bien : je n'ai même jamais connu un tel soulagement. Parce que nous sommes nullissimes en affaires, on a planté notre carrière plus de fois qu'il était possible de le faire. Au bout d'un moment, tu ne peux pas ne pas péter les plombs : tout le monde autour de toi est devenu célèbre alors que tu en es toujours à vivoter dans ton coin. C'est fatiguant. Quand en plus il y a des tensions à l'intérieur du groupe, ça ne vaut plus la peine. Nous sommes Pere Ubu, juste un groupe de gens désirant s'amuser.

Ray Gun Suitcase sera t-il le dernier d'album d'Ubu comme annoncé ?

C'était supposé être un disque d'adieu. C'est ce qu'on s'était dit : "On en a marre de tout ça. On va faire un disque d'adieu, le meilleur qu'on puisse, et puis bye-bye". Maintenant je crois qu'on en a encore pour quelques années. Mais j'espère qu'un jour j'en sortirai.


Un an après cet interview, David Thomas sortait un nouvel album solo, Earwon, avec les Two Pale Boys. Et Pere Ubu se reformait l'année suivante pour enregistrer Pennsylvania. Un tout nouvel album live, Apocalypse Now, est paru cette année sur le label Thirsty Ear.


Entretien paru dans Jade 10 © Philippe Dumez & 6 Pieds Sous Terre, 1997 / Photos © C. Ledévéhat