Un
album de bande dessinée nous parle du déclin de la culture du livre
et de la disparition de la classe ouvrière
L’adaptation
d’un chef d’œuvre de la littérature contemporaine
Traduit
dans onze langues, Une trop bruyante solitude, raconte
le destin tragique de Hanta, presseur de papier illettré tombé amoureux
fou des livres qu’il est chargé de détruire quotidiennement. Un
matin, son patron lui fait comprendre qu’il ne pourra pas s’adapter
à la modernisation de son métier. Devenu inutile, Hanta aura un
ultime geste de révolte en refusant de perdre ce qui donnait du
sens à sa vie.
Bohumil
Hrabal considérait Une trop bruyante solitude comme son chef
d’œuvre. Ce court roman écrit en trois semaines a été longuement
retravaillé selon des techniques de cut-up et de montage intuitif
chères à l’écrivain. Bohumil Hrabal avait coutume de dire “ L’écriture
de mes textes est un processus qui ne s’arrête jamais, il faut toujours
couper, remonter. Après ma mort j’invite mes amis à continuer à
découper mes textes, afin qu’ils continuent à vivre.”
Une
trop bruyante solitude est un récit d’inspiration autobiographique
: Bohumil Hrabal a travaillé pendant cinq ans (de 1954 à 1959) comme
presseur de papier dans un entrepôt de vieux papiers, rue Spalena,
où est située l’action du roman. Hanta, le narrateur d’Une trop
bruyante solitude, était son collègue de travail. Dans son autobiographie
Les noces dans la maison, Hrabal raconte qu’il a fini par être renvoyé
du dépôt de papier. Après la normalisation soviétique de 1968, les
ouvrages -interdits- de Hrabal ont été pilonnés dans ce même dépôt,
où était employée la femme de Hrabal, qui sauvait autant d’exemplaires
qu’elle le pouvait des livres de son mari.
Le
travail d’adaptation réalisé pour cette bande dessinée souligne
deux thèmes majeurs présents dans le roman initial et plus que jamais
d’actualité : la fin d’une culture reposant sur le livre comme outil
de connaissance et la liquidation du monde ouvrier devenu obsolète.
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Une
méthode de travail inédite
Poursuivant
leur travail sur le réel entreprit avec Le journal d’un loser
et Une année sans printemps, leurs deux précédents albums,
Ambre et Lionel Tran se sont livrés à une adaptation audacieuse du
roman du Bohumil Hrabal. Ils ont entrepris avec la photographe Valérie
Berge un travail de documentation qui a duré plusieurs années. Travaillant
à partir du script de l’album Valérie Berge a réalisé plusieurs séries
de photographies formant peu à peu son interprétation du roman.
“ Pour Une trop bruyante solitude, il m’a fallu un long moment
avant de savoir quoi représenter, j’avais envisagé, au départ, de
suivre le script de très près, et puis j’ai commencé à photographier
des ruines, c’est ainsi que s’est élaboré le paysage intérieur de
Hanta. ” Une trop bruyante solitude est un roman sur le rebut
et sur la marginalité. Bohumil Hrabal était amoureux des décharges
sauvages -comme il le raconte dans son autobiographie- il aimait les
choses rejetées et les êtres cassés. “ En tant que photographe,
j’aime les objets à l’abandon : ils portent leur histoire, ils sont
encore chargés de leur utilité déchue.” L’action du roman, qui
se situe à Prague, a été reconstituée à partir d’images de quartiers
ouvriers de Lyon. “ Dans ses romans Bohumil Hrabal raconte l’âme
des quartiers où il a vécu. Notre adaptation cherche à être juste,
plus qu’exacte. Cela aurait été moins intéressant d’aller prendre
des photographies à Prague que nous ne connaissons pas intimement.
”
Sur
Une trop bruyante solitude le style d’Ambre s’est radicalement
modifié, pour s’approcher d’un rendu parent de la gravure sur métal.
“ J’avais commencé à dessiner Une trop bruyante solitude avec les
techniques dont j’ai l’habitude, mais cela ne fonctionnait pas. J’ai
cherché longtempsune approche appropriée au roman. Je n’étais pas
du tout sûr de moi en réalisant la première page ainsi. ” Ambre
a travaillé directement d’après les photographies de Valérie Berge,
qu’il agrandissait, recadrait avant de les redessiner. “ La
photographie et le dessin, ainsi que la peinture, ont énormément en
commun. La peinture “ réaliste ” doit beaucoup à la photographie et
aux dispositifs optiques. De même que la photographie s’est inspirée
de la peinture pour ses compositions, son travail sur la lumière.
” Ambre travaillait sur plusieurs chapitres en même temps, réalisant
un montage parallèle de plusieurs séries de photographies. “ Le
script était très écrit, dès le premier jet. Je disposais d’une partition
solide, j’ai pu me permettre de faire quelque chose que je n’avais
jamais fait jusqu’ici : j’ai beaucoup improvisé, en me fiant à mes
intuitions. Je sentais où j’allais beaucoup plus que je ne le savais.
Par exemple, j’ai accepté dès le départ qu’il ne soit pas grave que
certaines cases ne soient pas lisibles. ”
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