Arbouse Recordings est une émanation de jolis préjugés sur la musique, de soyeuses fragrances sonores, déclinés à tous les temps et selon tous les genres, de l'électronica brisée à de la folk brumeuse, des espaces sonores multidimensionnels aux confinements discrets d'une masure, tout devenant alors prétexte à l'hédonisme et à la découverte. Après la diffusion du premier album d'Acetate Zero (les Hood français), d'Eglantine (lignée Autechre, Third Eye Foundation), la sortie d'une compilation thématique Bucolique où figure pêle-mêle la crème de l'international (de Rothko à Köhn en passant par To Rococo Rot), voici le label au-devant de l'actualité avec la parution récente du split Schneider TM/ Alc Lavora de toute beauté. Une actualité en appelant une autre, lLe fanzine Attaché aux labels sort son second numéro. Deux raisons de trop pour ne pas s'arrêter un instant en compagnie de Cyril Caucat, boss d'Arbouse et investir un peu de notre temps et de notre écoute dans cette petite aventure humaine…

Jadeweb : De quelle nécessité est né Arbouse recordings ? Est-ce que tes objectifs de départ rejoignent tes attentes actuelles ?
Cyril Caucat :
On ne peut pas parler véritablement de nécessité pour la création d'Arbouse recordings, mais plutôt d'une continuité logique à un investissement dans la musique commencé avec le fanzine @game il y a quelques années ; et même un mail-order intitulé It's groove il y a encore plus longtemps. Il s'agit plus pour moi d'un aboutissement. Bon, je t'avoue que cela faisait un moment que ça me trottait, j'en rêvais. Et puis voilà, j'imaginais ça plus difficile... Aujourd'hui les moyens -comme Internet- permettent de mettre sur pied des projets, sans devoir remuer ciel et terre. L'édition phonographique s'est considérablement démocratisée, les prix ont baissé -même si ça reste cher à mon sens. Pour ce qui est de la tournure que prend le label, je ne m'étais fait aucune illusion et je n'avais jamais tiré de plans sur la comète. Je n'ai jamais rien calculé et Arbouse recordings s'est développé à son rythme, sans objectif. J'ai fonctionné au gré des rencontres, des opportunités et des envies. J'espère que ça va continuer ainsi. Je n'ai aucun objectif, si ce n'est sortir ce qui me plait... C'est une affaire un peu égocentrique, mais quelque fois ça fait du bien... Et je me rends compte que ça ne plait pas uniquement qu'à moi... Donc pas d'attentes, pas d'objectifs, si ce n'est être "éclectique et en dehors des sentiers battus".

La première compilation du label, Bucolique, aborde le thème de la nature. C’est une entrée assez étrange, surtout pour des artistes qui manient l'électronique et les nappes synthétiques. Comment a-t-elle été perçue par les artistes associés au projet ?
Mon idée est partie d'une réflexion simple. La musique m'évoque souvent des images, des scènes, des ambiances. Elle me fait voyager et me suggère régulièrement un contexte, un cadre ou une impression, à la manière d'un bouquin. De par mon histoire et ma culture, je suis plutôt quelqu'un qui se sent proche de l'univers sauvage et naturel que des mondes urbains... L'idée m'est venue "naturellement" de réunir et faire travailler plusieurs artistes ou groupes, d'horizons divers sur le thème de la nature. L'électronique ne me semblait pas incompatible avec cette thématique, là aussi c'était une histoire de suggestion, d'impression... Dans l'ensemble, j'ai reçu un plébiscite de la part des artistes que j'ai contactés. Tant et si bien qu'un deuxième volume verra le jour et un troisième, toujours sur cette thématique... L'idée de travailler, qu'il y ait un fil conducteur au projet, et que celui-ci donne toutefois une entière liberté à la création, les a enthousiasmés... Rares sont ceux qui ont décliné mon offre, et cela s'est fait malgré leur planning souvent très chargé... C'est te dire que l'idée les séduisait...

Quelles sont tes priorités au sein du label ? Le choix des artistes, le suivi dans la distribution, le prolongement médiatique ?
Il n'y a pas vraiment de priorités... Tout se fait à pas de velours, tranquillement et de façon coordonnée. Je ne suis pas obnubilé par le développement de mon label, et chaque chose en son temps comme dit l'autre... Le choix des artistes bien sûr, qui se fait au hasard de rencontres, la distribution qui est un élément primordial et ô combien délicat et enfin le prolongement médiatique, qui n'est pas ma partie "de plaisir"... Je distingue peut être le choix des artistes du reste. Ils sont représentatifs du label, ça passe souvent par une amitié, et ils construisent le label avec moi. Ils sont donc étroitement associés. Néanmoins ce sont trois étapes bien distinctes, et chez moi les délais entre elles sont très longs... Sauf pour les deux dernières où peut être les choses s'accélèrent. Enfin façon de parler, Arbouse recordings est un petit label qui fait avec ses moyens...

Quel serait selon toi le fil d'Ariane reliant chacun des artistes du label ? Comment définirais-tu leurs productions et leurs approches, notamment en ce qui concerne les jeunes talents (Alc Levora, Eglantine, Sink, etc.) ? Leurs travaux, quoiqu'électroniques dépassent le cadre strict du genre ?
Je ne veux surtout pas qu'Arbouse recordings soit considéré comme un label de musique électronique. Je prône l'éclectisme haut et fort, et je crois que ce serait faux d'affirmer le contraire. Bucolique Vol.1 est justement la compilation qui traduit peut être le mieux ce sentiment... À partir de là, c'est vrai que les travaux des artistes propres au label (Sink, Elc Levora, Eglantine, Hopen, Arco...), même s'ils sont tournés prioritairement vers l'électronique, présentent tout de même des relents et des réminiscences diverses... Ils viennent tous d'un monde musical autre qu'électronique, ils sont tous passés par des étapes pop, rock, punk ou new wave... Cela se voit, s'entend... Mais jusque là rien d'original. Non, je ne sais pas ce qui pourrait les réunir dans leur démarche... Il n'y a pas de fils d'Ariane qui les relie tous. J'ai écouté leur musique un jour et j'ai flashé... Ils sont tous assez différents les uns des autres, ont leur personnalité musicale bien marquée. Ce qui les rapproche peut être, serait tout simplement la même volonté et la même envie de participer au développement du label... On débute ensemble...

Dans ce sens, penses-tu qu’un brassage des genres musicaux soit l'avenir de la musique électronique ? Zend Avesta parlait dans une interview donnée à Planet of sound d'une diffusion totale de celle-ci dans les autres genres jusqu’à dissolution absolue ? Ton avis ?
Sous peine de me répéter, comme je le disais tout à l'heure, j'ai tout misé sur l'éclectisme et sur l'ouverture musicale. Je ne pouvais pas faire autrement. Je suis comme ça. Je suis avant tout un auditeur qui ne veut pas se cantonner à un style, et surtout pas électronique... C'est restrictif, sectaire, et contraire à l'image que j'ai de l'enrichissement culturel... Arbouse recordings est né de cette position... Je crois bien sûr au mélange des genres, à leurs croisements... Je n'ai jamais aimé les chapelles, et je ne sais pas si elles existent véritablement... Les musiques se sont toujours enrichies les unes des autres, la musique électronique n'est pas un genre en soi... Elle ne se dissoudra dans rien, elle est déjà dissoute dans des tas de trucs, et ça a commencé il y a déjà un moment... On reparle de pop dans l'électronique ou de new wave. On remixe Barber ou Satie, on balance des rythmes hip hop ou salsa, la dissolution, elle, est permanente. Bien sûr ça occasionne une production de merdes considérable, puisque nous sommes rentrés en plus dans une ère de consommation et de recyclage... Le brassage, quel qu'il soit est l'avenir... C'est l'avenir de l'homme (c'est aujourd'hui l'avènement de la psycho interculturelle), de l'art, de la création... Alors pour les musiques électroniques, le brassage est en route depuis longtemps, bien avant que Zend Avesta sorte des disques...

Penses-tu qu'il y ait un phénomène de mode autour du genre électronica/atmosphérique ? Quelle place y jouent les médias ?
Pour sûr... Si c'est pas branchouille de dire que l'on écoute de l'électro... Surtout à Paris... En province encore, on s'en fout... Les médias ne jouent aucun rôle... Je parle des médias qui ont pignon sur rue.
Ils ne font aucun travail de défrichage, et leur seule raison d'exister c'est de vendre du papier... Quand tu sais que la presse française est gérée par deux groupes de presse, à moi la peur. Ils ne s'intéressent à un label que quand il commence à vendre des disques (normal puisque il fera automatiquement vendre du papier)... La presse, elle ne risque pas de t'aider (c'est comme les banques, ça ne prend pas de risque)... Quand j'ai dit ça, j'ai presque tout dit...
La presse indépendante est désormais pratiquement inexistante, les émissions radio qui jouent un rôle pédagogique et de "découvreurs" se comptent sur les doigts de la main, la télé est inaccessible. Sauf pour Virgin, Warner et Universal, bien sûr... C'est bien connu, aujourd'hui si tu veux un papier dans un canard, il faut que tu achètes un espace publicitaire... Alors la mode des musiques électroniques n'est qu'un leurre. Une couv avec les Chemical brothers, un spot publicitaire avec Revolution du mec d'ici d'ailleurs ou un sujet sur Notwist à Trax sur Arte et voilà, la musique électronique est le dernier phénomène culturel... C'est du vent... Il n'y a aucun travail de fond, et pourtant on pourrait en faire des trucs... Et le pire c'est qu'il faut faire avec ça pour ta promo, t'as pas le choix.

Quels sont selon toi les artistes majeurs du moment ? Les labels à surveiller ?
Alors là, c'est difficile de répondre... J'aime des musiciens, de là à dire qu'ils sont majeurs, ça se juge sur le temps peut être... Peut être Fennesz est majeur, Hood dans un autre genre...
Sinon j'aime bien Electric birds, Sybarite, Explosions in the sky, KC accidental, Designer, Tortoise...
Pour les labels  : Deluxe, Temporary residence, Noise factory, Schematic, Tomlab, Orgasm...

On a du mal à augurer de l’impact du CdR sur les petites structures ? Cela favorise-t-il la création et l’expansion -toute proportion gardée- des petits labels ou au contraire le dessert-il ?
Les deux à la fois... Ça démocratise la production discographique et ça favorise le développement culturel. Mais ça bloque pour la distribution et la médiatisation du disque...
Le CdR, c'est à la fois pratique parce que c'est facile à concevoir et à reproduire, mais je le vois surtout comme un positionnement presque politique dans la chaîne de l'industrie du disque. C'est un gros bras d'honneur à tout ce système. Même si on essaye de l'étouffer. Par contre là où le système te rattrape, c'est pour distribuer tes disques, là c'est pour ta pomme. Rares sont les distributeurs, là aussi courageux -c'est comme la presse, il faut que ça vende- qui s'engageront à distribuer du CdR, et pour avoir une chronique, il faut que tu attendes longtemps pour avoir trois lignes et encore au fin fond d'une rubrique, genre "démos ou découverte"...
D'un autre côté, si c'est un positionnement et un choix artistique de faire du CdR, on peut se passer de ces étapes, et on porte le truc tout seul... En bref, quand on fait du CdR, il ne faut compter que sur soi. Sauf quand on s'appelle Tigerbeat6 ou Staalplaat et que faire du CdR, ça ne pose aucun problème. On retombe sur nos pieds. Bien sûr il y a la réputation du label ; mais il y a aussi un phénomène de mode, non ? Alors je ne sais pas si toute proportion gardée, si ça favorise la création de label... De toute manière, il faut qu'il y ait des types qui achètent les disques d'un label pour que celui-ci fonctionne (point de vue, en tout cas du distributeur ou des médias), et là aussi les types sont rares pour acheter du CdR, "ça fait pas vrai"... C'est en tout cas ce qu'on m'a dit un jour...

Penses-tu les auditeurs plus exigeants qu'auparavant ? Ne sont-il pas noyés dans l’abondance ?
Voilà une question qui me préoccupe... Quand je réalise des interviews pour mon fanzine, elle revient souvent. Comment arriver à sortir du lot, de cette masse de productions discographiques. Ça parait a priori difficile. Il faut arriver je crois à se trouver une identité. Ça passe par la musique que tu défends, les artistes du label bien sûr mais pas uniquement. Ton discours aussi, tes visuels... Ça n'est pas simple, mais c'est ce qui est passionnant. Arriver à ne pas ressembler à tout le reste... Les auditeurs, de toute manière ne sont pas si nombreux -un mec me disait qu'on sortait des disques pour une poignée de gens et je crois que c'est vrai...-. C'est vrai qu'ils sont sollicités, et très certainement noyés. Je ne les pense pas plus exigeants qu'autrefois, bien au contraire. Ils font des choix qui ne leur sont pas forcément propres (effet de mode...?), ça parait vraiment difficile aujourd'hui d'avoir suffisamment de recul, pour se dire que tel ou tel disque fait la différence. Les auditeurs aujourd'hui sont surtout des consommateurs de sons à la manière des chroniqueurs, voraces de disques... On tourne vite la page... On ne prend plus le temps, d'aller plus loin, d'en savoir plus . Mais ça va de pair avec ta question sur la médiatisation... On creuse rien, on consomme seulement.

Discographie
ALC LEVORA / SCHNEIDER TM Normes et déviances 1
1er volet de la Collection "Normes et Déviances"  
Cette collection se présente dans un format court (4 titres). Elle réunira deux artistes ou groupes, où chacun conçoit un morceau et remixe celui de l'autre. L'originalité de cette collection réside surtout dans les collaborations (un artiste méconnu avec un autre qui l'est beaucoup moins...)

arboufirststep001 HOPEN Nailing shadows (10 tracks)
Cette série ne sortira qu'en CDR et permettra à de jeunes musiciens de se faire (re)connaître, tout en bénéficiant de l'image d'un label, par ailleurs éditeur de support plus traditionnel…
V/A BUCOLIQUE VOL.1 with Twisted Science, Sink, Chessie, Electric Birds, Rothko, Hood…
ACETATE ZERO Pieces in trouble + remixs (Rothko, Köhn, Robert Lippok…)
EGLANTINE Musique rouge

A venir
arbou004  Nouvel album d'ACETATE ZERO
arbou005  Ep de SINK
arbou006   : Ep de ARCO
arbou007 : Compilation BUCOLIQUE Vol.2 Designer / Marumari / Gel : / KCaccidental
/ Pimmon / Velma / Calla / Un Automne à Lob-Nor / Amp /
Phosphene / Ma cherie for painting / Astrid / Ddamage / Yellow6 / Lena…

arbouse recordings | Le Bourg - 12630 Montrozier | France
mèl | site

Entretien © Julien Jaffré & Jadeweb, 2002