MY JAZZY CHILD
> Damien Mingus

La trentaine avenante, Damien Mingus parcours les scènes depuis déjà quelques années à la recherche de la mélodie rare, de la sensation vraie. Un itinéraire débuté chez Active Suspension, puis Pricilia qui se prolonge ici sur Clapping rec.  Un parcours qui le mène des franges des musiques électroniques aux rivages de mangrove d’un folk éthérée et humaine.

Rencontre à l’occasion de son nouvel album I Insist.




 

INTERVIEW


Moins qu'un chien

En premier lieu, ton nom est-il un clin d’oeil à Charles Mingus ou réellement ton vrai patronyme ?
Damien Mingus : Il y a quelques années je jouais dans un groupe qui s’appelait Mingus Mingus Mingus. Le groupe
n’a pas duré longtemps, mais le surnom m’est resté…

Tu multiplies les références au Jazz : Mingus, Max Roach… Quelles peuvent être les corrélations entre ton travail et l’univers du Jazz ?
Ca fait maintenant un petit moment qu j’écoute du free jazz.. J’ai découvert vers 18/19 ans Archie Shepp, les albums  Blasé et Poem for Malcom,  parmi les 33 t. de ma mère et ça a été une grosse claque. J’ai ensuite découvert Coltrane, Ayler, Ornette Coleman, Mingus, Roach, Dolphy… Toute cette « new thing » m’a fasciné : 40 ans après, c’est encore sauvage et excitant,  musicalement très libre, à la lisière de l’expérimentation et d’une tradition  musicale aux racines africaines. Toute la dimension politique m’a aussi intéressé. J’ai d’ailleurs rédigé un mémoire sur les liens entre le free jazz et les maoïstes en France ( eh oui !) lors de mes études d’Histoire. Donc en effet c’est un univers que je connais un peu et dans lequel je baigne depuis un petit moment maintenant. Musicalement je ne me réclame pas spécialement du free jazz (ça s entend je pense !), mais disons que je me sens peut être proche de leur vision d’une musique libre, à la fois populaire et aventureuse. Exactement comme pour Wyatt, This Heat ou le Velvet Underground par exemple.

Ton univers musical aspire autant à la fébrile mélancolie du folk d’un Nick Drake / Syd Barrett, que de l’élan d’une Bossa Nova contemporaine et personnelle ?Te sens-tu attaché à un courant particulier, proche d’un style plutôt qu¹un autre ?
Je n’ai jamais eu de style préféré, ni en tant que fan de musique, ni en tant que musicien, du coup je ne sais pas trop! Ca dépend des disques que j’ai fait je pense. Mes premiers disques, instrumentaux étaient plus proches de la musique improvisée, avec des disques préparés, des fields recordings etc... Pour Sada Soul, la grande « nouveauté » était la voix. Tom Ze, Wyatt, Moondog ou même Missy Elliot ont été autant d’inspirations directes ou indirectes, surtout pour leur façon d’imbriquer leurs voix directement dans leur musique. Sinon, The Books, Davide Balula, xiu xiu, sont des musiciens dont je me sens assez proche…
I insist a été beaucoup moins pensé et est plus instinctif que Sada Soul. Du coup j’ai plus du mal à prendre de recule sur celui là, et à le placer dans un « style » précis. Une sorte de folk urbain peut être ?  Et en même temps en ce moment c’est avec King Q4 et Orval Sibelius que je travaille le plus, un trio rock (pas de nom pour l’instant), issu du groupe que j’avais formé pour jouer Sada Soul en live. Ca devient aujourd’hui un groupe a part entière, et on devrait enregistrer bientôt. 

A ce sujet, Te sens-tu proche des courants Antifolk remis au goût du jour par Hermann Dune, notamment ?
Pas spécialement, surtout parc que je ne suis pas trop toute cette scène. J’ai beaucoup écouté Palace, Smog, lou barlow, daniel johnston etc., mais je n’ai pas suivi toute leur descendance…
Cela dit cette année, j’ai bien aimé le Julie Doiron, le Joanna Newsome ou le Tara Jane O’Neil. Mais moins que le The Ex et le Converge par exemple !
Quant aux Hermann Dune, je ne connais pas tellement ce qu’il font. Je les ai vus en concert il y a 2 ans et c’était plutôt bien. En tout cas ils ont l’air de faire beaucoup de choses et c’est tant mieux !

En concert, I insist est présenté comme le nouveau My Jazzy Child, alors que l’album porte ton nom ? Quand est-il de « ton » projet initial My Jazzy Child ? Aura t¹on l’occasion d’en saisir l’évolution lors du futur Album ?
Euh pour être franc, je ne comprends pas la première partie de ta question.
 I insist est bien le nouveau my jazzy childet s’il y a quelques amis de passage, ça reste un disque que j’ai fait à 95% seul. Mais sur scène j’ai joué cette année avec un groupe, d’abord quintet pour finir trio. On rejouait les morceaux de Sada Soul, plus rock. Je n’ai pas prévu pour l’instant de jouer les morceaux de  i insist, ça arrivera peut être, mais je n’en ressens pas réellement le besoin. Pour la suite, je ne sais pas trop. Comme je disais plus haut, je me consacre pour le moment au groupe et aux enregistrements à venir, tout en continuant à  enregistrer chez moi.. Je ne sais pas encore ce que donnera le prochain my jazzy child, s'il y en aura un ou pas, mais l’envie de jouer et d’enregistrer des disques est toujours là en tout cas !

Au sein des écuries Active Suspension et Clapping, tu as toujours été quelque peu en marge des sphères électroniques, préférant te mettre en danger en chantant et en composant. Au regard de tes premières productions, il semble que tu te sois investi davantage dans une musique intimiste, plus prompt à mettre en avant tes failles et ta sensibilité. Est-ce pour toi une façon de te mettre en péril ? De recouvrer une forme d¹angoisse créatrice ?
Il y a certainement quelque chose de cet ordre là. Disons qu’à un certain moment j’ai eu l’impression de tourner en rond  et donc l’envie de faire une musique que je voulais plus personnelle. C’est une des raisons qui m’ont poussé à chanter. Du coup tout a pris un tour plus intime, qu’il s agisse de ma voix, mes paroles ou d’autres morceaux que je n’aurai certainement pas aboutis de la même façon il y a quelques temps. L’excitation est mon moteur en musique, et prendre des risques, sur scène ou sur disques, en fait parti. Il n'y a rien de plus ennuyeux, je trouve, que de se reposer sur ses acquis. Apres Sada Soul, je voulais à la fois éviter de faire le même disque et surtout éviter la surenchère, dans les arrangements notamment. Du coup Je me suis dirigé vers quelque chose de plus minimal, fait d’enregistrements plus ou moins récents, avec en ligne de mire l’envie de sortir un album simple et, j’espère, sincère.

Les premiers temps du label, on sentait réellement un esprit de Famille et de camaraderie intense (je pense à cette photo de groupe en bord de seine). Depuis, l’ambiance semble s’être un peu étiolée, l’effervescence retombée ; certains artistes ont d’ailleurs « disparu ». Y-a t’il eu des bouleversements dans la manière de s’épanouir dans « les sphères électroniques » au sein du label ?
Et bien pas tant que ça en fait. On est tous encore assez proches les uns des autres et on continue à jouer ensemble dans le cadre de la Section Amour. Il s’agit d’un collectif d’improvisation autour d’images, de vidéos, de textes, de travaux effectués en amont (www.sectionamour.net ). C’est un peu le prolongement d’Evenement ou de Concertmate, et l’on y retrouve pratiquement toute la clique : Olamm, Davide Balula, KingQ4, Noak Katoi, Rel Pot, Domotic, Erik Zahn… etc.…   Cela dit, chacun avance aussi de son coté. Beaucoup ont sortis ou termine un 2eme voir un 3eme album, on fait de plus en plus de concerts chacun de notre coté, donc ça devient plus difficile de mener des projets ensemble. Mais on reste tous proches et finalement très impliqué dans l’évolution des labels. Cela dit, même si Active suspension  s’est fait connaître comme un label d’electronica, on se rend bien compte aujourd’hui que les différents artistes vont tous chercher ailleurs que dans la musique électronique leurs inspirations : pour preuve, le dernier disque d’Olamm ou le prochain Domotic qui s’émancipe à merveille des clichés du genre sans jamais retourner leur veste ! 

Dans quel état d¹esprit te trouves-tu lorsque tu composes ? De quelle manière construis-tu tes morceaux ?
Cela dépend tellement que je ne sais pas vraiment quoi répondre. ;! Déprimé ou euphorique, en colère ou détendu, il n'y a pas de règle de ce coté là. Cela dit, je compose la plupart du temps le soir et la nuit, quand j’ai du temps pour moi. Souvent le gros du morceau est enregistré assez rapidement et ce sont ensuite les voix, les arrangements, les évolutions qui prennent les plus de temps, plusieurs jours ou semaines quelques fois.  Un morceau peut partir soit d’une idée (une phrase, une mélodie, rythme, etc..) soit d’une improvisation, que je retravaille ensuite et que je transforme petit a petit en chanson. L’informatique est formidable pour ça, un outil finalement assez simple quand on sait ce que l’on veut…

Où puises-tu ton inspiration ? Dans ton quotidien, tes lectures, l’écoute de certains disques ?
Le quotidien oui, et  c’était surtout vrai sur les 2 derniers albums, et même avant, pour mes disques sur Evenement et pricilia : il y a beaucoup d’enregistrement de mon environnement direct. Mais je suis une vraie éponge : j’ai l’impression d’intégrer particulièrement  rapidement ce qui me plait, en musique, films, bandes dessinées, romans, pour ensuite le ressortir d’une façon  ou d’une autre dans ma musique, via les paroles ou une atmosphère, une symbolique que je suis souvent le seul à connaître. Ce n’est pas forcement perceptible, mais pour moi il est très important de pouvoir  ancrer mes morceaux dans une histoire, un souvenir ou une envie personnelle, j’en ai besoin pour pouvoir avancer de façon cohérente dans un morceau, sinon, je pars vraiment dans tous les sens.. !  

Tu participes à divers projets annexes comme Encre quintet / My Jazzy Child ? Ces participations diverses t’apportent-elles un équilibre particulier ? Quelles sensations ressens-tu lorsque tu es sur scène seul ou accompagné ? Comment le public appréhende tes performances ?
Oui j’ai toujours eu tendance  à mener plusieurs projets parallèlement, j’en ai besoin, je pense. Je n’arrive pas à me poser dans un seul projet, un seul style musical. Certains me reprochent mon éclectisme d’ailleurs, mais j’en ai besoin.. J’aurai trop peur de m’ennuyer si je ne pouvais diversifier mes envies musicales. Et puis il ne s’agit pas du même rôle à chaque fois : mes disques restent évidemment mon projet le plus personnel, mais je ne pourrais pas m’en contenter. Avec Encre, c’est une autre expérience, plus proche du rôle « traditionnel » du musicien, ou l’on retravaille, réinterprète les morceaux de Yann (même si ces derniers temps, on compose de plus en plus en groupe, en partant de rien.
Avec Concertmate ou la Section Amour, on est dans une sphère plus ludique intimement lié à l’improvisation collective et à un certain goût pour les «concepts » plus ou moins fumeux sur le papier mais que l’on essaye toujours de tirer vers le ludique et la simplicité.
 Pour ce qui est du live de My Jazzy Child, il n’y a aucune règle fixe et c’est ce qui me plait d’ailleurs. J’ai d’abord jouer beaucoup en solo ou duo (avec noak katoi, olamm…) en préparant à chaque fois un concert particulier. Mais depuis 1an et demi, on a tourné en groupe, très rock, qui a évolué pour devenir aujourd’hui un trio à  part entière, de plus en plus loin de mon travail solo. C’est exactement ce que j’aime en musique : d’une envie de jouer mes morceaux avec d’autres gens, on s’est naturellement retrouvé à créer quelque chose de totalement nouveau. Du coup, les gens étaient forcement déconcertés, pourtant il s’agissait bien des mêmes morceaux, des mêmes chansons, seule la forme changeait. On a beaucoup tourné avec cette formule et avec Encre cette année (Hollande, Belgique, Suisse, Italie, Allemagne, France, Espagne…) et j’ai maintenant envie d’autre chose pour le live de mjc, mais rien ne presse. Pour l’instant la priorité est d’enregistrer et de trouver un  nom pour le trio avec kingq4 et Orval sibelius. ;!!

Les disques et livres du moment ?
Pour ce qui est des disques, outre mes disques de chevet, j’ai pas mal écouté des groupes comme Converge, High on Fire, Electric Wizard, les Melvins…. Mais aussi pas mal de vieux blues comme Charles Patton ou le fabuleux Mississipi John Hurt. Et puis en 2005, les disques de Xiu Xiu, The Ex, Liars ou Lightening Bolt.
Sinon je suis un lecteur assez chaotique. Des périodes sans rien lire si ce n’est des bandes dessinées ou la presse, et d’autres où je dévore plusieurs bouquin en m^me temps. Là je termine Don Quichotte de Cervantès, que je n’avais pas lu, et je crois bien que je vais me relire l’Homme Dé de Reinhardt. Rien de très contemporain en ce moment donc.. !

> Rédaction
© Julien Jaffré [contact] | Jadeweb 2005