Dave Pearce
l'homme_qui_venait d'ailleurs
Flying Saucer Attack !
Il est rare qu’à l’écoute d’un disque on soit à ce point intrigué qu’on en vienne à se demander l’origine des sons produits. La spécialité de Flying Saucer Attack, le groupe de Dave Pearce, c’est la distorsion de guitares. Il les fait passer à travers tous types d’effets et les superpose sur son magnéto 8 pistes jusqu'à obtenir une sorte d’immense mur du son insondable, à mi-chemin entre rock expérimental, folk rural et noisy-pop. A domicile plutôt qu’en studio, Flying Saucer Attack reprend l’histoire où My Bloody Valentine l’avait laissée : en poussant toujours plus loin les limites de l’impénétrable. Sur la foi d’un quatrième album, l’atypique et lo-fiesque New Lands, rencontre avec un garçon bien moins mystérieux et torturé que ne l’est sa musique. A Bristol, on change de disque.

Dave Pearce : Quand Flying Saucer Attack a débuté, nous ne savions pas vraiment vers quoi aller. Nous nous étions juste mis d’accord sur une base noisy et on s’amusait bien. C’est après le premier single qu’on a commencé à prendre le groupe au sérieux. C’était bien avant qu’on commence à parler de space-rock, de post-rock... Mais, depuis près d’un an et demi, je trouvais ce que nous faisions vraiment chiant. Raison pour laquelle New Lands, notre dernier album, s’est fait attendre. Il a fallu qu’on repense toutes nos idées. Aujourd’hui, ça va mieux. Je crois qu’on a développé une partie rythmique qui n’existait pas auparavant. Je me sens par exemple enfin prêt à intégrer un séquenceur à notre musique sans que ce soit hors de propos. Comme tu le sais peut-être, je fais partie de ceux qui achètent énormément de disques. Je ne les garde pas tous, mais j’en achète beaucoup - quelque chose comme cinq par semaine, parce que j’ai lu quelque chose de très favorable à leur sujet ou que quelqu’un m’en a parlé... J’achète aussi bien des disques bradés que des nouveautés, mais je ne garde que ceux qui me plaisent vraiment, ce qui explique que ma collection ne s’évalue qu’en centaines de disques alors que, chez d’autres, je sais que c’est en milliers qu’il faut parler. Et j’ai remarqué que la plupart des artistes, y compris ceux que je préfère, finissent toujours par rentrer dans la norme à un moment de leur carrière, parfois jusqu'à en devenir chiants. Avec Flying Saucer Attack, j’espère que nous n’en sommes pas encore arrivés là. Je sais qu’on a abusé par le passé, mais j’ai aussi le sentiment que New Lands est notre meilleur album depuis un moment. Il m’est difficile de dire précisément pourquoi parce que je ne l’ai pas écouté beaucoup de fois depuis que l’enregistrement est terminé. L’avantage de cette situation, c’est que chaque fois que je l’écoute, je parviens presque à l’apprécier comme si c’était le disque de quelqu’un d’autre.

Pourquoi ce titre, New Lands ? Je voulais un titre qui comporte l’idée de voyage, comme dans Further (nom du second album de FSA). C’est une chose d’être fan de musique et d’acheter beaucoup de disques, mais c’en est une autre que de monter ton propre groupe, d’être impliqué dans quelque chose qui n’était auparavant qu’une source d’intérêt qui se résumait à collectionner et écouter - une attitude assez passive. L’idée de parcours était donc pour moi très importante, et j’étais justement en train de chercher un moyen de l’exprimer quand je suis tombé sur ce livre qui parlait des phénomènes étranges -New Lands, écrit par Charles Fort. C’est un auteur qui fait aujourd’hui figure de précurseur. Pour décrire des types de phénomènes étranges comme les OVNI ou les esprits, on utilise d’ailleurs parfois le terme de « forteana ». C’est en lisant New Lands que l’idée du titre m’est venue. C’est aussi un clin d’oeil au titre de l’album de Roni Size New Forms.

Pourquoi les gens ressentent-ils le besoin de croire en une présence qui va se manifester des profondeurs de l’univers et venir nous détruire ? Et les soucoupes volantes, ça t’intéresse aussi ?
C’est plus l’aspect social de la chose qui m’intéresse. C’est un peu comme une nouvelle religion. Pourquoi les gens ressentent-ils le besoin de croire en une présence qui va se manifester des profondeurs de l’univers et venir nous détruire ? Independance Day, X Files, Mars Attacks... Quand le groupe a commencé, c’était bien avant toute cette agitation autour des extra-terrestres. Le nom était un peu moins connoté qu’aujourd’hui. Pour moi, « Flying Saucer Attack » suggérait surtout l’idée d’un bruit énorme - une définition à laquelle correspondent bien nos premiers disques. C’était aussi le nom d’un morceau des Rezillos, un groupe punk anglais.

Pourquoi les gens sont-ils selon toi si intéressés par le surnaturel ?
Je n’ai pas de théorie à ce sujet, mais je pense que la musique peut également être le moyen d’atteindre un certain au-delà. La musique au tout début avait une connotation religieuse qu’elle a aujourd’hui complètement perdue : elle s’adressait aux esprits comme parfois à Dieu directement... Il y a aussi le fait que nous arrivions à la fin d’un siècle qui perturbe beaucoup les esprits, à cause des changements qui vont avoir lieu à cette occasion. Les gens ont besoin de quelque chose de nouveau, de neuf - et moi le premier. C’est peut-être la raison pour laquelle je fais de la musique. C’est plus intéressant que de bosser dans un magasin, ça je peux le dire...

Même un magasin de disques ? Même un magasin de disques. Au bout de quelques années, tu finis par t’en lasser. Très vite même. Raison pour laquelle en Angleterre beaucoup de gens te diront qu’ils ont un jour bossé dans un magasin de disques. Bien que ce soit un truc de passionné, le but de ta journée, c’est quand même de vendre des disques. Tu es debout derrière le comptoir, et il faut que tu vendes... Mais où en étais-je ? Oui : nous nous demandions pourquoi les gens sont si intéressés par l’ailleurs. Les années 80 ont apporté la vidéo et l’ordinateur, mais les années 90, à part internet, ont été beaucoup moins riches. Même musicalement parlant, rien de très passionnant ne se passe. Prends comme exemple les années 60 en Angleterre : la scène musicale changeait du tout au tout d’année en année. Dans les années 90, on se traîne. Il n’y a pas qu’en musique d ‘ailleurs. Va t’étonner ensuite que les gens se passionnent pour les OVNI... Et le plus drôle, c’est que plus le sujet devient populaire, plus les gens commencent à en parler sérieusement.

Tu avais fait de la formule « home taping is reinventing music » une profession de foi. Est-ce toujours le cas ?
Si le fait d’enregistrer chez soi ne permet pas de réinventer la musique, je pense au moins qu’il y contribue, et cela qu’on joue avec des guitares, des synthés ou des samplers. Regarde par exemple tous les labels de dance qui apparaissent par ce biais : faire de la musique devient plus démocratique qu’auparavant, et c’est une bonne chose. Il y a 5 ans, c’était très dur de trouver en Angleterre un label qui était susceptible d’éditer tes disques si tu ne sonnais pas comme le groupe à la mode du moment. Maintenant c’est beaucoup plus facile, et pas seulement pour moi qui ait la chance d’avoir un nom qui ouvre des portes, mais aussi pour beaucoup de gens que je connais depuis le début des années 90. Aux tous débuts du groupe, nous étions six, avec chacun suffisamment de personnalité et de talent pour écrire des chansons, et tout le monde s’en foutait. C’était comme ça. Parmi ces six personnes, quatre ont publié l’année dernière un disque, comme Rich qui joue dans Amp ou Gareth qui a sorti un album chez Kranky sous le nom de Philosophy Stones. Pourquoi la plupart de ces gens peut aujourd’hui publier des disques ? Parce que quand tu enregistres chez toi, la maison de disques n’a pas de frais de studio à payer - ce qui permet d’économiser des milliers de livres. Tu envois ta cassette en disant « je vous propose cet album, est-ce que ça vous intéresse ? », et le label n’a plus qu’à prendre à sa charge la fabrication, ce qui, aux Etats-Unis, revient à un coût très bas. Le fait d’enregistrer chez soi est devenu tellement commun qu’il n’est plus associé à la lo-fi. Les musiciens de Tortoise, par exemple, enregistrent chez eux sans qu’on puisse les accuser de faire du minimalisme.

Mais penses-tu qu’il y a une plus grande part de disques intéressants parmi ceux qui sortent aujourd’hui ?
Non. La proportion de disques intéressants figurant parmi ceux qui sont publiés ne change pas beaucoup d’année en année. Dans les années 80, il était impossible de penser que quelque chose que tu as enregistré chez toi puisse se retrouver édité tel quel. Mais la qualité du matériel d’enregistrement domestique n’a pas cessé d’évoluer année après année -notamment grâce à la révolution du digital. La house-music par exemple est un pur produit de l’école home-taping, et je pense que c’est la limitation technique du matériel utilisé pour la dance-music qui est en grande partie responsable du son de ces productions. Pareil avec les samplers qui ont généré une nouvelle forme de musique uniquement basée sur les possibilités techniques de cet appareil. Je crois qu’on commence tout juste à se rendre compte des avantages du home-taping, comme celui de pouvoir passer plus de temps sur les morceaux étant donné que ton temps n’est pas limité par un budget d’enregistrement. Comme s’il s’agissait d’une peinture, tu peux avancer à ton rythme, quitte à laisser les choses en plan et les reprendre plus tard, chose que tu ne peux absolument pas envisager quand tu enregistres en studio, à moins bien sûr d’avoir un budget illimité.

Tu as dedié deux morceaux à Popol Vuh*. Es-tu si fan de ce groupe ?
Je dirais oui jusqu’en 1987 et la BO du film d’Herzog Cobra Verde. Après, ils ont publié deux ou trois albums qui n’ont pour moi aucun rapport avec ce qu’ils ont fait précédemment. Mis à part le nom qui est le même, musicalement, ça n’a plus rien à voir. Je n’ai pas de préférence pour un album de Popol Vuh plutôt qu’un autre étant donné que je considère tous leurs enregistrements antérieurs à 1992 comme faisant partie d’un tout. Certaines personnes prétendent également qu’il faut voir leurs disques comme un ensemble et non pas les détailler morceau par morceau. Je trouve ce groupe magnifique, magique. C’est difficile d’expliquer pourquoi, c’est comme une présence. Quelque chose de très profond. C’est au-delà des mots...

Pourtant Popol Vuh, c’est presque les débuts de la new-age...
C’est plus que ça à mon avis. C’est sûr que, rétrospectivement, c’est plus proche de la new-age que du krautrock, mais tout ce qu’on rassemble sous l’étiquette krautrock est assez varié. Cluster : électronique, Ash Ra Temple : acid-rock, Can : rythmique, sans parler de Kraftwerk qui ne ressemble qu’à du Kraftwerk. Tu ne peux pas réunir ces groupes sous la même appellation et faire croire qu’il y a quelque chose de commun entre eux au niveau du son.

Ce que tu joues doit être le reflet de ce que tu es, de ce que tu as vécu, pas de ce que tu as écouté précédemment Que penses-tu du revival autour du rock avant-gardiste allemand des années 70 ?
Je n’y suis pour rien (rires). Je crois que le krautrock était une période très riche musicalement, et que c’est une bonne chose que les gens la redécouvrent - je parle ici en tant qu’auditeur. Les bons disques méritent toujours d’être écoutés, quelles que soient les époques. Le fait que beaucoup de titres soient réédités en CD permet de mettre facilement la main sur des disques qui étaient impossibles à trouver précédemment. Il y eut de très bonnes choses dans le krautrock comme il y en a eu en Nouvelle Zélande vers la fin des années 80-début des années 90. Prends par exemple les albums instrumentaux de Peter Jefferies édités à 300 exemplaires en vinyle à l’époque : s’ils n’avaient pas été réédités en CD, beaucoup de gens n’en n’auraient jamais connu l’existence. Cet effet de mode autour du krautrock ne me dérange pas. Ce qui me gêne plus, et je ne sais pas si c’est la même chose ici, c’est ceux qui se mettent à copier ce son aujourd’hui. Autant j’éprouve du plaisir à découvrir des disques qui ont été enregistrés il y a une vingtaine d’années, autant je trouve beaucoup moins intéressant que des musiciens d’aujourd’hui récupèrent des choses du passé. Pour moi, il n’y a pas de mal à écouter ce qui a existé avant. Pour faire toi-même quelque chose de neuf, il te faut un minimum de culture musicale. Mais avoir de la personnalité est quelque chose de capital quand tu prétends être musicien. Ce que tu joues doit être le reflet de ce que tu es, de ce que tu as vécu, pas de ce que tu as écouté précédemment. Je ne crois pas que tout ce qui est apparu de nouveau ces dernières années ait été emprunté au passé : bien au contraire, tous les mouvements musicaux naissants sont surtout le résultat du matériel apparu sur le marché. Tu n’aurais pas eu les Beatles sans guitares électriques et sans amplis. Pas de Who sans des amplis guitares encore plus puissants et sans pédales de distorsion. Pas de Jimmy Hendrix sans pédale wah-wah. Le punk, c’était différent, même si, sans les Stooges, il n’y aurait pas eu de mouvement punk. Vois le développement de la musique électronique et l’apparition de groupes comme Human League -et plus tard Gary Numan et Duran Duran : elle est entièrement liée à la généralisation de l’emploi des synthétiseurs. Le sampler est aujourd’hui devenu un instrument répandu : il n’a à mon avis pas fini de révolutionner le monde de la musique. Discographie Domino / PIAS


* Popol Vuh est un groupe allemand des années 70 qui appartient, aux côtés de Klaus Schultze, Tangerine Dream ou The Cosmic Jokers, à la frange la plus spatiale et atmosphérique de la « Kosmische Musik ». Mené par Florian Fricke, il peut être considéré comme un des précurseurs de la new-age.


Entretien paru dans Jade 15 © Philippe Dumez & 6 Pieds Sous Terre, 1998. Photo © Edie Vee