Piano Magic
Los amigos tragicos


"Je pense que ce groupe est meilleur que tellement d’autres groupes… Pas seulement live. Je pense qu’on est beaucoup plus créatifs. On sait qu’on ne sera jamais Coldplay ou the Vines. On ne vendra pas autant de disques qu’eux, mais ça ne veut pas dire qu’on est de la merde et qu’ils sont géniaux. Au contraire, nous pourrions changer complètement, nous compromettre, et écrire des chansons comme Coldplay, pour vendre des millions de disques. Mais on ne le fera pas. Parce que ce n’est pas pour cela qu’on a monté un groupe."

Une chose est sûre, Coldplay ne pourrait pas se changer complètement en Piano Magic. Ça non. Glen Johnson le sait. Et c’est pour cela qu’il a l’air heureux aujourd’hui. On est vendredi midi, sous un beau soleil de novembre près d’une rivière asséchée de Tarragonne, en Espagne. " C’est tellement triste, cette rivière sans eau ".

Glen semble fixé sur le pont, édifice devenu inutile… Le genre d’endroit qui pourrait l’inspirer pour ses textes.
Si Piano Magic se démarque tellement de ses contemporains, c’est entre autres par la combinaison de paroles poétiques et désabusées à une musique sophistiquée, ciselée. Autant nourri de rock sombre (Joy Division) que d’électronique (Kraftwerk). Un canevas artisanal, régulièrement habité par des voix féminines, cousu dans du velours folk avec des coutures au sampler. Dans le nouveau bouquet de chansons que le groupe trimballe en tournée (6 en tout, plus Revolution, des Spacemen 3), l’une parle de la vie complexée d’un fils de prof (teacher’s son), une autre des employés de péage d’autoroute (tollbooth). Des thèmes tristes, mais plus que ça encore. La musique de piano magic parle d’état de faits. De vies tristes et qui le resteront toujours. Sans être dramatiques. Juste tristes. Le groupe retourne en studio au début de l’année. L’album sera prêt pour la fin 2003. C’est ce qu’espère Glen.
" Il y aura moins de collaborations que sur Writers Without Homes. Le prochain album est plus basé autour des guitares et je chante presque tous les morceaux ".

Jadeweb : Nous sommes à 4 jours de la fin de la dernière tournée de Piano Magic. Ça aussi, c’est triste. Dernière ? Vraiment ?
"Je n’ai pas eu de vacances depuis des années. J’ai vraiment besoin de faire un break. De partir en vacances avec ma copine. Jusqu’ici, à chaque fois que j’ai des vacances à mon travail, je pars en tournée avec le groupe. Je pense qu’on fera d’autres concerts, ou des festivals. Mais plus de tournées."
" C’est des conneries, ne le crois pas, il ment. Enfin, j’espère ".
James, le violoniste est beaucoup moins affirmatif.

Pourquoi un groupe s’arrêterait-il ainsi de faire des tournées ? Tout semble sourire aujourd’hui à Piano Magic.
" Tu sais, presque 50 personnes sont passés dans Piano Magic depuis le début. Il y a eu beaucoup de tensions, dans le passé. Mais maintenant, on se sent vraiment bien dans le groupe ".

Si vous ouvrez la pochette d’un de leur disque, vous trouverez rarement deux fois les mêmes noms. A part celui de Glen Johnson. C’est un concept de base : faire toujours évoluer les membres du groupe. Et apparemment, cela se fait assez naturellement. Sur cette tournée, Piano Magic joue avec un nouveau guitariste français, Franck Alba. Egalement au générique, le grand violoniste James Topham, le discret bassiste Al Steer, et un second " frenchman ", Jérôme Tcherneyan, qui a pris la batterie à la suite du départ de l’espagnol Miguel Marin. Pour les concerts, Glen Johnson chantent toutes les chansons, joue de la guitare et s’occupe du sampler.
"Pour moi, tout le monde devrait avoir un groupe dans sa vie. C’est pas pour la célébrité que j’ai formé un groupe. On ne veut pas devenir célèbre, on ne veut pas devenir riche. Bon, d’accord, on ne veut pas devenir célèbre…"

Lundi 18 novembre, Madrid.

Ce n’est pas cette tournée qui les rendra riche, en tout cas. La Sala Arena est bien remplie, mais pas entièrement. Et puis, nous sommes dans la capitale. La guest-list est assez longue. Deux autres groupes en première partie : Plan 9, un condensé local de Travis et Radiohead, et the Zephyrs, les petits Ecossais protégés de Mogwai. Ce groupe est tellement envoûtant sur disque que les voir en concert est forcément une déception, et de fait, sur scène, ils sont assez fébriles ce soir. Ce qui n’enlève rien à la qualité de leur songwriting.
Piano Magic monte sur scène vers onze heures. Et glace l’ambiance d’emblée avec un sample d’Arvo Part en guise d’introduction. Quelle claque ! Combien de groupes de rock dans le monde se permettraient de commencer leurs concerts par Arvo Part ? 2 ? 3 ? pas plus. Magnifique concert, mais Glen Johnson boude sa joie :
" C’était bizarre pour nous de jouer dans cette grande salle. Je préfère les petits endroits, comme le Vademecum, à Vigo, on joue à un mètre du public, c’est vraiment mieux pour capter l’atmosphère, et pour s’adresser au public, les yeux dans les yeux !". Quel farceur, ce Glen, lui qui n’arrive pas à regarder un appareil photo. " Tu sais, si je ne suis jamais au premier plan sur les photos du groupe, il y a une raison ".

Mardi 19 novembre, Valencia.

" Si tu choisi la plus courte, on ne joue pas. On fait ça tous les soirs ". L’organisateur espagnol avale de travers avant de tirer à la courte paille. C’est le genre de facéties qu’adore Glen Johnson. Dans ces moments tendus, juste avant les concerts, c’est sa manière à lui de détendre l’atmosphère : faire flipper les autres. Ce soir, le groupe donne un concert gratuit dans un auditorium de la faculté de Valence. On dirait presque une église. La salle est archi-comble. Il y a presque plus de spectateurs assis par terre que sur les sièges. Le set n’est pas très différent d’hier. Sauf qu’ici, les chansons calmes ressortent magnifiquement. You & John are birds se conclut par une scène assez jolie : tous les membres du groupe se regroupent lentement autour de la batterie, comme des campeurs autour d’un feu, ou des chatons autour de leur mère.
Les étudiants connaissent bien le groupe. Valence n’est pas loin de Benicassim, où se trouve le grand festival de rock de l’été. " Jouer dans un grand festival comme Benicassim, c’est un challenge différent pour nous. Ça peut être très bien ou très mauvais ". Ce fut exceptionnel. Le groupe y a joué une version longue de Password le rappel chaotique et puissant de l’album Artists’ rifles. Ils l’utilisent toujours, d’ailleurs. " C’est dommage, de jouer si fort dans cette belle salle. On aurait peut-être du faire un concert calme ce soir. Mais tu sais, quand tu as une chanson comme " Password " à la fin, même si le concert a été mauvais, les gens restent sur cette impression, et le final est toujours bien. "

Mercredi 20 novembre, Barcelone.

" La dernière fois, on a joué dans la grande salle, qu’est-ce-qui se passe ? Ce groupe est en train de disparaître, petit à petit… A votre avis, pourquoi j’écris des chansons si déprimantes ? ". Glen Johnson est d’humeur parlante ce soir. Il n’arrête pas de s’adresser au public. Le concert se passe très bien, mis à part le fait que Glen casse deux cordes. " Il me manquait une corde pour jouer Password. Ah, tu l’as remarqué ? Merde… "
Ici encore plus qu’à Valence, les jeunes amateurs d’indie-pop se sont donné rendez-vous en masse. Jean, t-shirts moulants à l’effigie de Radiohead, coupes de cheveux tendance… Ils prennent le temps de regarder les cd en vente. Les vinyles, eux, sont déjà épuisés. Signe que Barcelone est vraiment une ville incroyable pour la musique. " Je viens souvent ici. Le Razzamatazz, c’est une salle géniale." Jérôme est un aficionado du lieu. "Je représente Piano Magic en tant que DJ. Cet été, j’y ai joué plusieurs fois. Je crois que c’est la prochaine ville dans laquelle je vais m’installer " En marge de Piano Magic, vous pouvez trouver Jérôme sous le pseudonyme Riskymusic. En DJ, Glen s’appelle Textile Ranch, un pseudonyme sous lequel il a sorti deux 45 tours. " On vit tous à Londres, et on adore cette ville. Si tu cherches un batteur intéressé par Joy Division, tu peux en trouver 10 en un jour. Mais Londres est trop étouffante. Je suis tout près d’en partir, et j’aimerais m’installer soit ici soit à Berlin ".

Jeudi 21 novembre, Tarragonna.

La Sala Golfus est située à même le port. Il s’agit plus d’un grand bar pour marins, mais avec une petite scène coincée dans un angle. Indéniablement, la musique est moins mise en valeur que les centaines de bouteilles vides collectionnées par les responsables du bar. Aucun souci, Piano Magic jouera comme si de rien n’était. Quoique.
Franck :
" Ce soir, on n’aurait pas du jouer des chansons comme Tollbooth, le public n’était pas là pour ça ". Et pourtant, ce sont des tonnerres d’applaudissements qui ont conclu le concert. Comme tous les soirs, les membres du groupe dégainent leurs stylos après être descendus de scène. Bizarre, d’ailleurs, qu’un groupe si mystérieux se prête si facilement à des manies de rock-stars comme les dédicaces. A croire qu’ils se sentent vraiment bien en Espagne. " Pourquoi le public est si bon en Espagne ? Ils ont des goûts excellents " James rigole, mais il est possible qu’il ait raison.
Jérôme : " Récemment, on a joué à Manchester, dans un petit club. Il y avait à peine 5 mecs. C’était déprimant ".
Glen : " Si on joue demain à Londres, il n’y aura pas plus de 10 personnes. On n’est pas du tout attendu, là-bas. Les gens s’en foutent, de nous. "

Vendredi 22 novembre, Girona.

Départ de Tarragonna à midi. Dans la cour de l’hôtel, 15 chatons barrent le passage. Glen passe du temps à jouer avec eux. " Tu as trouvé une nouvelle famille, Glen ? sourit Alasdair. C’est hallucinant ! Je t’ai vu avec des chats cette nuit dans un rêve, et te voilà ce matin, au milieu de plein de chats ! " Andy, le manager de la tournée, n’en revient pas d’avoir fait un rêve si prémonitoire. Mais c’est comme ça, lors des tournées de Piano Magic, il ne faut s’étonner de rien.
" Je ne sais pas s’il y aura beaucoup de public ce soir " Glen a l’air de regretter de jouer trois soirs de suite autour d’une même ville, Barcelone. Le potentiel de public intéressé par Piano Magic n’est peut-être pas extensible à l’infini. " C’est pas grave, cette tournée, c’est vraiment du pur plaisir. Ça ne nous rapporte pas grand-chose. On a organisé ça comme ça, avec quelques coups de fil à des amis, et voilà. " Ce soir, à Girona, le groupe dédie le rappel au père d’un des organisateurs, récemment décédé. Geste apprécié par le public. " Password " n’en prend que plus d’ampleur. d’autant que l’ingénieur du son finit enfin par bien faire son travail à ce moment-là. L’exemple parfait du concert massacré par la technique. " C’était vraiment affreux ? " demande Glen, sûr de la réponse. Le groupe ne traîne pas. Demain, la route est longue jusqu’à Bilbao. Plus de 700 bornes. Il reste trois dates. Et c’en sera fini de la dernière tournée de Piano Magic. Soi-disant. Si tel était le cas, les membres de ce groupe repasserait à l’état de fantômes pour le commun des mortels. Absent des médias comme de leurs pochettes de disques… Ce qui n’est pas pour déplaire à Glen Johnson. " On ne joue pas de post-rock. Disons plutôt, du Ghost Rock ".

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Speed the road, Rush the lights, EP 3 titres et nouvel opus du groupe sortira en avril sur Green UFOS (label espagnol)
Prochain album prévu en septembre 2003

Entretien et photos Benjamin Bourgine | Jadeweb 2003