Dave
Pearce :
Quand
Flying Saucer Attack a débuté, nous ne savions pas vraiment vers quoi
aller. Nous nous étions juste mis daccord sur une base noisy
et on samusait bien. Cest après le premier single quon
a commencé à prendre le groupe au sérieux. Cétait bien avant
quon commence à parler de space-rock, de post-rock... Mais,
depuis près dun an et demi, je trouvais ce que nous faisions
vraiment chiant. Raison pour laquelle New Lands, notre dernier
album, sest fait attendre. Il a fallu quon repense toutes
nos idées. Aujourdhui, ça va mieux. Je crois quon a développé
une partie rythmique qui nexistait pas auparavant. Je me sens
par exemple enfin prêt à intégrer un séquenceur à notre musique sans
que ce soit hors de propos. Comme tu le sais peut-être, je fais partie
de ceux qui achètent énormément de disques. Je ne les garde pas tous,
mais jen achète beaucoup - quelque chose comme cinq par semaine,
parce que jai lu quelque chose de très favorable à leur sujet
ou que quelquun men a parlé... Jachète aussi bien
des disques bradés que des nouveautés, mais je ne garde que ceux qui
me plaisent vraiment, ce qui explique que ma collection ne sévalue
quen centaines de disques alors que, chez dautres, je
sais que cest en milliers quil faut parler. Et jai
remarqué que la plupart des artistes, y compris ceux que je préfère,
finissent toujours par rentrer dans la norme à un moment de leur carrière,
parfois jusqu'à en devenir chiants. Avec Flying Saucer Attack, jespère
que nous nen sommes pas encore arrivés là. Je sais quon
a abusé par le passé, mais jai aussi le sentiment que New Lands
est notre meilleur album depuis un moment. Il mest difficile
de dire précisément pourquoi parce que je ne lai pas écouté
beaucoup de fois depuis que lenregistrement est terminé. Lavantage
de cette situation, cest que chaque fois que je lécoute,
je parviens presque à lapprécier comme si cétait le disque
de quelquun dautre.
Pourquoi
ce titre, New Lands
? Je voulais un titre qui comporte
lidée de voyage, comme dans Further (nom du second
album de FSA). Cest une chose dêtre fan de musique et
dacheter beaucoup de disques, mais cen est une autre que
de monter ton propre groupe, dêtre impliqué dans quelque chose
qui nétait auparavant quune source dintérêt qui
se résumait à collectionner et écouter - une attitude assez passive.
Lidée de parcours était donc pour moi très importante, et jétais
justement en train de chercher un moyen de lexprimer quand je
suis tombé sur ce livre qui parlait des phénomènes étranges -New
Lands, écrit par Charles Fort. Cest un
auteur qui fait aujourdhui figure de précurseur. Pour décrire
des types de phénomènes étranges comme les OVNI ou les esprits, on
utilise dailleurs parfois le terme de « forteana ». Cest
en lisant New Lands que lidée du titre mest venue.
Cest aussi un clin doeil au titre de lalbum de Roni
Size New Forms.
Pourquoi les gens ressentent-ils le besoin de
croire en une présence qui va se manifester des profondeurs de lunivers
et venir nous détruire ? Et les soucoupes volantes, ça tintéresse
aussi ? Cest plus
laspect social de la chose qui mintéresse. Cest
un peu comme une nouvelle religion. Pourquoi les gens ressentent-ils
le besoin de croire en une présence qui va se manifester des profondeurs
de lunivers et venir nous détruire ? Independance Day, X
Files, Mars Attacks... Quand le groupe a commencé, cétait
bien avant toute cette agitation autour des extra-terrestres. Le nom
était un peu moins connoté quaujourdhui. Pour moi, « Flying
Saucer Attack » suggérait surtout lidée dun bruit énorme
- une définition à laquelle correspondent bien nos premiers disques.
Cétait aussi le nom dun morceau des Rezillos,
un groupe punk anglais.
Pourquoi les gens sont-ils selon toi
si intéressés par le surnaturel ? Je
nai pas de théorie à ce sujet, mais je pense que la musique
peut également être le moyen datteindre un certain au-delà.
La musique au tout début avait une connotation religieuse quelle
a aujourdhui complètement perdue : elle sadressait aux
esprits comme parfois à Dieu directement... Il y a aussi le fait que
nous arrivions à la fin dun siècle qui perturbe beaucoup les
esprits, à cause des changements qui vont avoir lieu à cette occasion.
Les gens ont besoin de quelque chose de nouveau, de neuf - et moi
le premier. Cest peut-être la raison pour laquelle je fais de
la musique. Cest plus intéressant que de bosser dans un magasin,
ça je peux le dire...
Même un magasin de disques ?
Même un magasin de disques. Au bout de quelques
années, tu finis par ten lasser. Très vite même. Raison pour
laquelle en Angleterre beaucoup de gens te diront quils ont
un jour bossé dans un magasin de disques. Bien que ce soit un truc
de passionné, le but de ta journée, cest quand même de vendre
des disques. Tu es debout derrière le comptoir, et il faut que tu
vendes... Mais où en étais-je ? Oui : nous nous demandions pourquoi
les gens sont si intéressés par lailleurs. Les années 80 ont
apporté la vidéo et lordinateur, mais les années 90, à part
internet, ont été beaucoup moins riches. Même musicalement parlant,
rien de très passionnant ne se passe. Prends comme exemple les années
60 en Angleterre : la scène musicale changeait du tout au tout dannée
en année. Dans les années 90, on se traîne. Il ny a pas quen
musique d ailleurs. Va tétonner ensuite que les gens se
passionnent pour les OVNI... Et le plus drôle, cest que plus
le sujet devient populaire, plus les gens commencent à en parler sérieusement.
Tu avais fait de la formule « home taping is
reinventing music » une profession de foi. Est-ce toujours le cas
? Si le fait denregistrer
chez soi ne permet pas de réinventer la musique, je pense au moins
quil y contribue, et cela quon joue avec des guitares,
des synthés ou des samplers. Regarde par exemple tous les labels de
dance qui apparaissent par ce biais : faire de la musique devient
plus démocratique quauparavant, et cest une bonne chose.
Il y a 5 ans, cétait très dur de trouver en Angleterre un label
qui était susceptible déditer tes disques si tu ne sonnais pas
comme le groupe à la mode du moment. Maintenant cest beaucoup
plus facile, et pas seulement pour moi qui ait la chance davoir
un nom qui ouvre des portes, mais aussi pour beaucoup de gens que
je connais depuis le début des années 90. Aux tous débuts du groupe,
nous étions six, avec chacun suffisamment de personnalité et de talent
pour écrire des chansons, et tout le monde sen foutait. Cétait
comme ça. Parmi ces six personnes, quatre ont publié lannée
dernière un disque, comme Rich qui joue dans Amp
ou Gareth qui a sorti un album chez Kranky sous le nom de Philosophy
Stones. Pourquoi la plupart de ces gens peut aujourdhui
publier des disques ? Parce que quand tu enregistres chez toi, la
maison de disques na pas de frais de studio à payer - ce qui
permet déconomiser des milliers de livres. Tu envois ta cassette
en disant « je vous propose cet album, est-ce que ça vous intéresse
? », et le label na plus quà prendre à sa charge la fabrication,
ce qui, aux Etats-Unis, revient à un coût très bas. Le fait denregistrer
chez soi est devenu tellement commun quil nest plus associé
à la lo-fi. Les musiciens de Tortoise, par exemple, enregistrent chez
eux sans quon puisse les accuser de faire du minimalisme.
Mais penses-tu quil y a une plus grande part de disques intéressants
parmi ceux qui sortent aujourdhui ?
Non. La proportion de disques intéressants figurant
parmi ceux qui sont publiés ne change pas beaucoup dannée en
année. Dans les années 80, il était impossible de penser que quelque
chose que tu as enregistré chez toi puisse se retrouver édité tel
quel. Mais la qualité du matériel denregistrement domestique
na pas cessé dévoluer année après année -notamment grâce
à la révolution du digital. La house-music par exemple est un pur
produit de lécole home-taping, et je pense que cest la
limitation technique du matériel utilisé pour la dance-music qui est
en grande partie responsable du son de ces productions. Pareil avec
les samplers qui ont généré une nouvelle forme de musique uniquement
basée sur les possibilités techniques de cet appareil. Je crois quon
commence tout juste à se rendre compte des avantages du home-taping,
comme celui de pouvoir passer plus de temps sur les morceaux étant
donné que ton temps nest pas limité par un budget denregistrement.
Comme sil sagissait dune peinture, tu peux avancer
à ton rythme, quitte à laisser les choses en plan et les reprendre
plus tard, chose que tu ne peux absolument pas envisager quand tu
enregistres en studio, à moins bien sûr davoir un budget illimité.
Tu as dedié deux morceaux à Popol Vuh*.
Es-tu si fan de ce groupe ?
Je dirais oui jusquen 1987 et la BO du film dHerzog
Cobra Verde. Après, ils ont publié deux ou trois albums qui
nont pour moi aucun rapport avec ce quils ont fait précédemment.
Mis à part le nom qui est le même, musicalement, ça na plus
rien à voir. Je nai pas de préférence pour un album de Popol
Vuh plutôt quun autre étant donné que je considère tous leurs
enregistrements antérieurs à 1992 comme faisant partie dun tout.
Certaines personnes prétendent également quil faut voir leurs
disques comme un ensemble et non pas les détailler morceau par morceau.
Je trouve ce groupe magnifique, magique. Cest difficile dexpliquer
pourquoi, cest comme une présence. Quelque chose de très profond.
Cest au-delà des mots...
Pourtant Popol Vuh, cest presque les débuts
de la new-age... Cest
plus que ça à mon avis. Cest sûr que, rétrospectivement, cest
plus proche de la new-age que du krautrock, mais tout ce quon
rassemble sous létiquette krautrock est assez varié. Cluster
: électronique, Ash Ra Temple : acid-rock, Can
: rythmique, sans parler de Kraftwerk qui
ne ressemble quà du Kraftwerk. Tu ne peux pas réunir ces groupes
sous la même appellation et faire croire quil y a quelque chose
de commun entre eux au niveau du son.
Ce que tu joues doit être le reflet
de ce que tu es, de ce que tu as vécu, pas de ce que tu as écouté
précédemment Que penses-tu du revival autour du rock avant-gardiste
allemand des années 70 ? Je
ny suis pour rien (rires). Je crois que le krautrock était une
période très riche musicalement, et que cest une bonne chose
que les gens la redécouvrent - je parle ici en tant quauditeur.
Les bons disques méritent toujours dêtre écoutés, quelles que
soient les époques. Le fait que beaucoup de titres soient réédités
en CD permet de mettre facilement la main sur des disques qui étaient
impossibles à trouver précédemment. Il y eut de très bonnes choses
dans le krautrock comme il y en a eu en Nouvelle Zélande vers la fin
des années 80-début des années 90. Prends par exemple les albums instrumentaux
de Peter Jefferies édités à 300 exemplaires en vinyle
à lépoque : sils navaient pas été réédités en CD,
beaucoup de gens nen nauraient jamais connu lexistence.
Cet effet de mode autour du krautrock ne me dérange pas. Ce qui me
gêne plus, et je ne sais pas si cest la même chose ici, cest
ceux qui se mettent à copier ce son aujourdhui. Autant jéprouve
du plaisir à découvrir des disques qui ont été enregistrés il y a
une vingtaine dannées, autant je trouve beaucoup moins intéressant
que des musiciens daujourdhui récupèrent des choses du
passé. Pour moi, il ny a pas de mal à écouter ce qui a existé
avant. Pour faire toi-même quelque chose de neuf, il te faut un minimum
de culture musicale. Mais avoir de la personnalité est quelque chose
de capital quand tu prétends être musicien. Ce que tu joues doit être
le reflet de ce que tu es, de ce que tu as vécu, pas de ce que tu
as écouté précédemment. Je ne crois pas que tout ce qui est apparu
de nouveau ces dernières années ait été emprunté au passé : bien au
contraire, tous les mouvements musicaux naissants sont surtout le
résultat du matériel apparu sur le marché. Tu naurais pas eu
les Beatles sans guitares électriques et sans amplis.
Pas de Who sans des amplis guitares encore plus puissants
et sans pédales de distorsion. Pas de Jimmy Hendrix
sans pédale wah-wah. Le punk, cétait différent, même si, sans
les Stooges, il ny aurait pas eu de mouvement
punk. Vois le développement de la musique électronique et lapparition
de groupes comme Human League -et plus tard Gary
Numan et Duran Duran : elle est entièrement
liée à la généralisation de lemploi des synthétiseurs. Le sampler
est aujourdhui devenu un instrument répandu : il na à
mon avis pas fini de révolutionner le monde de la musique. Discographie
Domino / PIAS
* Popol Vuh est un groupe allemand des
années 70 qui appartient, aux côtés de Klaus Schultze, Tangerine Dream
ou The Cosmic Jokers, à la frange la plus spatiale et atmosphérique
de la « Kosmische Musik ». Mené par Florian Fricke, il peut être considéré
comme un des précurseurs de la new-age.
|