Jade : Alex Barbier, où en êtes vous actuellement ?
Alex Barbier : Je suis en train
de travailler sur mon nouveau livre. Après lhistoire du loup-garou,
ce sera une histoire de vampire. Je sais déjà le titre :
Autoportrait du vampire den face. Il y a encore du boulot,
mais cest déjà bien entamé.
Lycaons et Le Dieu du 12, vos premiers albums publiés
par Charlie Mensuel dans les années 70 sont aujourdhui introuvables
Ils sont introuvables mais à mon avis ils vont être
réédités. On men a déjà parlé
mais la personne qui men a parlé, je nai pas trop envie
de le faire avec lui
Cest une filiale dHachette qui
men a parlé, alors ça ne mintéresse pas
énormément, je préfère travailler avec les
gars de Frigo, qui sont intéressés
Vous avez commencé à publier dans Charlie, ensuite
on na plus rien vu pendant une assez longue période. Quest
ce quil sest passé ? Il sest
passé que je ne trouvais plus déditeur. Jétais
à Charlie et, évidemment, Charlie cétait
un groupe assez particulier. Cétait le Professeur Choron
le directeur, Wolinski le rédacteur en chef, etc. Cest bien
évident que quand on travaille avec une équipe pareille,
ce quil faut cest y rentrer. Si on est accepté ce nest
pas difficile, on fait ce quon veut après. On ne vous demande
rien, on a carte blanche. La censure était impensable. Mais il
se trouve quils ont du vendre dans un premier temps à Albin
Michel, dans un deuxième à Dargaud et que les conditions
de vie dans ces maisons déditions ne sont pas les mêmes.
Barbier, il y avait quelque chose qui ne leur plaisait pas là-dedans,
je ne sais pas exactement, trop sale. Pas assez clair, si je puis me permettre,
et je pense à la ligne claire. Et puis ils ne comprenaient rien
du tout au sujets abordés. A lépoque, cétait
les années Mitterrand qui commençaient, il fallait être
superficiel. Ne surtout pas faire dans le, je ne sais pas comment dire,
dans le réalisme, voilà. Donc je nai plus trouvé
déditeur pendant une bonne dizaine dannée. Comme
javais des bandes dessinées déjà en train de
se faire, Comme un poulet sans tête par exemple, et même
Les paysages de la nuit, déjà fait en
grande partie. Jai continué et puis je les ai remis dans
mon tiroir après avoir fait une espèce de tournée
des éditeurs de lépoque. Ça nintéressait
personne. Il y avait toujours soit trop de pages, soit pas assez... Donc
je me suis dis : tu vas essayer de faire autre chose, tu vas faire
de la peinture, parce que la peinture ça ma toujours intéressé
aussi. Comme javais pas mal de relations dues à la bande
dessinée, jai trouvé tout de suite un galeriste, jai
fait très vite une première expo à Paris, qui était
quand même encore assez marquée par la bande dessinée.
Ça a marché tout de suite très très fort.
Jai profité du carnet dadresse de Wolinski, également,
ce genre de choses dont il faut tenir compte. Et cest comme ça.
Je navais pas abandonné lidée de faire de la
bande dessinée, ça mintéressait toujours. Cest
pour moi essentiel. Cest la chose qui mintéresse le
plus.
Avec vos peintures on dirait que vous vous éloignez de plus en
plus de la bande dessinée
Mes livres sont de
la bande dessinée. On ne peut pas faire plus bande dessinée.
Ce nest pas de la peinture déguisée en bande dessinée.
Cest de la bande dessinée, mais évidemment elle ne
ressemble pas à certaines autres bandes dessinées, ça
on est daccord. Mais cest parce que cest mon style à
moi, qui est particulier, cest tout. Pour le reste cest de
la bande dessinée, cest à dire, cest une alliance
curieuse entre du graphisme, du dessin et puis du texte. Je raconte quelque
chose, même si ce que je raconte est un peu bizarre, ça parle.
Quand je fais de la peinture ce nest pas du tout la même chose.
Il ny a pas de succession, ça raconte aussi mais pas de la
même manière. Moi, jai besoin de raconter certaines
choses, dune certaine manière.
Est-ce que lon peut revenir sur les années
80 ? Comment avez-vous vécu cette période ? Assez
mal. Dabord, jétais dégoûté par
lambiance branchée. Il ny avait plus Charlie Mensuel
mais il y avait le retour de lEcho des savanes mais manière
branchée, des pages entières pour parler dune pub.
Une telle vanité des choses
Ensuite il y a Bizot qui a relancé
Actuel, alors cétait une espèce de catalogue
de mode, des néo machins trucmuche, bon des conneries. Jétais
écuré par cette période. Ecuré
surtout parce que je navais plus ma place là dedans. Alors,
on a beau savoir que la place reviendra, il y a quand même des moments
difficiles à passer parfois. Cétait une réelle
traversée du désert.
Les années 70 avaient été
une période plus libre ? Plus ouverte ? Oui,
cétait bien, on expérimentait des tas de choses, dans
tous les domaines, artistiques ou non, privé
Cétait
bien, cétait rigolo. On samusait bien. Mais ce nétait
pas non plus une période si libre quon veut bien le croire
maintenant. Cétait lépoque des ayatolismes en
tout genre. Lépoque des "ismes " en tout genre
dailleurs. Et puis après il y a eu linvention de la
superficialité. La superficialité, bon, on peut aimer un
temps
Et puis je navais plus ma place avec ça parce
que mon travail nétait pas assez superficiel. Dailleurs
ils ne sy sont pas trompés les messieurs qui tenaient les
maisons dédition, ils étaient bien daccord.
Ils nen voulaient pas. Donc, difficile comme période.
Comment voyez-vous la période actuelle ?
Je la trouve bien plus intéressante.
Ny a-t-il pas une sorte de gueule de bois en même temps ?
Sur quel plan : artistique ? Ou non artistique ?
Non, moral. Je ny crois pas
tellement à ça. Une gueule de bois ? Je ne vois pas
ce que tu veux dire exactement. Tu veux dire : on entend tout le
temps pleurnicher dans tous les coins ? Ça oui, ça
pleurniche beaucoup. Tu vois, par exemple jhabite à Saint-Claude
en ce moment et je rencontre beaucoup de petits prolos, de gens qui travaillent
dans les usines, tout ça, ils sont simples et ils me disent, et
ils savent de quoi ils parlent, parce quils sont sur le marché
du travail, ce nest pas des artistes, eux, ils ne sont pas invités
au festival machin truc pour boire des coups gratuits. Ils me disent :
" un mec qui veut trouver du travail à Saint Clou,
il en trouve ", par exemple. Cest curieux, ça
ne correspond pas au discours ambiant officiel, jai envie de dire.
Le discours ambiant pleurnichard, donc je me méfie un peu de ça.
Mais en ce moment je trouve que cest très intéressant,
sur le plan artistique, notamment dans le domaine qui mintéresse,
il se passe des choses comparables à ce quil se passait dans
les années soixante-dix, en ce moment. Cest à dire
que les nouvelles petites maisons déditions, ceux qui ne
veulent pas marcher dans le trafic des gros, cest intéressant.
Parce quun art qui se permet de sappeler une "avant garde ",
cest toujours un art qui est en marche, ce nest pas un art
qui stagne. Alors là on nest pas dans lart contemporain,
ce quon appelle comme ça. Jai horreur de ça.
Je peux dire que je connais. Non, je naime pas, je trouve que cest
de la supercherie. Il serait temps maintenant de la dire. Fini les discours
futiles. Aux chiottes, Buren ! Avec ses rayures
Assez.
Cest étonnant que votre travail
réapparaisse au moment où de nouvelles expériences
sont tentées dans la bande dessinée. Les expériences
actuelles mintéressent. Beaucoup. Ce nest pas un hasard
si je suis avec eux. Ce que je faisais était bien trop en avance.
Ça avait quinze ans davance sur ce que la société
ou létat de la bande dessinée était capable
daccepter. Et puis quinze ans plus tard il sest trouvé
que cétait déjà un peu plus convenable, cétait
plus acceptable, voilà - je savais dailleurs, je ne me suis
jamais fait de soucis excessifs.
Quels sont vos liens avec Fréon ? Quand je suis
revenu sur le devant de la scène, jai eu une grande exposition
au CNBDI dAngoulême et je les ai rencontrés là.
La première fois ça na été quune
rencontre comme ça mais qui ma fortement intéressé,
parce quils mont montré toutes leurs productions et
jai trouvé ça pointu. A lépoque,
jétais chez Delcourt
Et puis après Delcourt
na pas su comment manipuler De la chose, le recueil de peinture
qui était paru chez des Japonais.
Quest ce qui vous intéresse spécifiquement dans le
médium bande dessinée ? Pour tout dire,
je trouve que la bande dessinée est la forme dexpression
artistique la plus intéressante. Là il y a de la spéculation.
Là il y a des choses nouvelles. Cest excitant comme tout.
Ça salimente de littérature, ça salimente
de peinture, de tout ce qui existe. Il y a des jeunes qui ont envie de
faire des choses, de renverser les vieux davant. Tandis que la peinture
nexiste plus. Il ny a plus que des gens qui déversent
des sacs de gravier sur la moquette dans les galeries. Il ny a plus
de peinture ! La bande dessinée est un art neuf. Le cinéma
cest empêtré dans des histoires dargent. Cest
ce qui est insurmontable : on ne commence pas par tourner un film
ou écrire un scénario, on commence par chercher de largent
pendant deux ans. Tandis que là, même si on ne trouve pas
déditeur on peut quand même la faire sa bande dessinée,
pour soi. Cest ce que jai fait pendant dix ans. Jai
fait les choses pour moi.
En même temps même sil y a
un renouveau, ce sont des structures extrêmement précaires
économiquement, avec des petits tirages. Oui. Cest
tout petit mais cest intéressant. Je ne suis pas sûr
que ce soit précaire, parce que je les vois partout un peu, ils
font des beaux livres, parce que cest des beaux livres quils
me font là, cest pas du caca, donc ils arrivent bien à
trouver largent. Et puis ils en vendent, parce que jen vends,
je le vois bien. Ce sont des petits tirages mais ça ferait pâlir
denvie nimporte quel écrivain merdique qui est là.
Cest facile à dire, mais moi je vends à 2500, il y
a beaucoup décrivains qui aimeraient vendre autant. Et moi
mes livres sont chers. Alors, on sait que cest le seul secteur de
lédition qui monte, alors que les autres baissent. Cest
réellement un secteur en pointe en ce moment.
Alex Barbier (Complément)
Alex Barbier : Je ne suis plus le patron du bar. Je lai
eu pendant 9 ans mais je ne lai plus. On a arrêté.
Je suis toujours gérant, tout ça nous appartient.
Tes thèmes sont plutôt sombres. Oui. Et tu veux
dire quoi ? Que le personnage est moins sombre que les thèmes ?
Cest sûrement vrai dailleurs. Il peut marriver
dêtre, comment dirais-je, festif, bon vivant, aimant rire.
Jaime rire.
Ça ne transparaît pas du tout dans
tes images. Dans les dernières un peu plus quand même.
Lettres au Maire de V. cest un peu plus rigolo. Cest
pas le mot rigolo, cest pas le bon mot, mais cest un peu ça
quand même. Cest vrai que cest assez sombre ce que je
fais, mais de moins en moins et puis aussi, cest toujours aussi
sombre, mais cest comme Le château (chapeau ?)
de la mort (vérifier), je regarde ça un peu plus
rigolotement, quoi. Avec plus de détachement. Quand on est jeune,
on croit quon est immortel, la mort on ny croit pas. On sait
que ça existe, bien sûr. Mais ON NY CROIT PAS. Sinon
on ne verrait pas ces gens qui font de la moto et puis qui roulent à
200 à lheure. Cest parce quils ny croient
pas, ils ne croient pas que ça puisse leur arriver à eux,
sinon ils auraient la trouille. Moi si je prends la voiture, jen
ai pas de voiture et je ne conduis pas, mais enfin, je roulerais à
50 à lheure, pas plus. Moi jy crois maintenant, je
sais. Je la ressens en moi. Elle est là. Cest tout.
Dans certaines de tes bandes dessinées précédentes
il y avait également de lhumour, tu pratiquais une sorte
de SF rurale. Il y avait déjà une part dironie là
dedans. Cest ça, il y en a toujours eu. Jessaie
de mettre de langoisse et puis de lironie maintenant. Les
deux en même temps. Jironise sur mon angoisse. Mais ça
ne me fait pas rire quand même. Je ris aussi. Cest comme quand
je fais la chanteuse réaliste "non réaliste ".
Jessaie dêtre quand même amusant.
Il y a quelque chose de tragique là-dedans ? Un
peu oui. Il me semble.
La part dhumour est aussi dans tes titres, les références
aux genres, le fantastique notamment. Sans ces références
ton travail serait beaucoup plus oppressant. Oui. Cest
ça. Pour moi une uvre dart, quelle quelle soit,
si cest de la bande dessinée, si cest de la peinture,
de la littérature, peu importe, du cinéma, de la musique,
ce que jaime cest quil y a le drame et le rire. En même
temps. Je possède chez moi toutes les interviews de Céline
qui existent, tous. Cest des raretés, bien sûr. Il
y a un moment où on lui dit : " quest ce
que vous préférez : Racine ou Shakespeare ? "
et il répond " Ah, Shakespeare, parce quil a
le rire ". Alors quand vous avez le rire et puis le drame,
ben vous avez gagné.
Le rire est comme un hurlement de lâme.
Cest percer quelque chose et le faire évacuer.
Cest ça. Pour moi la bande dessinée cest une
affaire extrêmement sérieuse Je ne prends pas ça à
la légère du tout. Et donc jessaie dexprimer
ce que je pense quune uvre dart doit exprimer.
Quel rapport entretiens-tu dans ta bande dessinée
avec la littérature ? Jaccorde beaucoup dimportance
à la littérature. Ma bande dessinée se nourrit de
toutes les influences, que ce soit littéraire, pictural. Ce que
je veux réaliser cest une espèce de convergence entre
la littérature et la peinture, sous forme de bande dessinée.
Alors bien entendu que la littérature ça compte énormément
pour moi.
Surtout une littérature sauvage.
Cest le mot. Je naime que les méchants, moi. Jentends
par là les faux méchants. Pour le XX ème siècle
on va dire Proust, cest un méchant, Céline bien sûr
et puis Burroughs.
Cest des gens qui ont un besoin vital dextérioriser
leur laideur, pour la supporter. Leur laideur ? Je ne
les trouve pas laids, moi. Je trouve que cest les autres qui sont
laids. Les bien pensants.
Une conscience de la laideur de lexistence
plutôt, disons. Voilà, je préfère.
Cest naître quil naurait pas fallu. Donc ce qui
mintéresse ce sont ces gens là. Ça peut être
à toutes les époques. Il ny a pas un livre de Victor
Hugo où il ny a pas un monstre. Jaime énormément
Victor Hugo. Lhomme qui rit est à lire de toute
urgence dailleurs, pour ceux qui lont pas fait. Cest
très bien. Sublime. Somptueux. Si on lit Rimbaud, Baudelaire, Verlaine,
Flaubert. Le XX ème siècle il est bouché par deux
phares, mais bon on peut citer Thomas Bernard aussi, il y a des tas de
gens que jaime aussi. Deux phares qui sont Céline et Proust.
On na jamais écrit comme Céline. Il savait très
bien ou il en était lui, il a quand même envoyé une
lettre à son éditeur en disant " cest du pain
pour un siècle en plus de littérature ". Il
faut oser, quand même, non ? personne ne te connaît,
tu envoies ton manuscrit et tu dis ça. On navait jamais écrit
comme le Voyage au bout de la nuit. Comment ce livre a pu paraître,
en 1936 ou en 1934, on navait jamais osé décrire ça.
Daccord, la guerre était finie, lautre navait
pas commencé mais comment ils ont osé laissé paraître
ça, étonnant. Cest quand même, ce quil
dit sur la guerre, il ne fallait pas le dire à lépoque.
Il ny a pas que la forme, il y a le fond. Et puis dailleurs,
comme disait Victor Hugo : " La forme, cest le fond
qui monte à la surface ".
Tu as toujours eu ce sentiment danormalité de lexistence ?
Oui.
Même enfant ? Oh peut-être
pas mais je ne men rappelle plus. Je nai pas fait de psychanalyse
et puis ça ne mintéresse pas. Je naime pas fouiller
le passé. Mais si je pense que jai eu une très profonde
angoisse, très tôt. Ça a commencé quand on
ma foutu à lécole maternelle. Je ne supportais
pas les autres. Alors après jai travaillé tout ça.
Pour arriver à le supporter, surtout à le dominer. Quand
je suis arrivé pour la première fois dans la cour de récréation
ça a été épouvantable. Il y avait des gens
qui étaient sûrs dêtre au monde, hauts comme
trois pommes mais déjà sûrs dêtres au
monde. Sûrs que le monde, lunivers est fait pour eux. Ils
sont les rois ! Moi, je nétais pas sûr du tout
de ça. Donc, évidemment ça se voit tout de suite.
Ils me sont tombés dessus. Jai beaucoup souffert. Je me suis
dit il ny a pas de (pot) que tu vives une vie comme ça, tu
vas dominer ces fils de putes. Dominer pas par ta force physique, et je
me suis mis en branle. Jy suis arrivé.
Un de tes thèmes principaux semble être
la sexualité. Tu la lie à langoisse aussi ?
Oui. Moi ça mangoisse la sexualité. Je narrive
pas à comprendre comment on peut baiser. Il y a des gens qui sont
doués pour ça. Et cest pareil que pour les beaufs
dont je te parlais, ils sont sûrs dêtre au monde. Ah,
il ny a pas de problèmes ! Bien entendu la sexualité
représente pour moi une part douloureuse dangoisse. Doù
le fait que je traite beaucoup ce sujet, je sens que ce nest pas
pensable autrement. Je ne vois pas comment on peut faire limpasse
là dessus. Ça nous obstrue lexistence. Cest
là. Une uvre dart, je fais limpasse sur les bandes
dessinées avant les années 60, ce quon appelle lâge
dor, les Hergé, les Tintin, parce que ces gens là
pensaient quil fallait faire un travail pour les enfants, cest
ça qui différencie la bande dessinée daprès
de celle davant, cest quon ne pense plus être
obsédé par le fait de parler aux enfants, on parle à
tout le monde. Mais il y a eu un temps où cette forme dart
était réservée à
Dieu merci, cest
fini. Ouf ! Et alors là il a bien fallu attaquer un problème
majeur qui a toujours hanté lhomme et lart, parce que
quand on voit le Christ avec son slip, on peut presque voir ses couilles,
on comprend bien que cest de la sexualité déguisée,
travestie, dégoûtante, ratatinée par la religion mais
enfin cest quand même ça.
Dans tes bandes dessinées certains de
tes personnages semblent irradier sexuellement, dailleurs ils finissent
souvent par se transformer en bêtes. Comme si lacte sexuel
rendait monstrueux. Non seulement il y a une peur de la sexualité
mais une peur de la sexualité en soi aussi. Cest
ça. Cest bestial. Cest quelque chose qui mobsède
complètement.
Dans tes peintures la sexualité est représentée
différemment de dans tes bandes dessinées. Dans les peintures
elle paraît beaucoup plus saine et plus sereine. Oui.
Cest pas la même chose la peinture et la bande dessinée.
Tu raconte moins. Oui, cest exact, cest ça, tu y es
là. Dès quil y a un récit ça ne peut
que souiller, devenir difficile.
Comme si le mouvement mettait la peur en action,
tandis que sur tes peintures tu arrêtes un instant, qui peut être
paisible. Oui, cest exact.
Tes images sont souvent confinées. Il y a un sentiment denfermement,
à la fois sensuel, qui irradiera dans les peintures, dans les récits
ce confinement est plus oppressant. Souvent tes cadrages sont subjectifs,
on sent la présence de celui qui regarde. Comme tu disais tout
à lheure tu as du dominer, mettre à distance pour
te protéger, mais ça na rien enlevé à
langoisse de fond. Non. Voilà. Ça ma
protégé. Je maîtrise la situation.
La lumière est peut être un des
éléments où il y a le plus une recherche de sérénité
dans ton travail. Je ne sais pas. Je nen sais rien. Cest
vrai que la lumière cest une partie très importante
de mon travail. Jessaie dexprimer des choses avec ça.
Je ne sais pas ce que ça signifie. Je men fous dailleurs.
Oh, des mains de travailleur, regarde. Jaccorde la plus haute importance
à la bande dessinée que je fais, cest là que
ça passe surtout. Et comme je ne fais pas de classification débile,
les arts mineurs, les arts majeurs, etc. Non, il y a lart, point
final. Lart cest indispensable, on ne peut pas sen passer.
On retrouve dans les cavernes des dessins, cest que même là,
à ce moment là on ne pouvait pas sen passer. Moi je
ne peux pas men passer. Je ne te cache pas que parfois je vois des
individus dont je me demande quels sont leurs rapports à lart.
Moi je cherche toujours un rapport ou un contact quelconque avec lart,
eux on a limpression que non. On voit des gens, on a limpression
que ce sont des animaux. Effrayant. EFFRAYANT ! EFFRAYANT !
De moins en moins. De moins en moins. Mais quand même. Cest
Thomas Bernard qui disait quon peut comprendre, mais ce nest
pas la peine, ça je lai remarqué bien souvent. Un
paysan par exemple, je prends un paysan, cest emblématique
mais prenons le, jen connais quelques-uns uns, de moins en moins,
et ceux que je connais ils sont jeunes, cest plus pareil. Mais un
paysan classique, il est toujours dans la nature, il ne la voit pas. La
nature est pour lui un ustensile. Cest horrible. Pour comprendre
la nature il faut passer par lart, si tu ne passe pas par lart,
tu ne la comprends pas. Si tu nas pas vu un tableau de Monet ou
dun autre, tu ne peux pas comprendre un paysage, cest clair
et net. La vision du monde si elle ne passe pas par lart et ben
tu nas pas de vision du monde, tas rien, tes une espèce
de type qui traverse lexistence comme une goutte durine traverse
une couche culotte. Tas rien compris, tas rien vu, rien entendu.
Cest vrai ce que je dis, je crois
Donc, quand on dit par exemple
que, cest pas idiot, que le rire est le propre de lhomme,
alors on peut dire nimporte quoi, " manger avec une fourchette
est le propre de lhomme ", "des chaussures, des chaussettes
cest le propre de lhomme " parce que des animaux
ne mettrons pas ça. Mais quand on dit ça cest un petit
peu plus profond quand même, ça veut dire que pour avoir
la conscience si on ne passe pas par là on ne peut pas lavoir,
de rien.
Le problème cest que
Le problème
cest que jai un train à prendre, moi.
En même temps le livre est mal en point, le support écrit.
Pas au niveau de la créativité, la réalité
économique qui va avec. Pas la Bande dessinée.
Il y a des choses extrêmement intéressantes,
mais cest
Lectrice (qui suivait lentretien et attendait sa dédicace,
Ndlr) : Parmi les autres dessinateurs
de bd, vous aimez qui ? Vous aimez Bilal ?
Beaucoup ! Lectrice :
pour quelle raison ? Tout simplement parce que
Cest
depuis longtemps, dans tous les sens du terme, cest parce que cest
un génie, tout simplement. Pour moi ça vient directement
de Jérôme Bosch. Lunivers à ses origines. Ça
vient directement de ça, donc, ce nest pas rien. Cest
le Bosch du 20ème siècle, oui, disons-le. Voilà,
ce que je pense. En plus il est charmant, très amusant, très
très romantique. Il ny a que des qualités à
lui trouver. Jinclus dans ses qualités le choix de sa femme.
Lectrice :
Vous vivez où ? Dans le Jura ? Oui et aussi
dans le Sud et aussi dans la capitale.
Lectrice :
Cest qui le Maire de V. ? Cest quoi V. ?
Ça cest le petit patelin qui est juste à côté
de chez moi. Mais cest pas de la politique. Le V. cest pour
créer un effet poétique, un effet " durasien ",
elle aimait bien ce genre de choses, et puis le V. cest effectivement
la ville à côté de laquelle je suis. Quand je parle,
parce que comme je représente les choses réelles jai
besoin de décors réels et donc cest à Vernay
les Bains donc ça commence par V. et voilà, il ny
a pas à chercher autre chose. Le travail sur la lumière
mintéresse beaucoup
Ecoutez, je préfère être un artiste quun mineur
de fond, cest plus agréable.
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