Alejandra & Aeron sont à la musique contemporaine ce que furent Neruda ou Pessoa à la littérature moderne, un rêve éveillé, une écorce poétique gainant un tronc de réalisme brutal. Un duo diffusant des compositions subtiles, féeriques, plus promptes à creuser la part de mystère qui entoure les mœurs et les coutumes qu’à analyser cliniquement les faits.









 

INTERVIEW


Ecorce poétique


ALEJANDRA & AERON

M U S I Q U E

Comment s’est déroulé votre rencontre ?
Nous nous sommes rrencontrés à Toronto, Canada, sur le parapet d’une maison pour étudiants.

Que signifie Lucky Kitchen ? De quelle impulsion est né le label ?
C’est un nom qui véhicule des émotions profondes de l’intimité, la maison, et aussi de la Superstition. Nous voulions au départ réaliser des CDr d’enregistrement d’espaces, de lieux afin d’offrir aux gens des petits morceaux de nos vies.

Y-a t’il un esprit de famille au sein du label ? Comment se passe la rencontre avec les artistes ?

Il y a évidemment un esprit de famille. Mais nous communiquons surtout par mail avec les autres musiciens, ce qui a un petit côté un peu triste. Nous avons rencontré chaque artiste de différente manière. Certains sont de vieux amis du lycée, comme Todd Carter. Certains comme Alexander Rishaug sont devenus des amis que nous avons rencontrés en voyageant. Et enfin, certains sont des amis “Internet” comme Stephan Mathieu, Asuna, ou Toshiya Tsunoda.

Pensez-vous que votre collaboration, votre relation a confirmé votre démarche artistique, l’a affinée ?
Oui mais non. Nous devons laisser faire de nombreuses choses lorsque nous réalisons un album pour un autre artiste. Nous devons les croire.

Vos angles d’approches sont assez originaux. Sur Softl, vous surpreniez le mouvement des fantômes écossais ? Comment vous viennent les idées ? Est-ce que vous avez besoin de stimuler votre imaginaire pour créer ?
Nous avons conçu une installation en Écosse d’un jardin anglais. Nous avons placé des monstres audio dans le jardin. Nous avons réalisé des recherches sur les monstres écossais et avons appris que nombre d’entre eux émettait des sons. C’est alors que nous avons décidé de recréer certaines sonorités. La stimulation dont nous avons besoin peut se résumer ainsi : du travail intensif, des voyages, de la recherche et de la chance.

Le thème de l’enfance est très présent dans vos travaux (visuels et sonores). Pensez-vous que cela apporte une plus grande sincérité et aussi plus de candeur, de fraîcheur à votre démarche ?
Cela dépend de qui écoute ! Nous préférons la luminosité à une obscurité artificielle. Il y a une quantité astronomique de travaux sérieux, et cela en devient presque comique, comme une caricature d’eux même. On a juste permis à notre “impulsion lumineuse” d’émerger ; notre simplicité pour atteindre la surface, nous ne la cachons pas. Nous prenons des risques en agissant ainsi et nous sommes souvent critiqués parce que nous ne sommes pas simplement dépressifs et obscurs.

G R A P H I S M E

Vous avez étudié les beaux-arts !? Comment en êtes-vous venus à faire de la musique votre principal centre d’intérêt ?
Oui, en étudiant des artistes qui produisaient des oeuvres sonores comme Duchamp, Cage ou Fluxus. Après cela, c’est simplement une question de chance… les gens préféraient nos sons à nos dessins. À présent, nous retournons doucement vers le monde de l’art “subtil”.  Nous avons 3 commissions l’an prochain pour réaliser des installations.

Votre démarche “plastique” est-elle similaire à votre créativité musicale ?
Oui. Mais justement parce que nos idées de compositions proviennent des arts plastiques, elles ne sont pas aussi originales dans les arts plastiques !!!

Le graphisme du label est magnifique. Il évoque les atmosphères de l’enfance, les douces saveurs d’autrefois…
Certains de vos disques ressemblent à des contes pour enfants, d’autres contiennent des jeux ? Peut-on dire que la ligne directrice du label se situe ici ? Est-ce que selon vous on peut concilier nostalgie et modernité ?

Oui. mais nous n’avons jamais été modernes, simplement contemporains. La modernité est une vilaine façade grise. Mais des images douces, simples ont aussi leur part de chose à dire, leur place dans l’histoire récente de l’art… À la manière des arabesques islamiques, des imprimés japonais ou des mangas ; Ils n’évoquent pas nécessairement l’enfance et son caractère naïfs mais ils sont plus souvent affiliés à une forme d’expression féminine ou en marge qu’aux tendances actuelles de l’art.

Le choix des matériaux semble très important à vos yeux… vous limitez-vous dans cette recherche ?
Nous adorons rechercher des matières. Nous passons un temps fou à prospecter à la recherche de papiers, etc… C’est une forme de responsabilité à l’égard de l’objet que nous produisons… nous ne sommes limités que par 2 choses : l’argent et le temps.

Quels travaux graphiques d’autres labels vous marquent ?
Soft & Bronbron utilisent le même imprimeur que nous utilisons parfois : Extrapool à Nijmegen, Hollande. En un sens, nous travaillons tous ensemble. Staalplaat le fait également, mais nous ne sommes pas en accord avec le caractère sérieux, obscur et sombre de leur esthétique. Nous préférons les labels japonais, en particulier les labels CDr. Asuna a réalisé une série de cassettes appelée Organ leaf avec des pochettes faites à la main, qui sont simples et délicates, constituées de papier épais de couleur verte et d’un minuscule morceau de papier découpé en forme de plante.

O T H E R

Vous habitez un petit village en Espagne ? Est-ce que la quiétude est nécessaire à votre concentration et à vos réflexions ?
Nous vivions à Logrono, la capitale de La Rioja, la plus petite province d’Espagne. Elle a une population de 70.000 personnes. Mais nous avons aussi résidé à Viana, dans la Navarra. Mais nous avons migré en janvier dernier à Barcelone où nous sommes très heureux. La chose drôle à propos des villages Espagnols : Ils ne sont PAS calmes ! du tout, nous avons dû migrer à la grande ville pour y trouver un peu de paix et de repos. L’Espagne est un pays vraiment bruyant, nous apprécions les bas volumes des bruits de fond.

Vos cultures sont assez différentes (Américaine/Européenne) ? Quel est l’apport de chacune dans l’équilibre d’Alejandra & Aeron ?
Nous avions quelques problèmes au début, mais nous avons su les appréhender les uns après les autres. Nous y voyons du bon et du moins bon dans chacun. Nous essayons d’apprendre chacun l’un de l’autre. Par exemple, Aeron cuisine espagnole et Alejandra essaye de comprendre la manière de conduire des Barcelonais !


> Rédaction
© Julien Jaffré [contact] | Jadeweb 2004