Haute voix

Auteur désormais mythique, de par sa très -trop- rare production, Aristophane est apparu au milieu des années 90 avec quelques ouvrages (Conte démoniaque, les sœurs z'Abîmes, Logorrhée, Faune) chez des petits éditeurs (L'association, Ego comme X et Amok) et divers récits parus dans quelques revues comme Ego comme x, Autrement ou Jade (dans lequel son projet Shri Ganesha reste inachevé). Son approche graphique renouvelle complètement les canons du classicisme en bande dessinée tout autant que les thèmes abordés. La rythmique narrative échappent définitivement à toute référence au médium, toute tentative d'"auto-reproduction" -voire de clonage- si présente dans la bande dessinée. Aristophane reste un auteur tragiquement à part : des rumeurs circulent sur le fait qu'il aurait détruit une grande partie de ses originaux, y compris ceux de Conte démoniaque, son oeuvre phare.

 

ARISTOPHANE

Brève rencontre avec l'auteur, datée de 1996, une époque où tout semblait encore possible pour ce jeune auteur assez mystérieux qui, pour l'heure, a disparu du milieu artistique.

Jadeweb : Tu t’es fait connaître à travers les revues Lapin et Ego comme X. Quel a été ton parcours ?
Aristophane : J’ai découvert un numéro de Lapin grâce à un prof de l’école des Beaux-Arts d’Angoulême, où je suis resté un an. J’ai d’abord travaillé avec pas mal de fanzines, avec Le Lézard également, puis j’ai participé à la collection des Histoires graphiques, publiées par les éditions Autrement. J’ai aussi publié une histoire pour enfants qui s’appelle Tu rêves, Lili chez Casterman.

Tu as essentiellement travaillé avec des petites structures éditoriales comme les éditions Amok. Est-ce un choix délibéré ou l’impossibilité faire autrement ?
Ça n’a pas été un choix, ça s’est fait naturellement. C’est par le biais de diverses personnes que j’ai été amené à connaître des membres de l’Association, ou Joël Bernardis du Lézard… J’ai aussi essayé de présenter des projets à (À Suivre), mais apparemment, ils sont plus stricts, ou plutôt, moins ouverts… Je leur avais également présenté le projet de Conte démoniaque, mais ça ne les intéressait pas.

Ces jeunes structures font la part belle à la bande dessinée autobiographique, or tu ne sembles pas être attiré par ce traitement…
Non, effectivement… Quand j’ai commencé à travailler avec eux, je ne me suis pas demandé quel genre de bande dessinée ils voulaient. Je leur ai présenté ce que je faisais et ils m’ont aussi présenté de qu’ils faisaient, ça m’a plu et on ne s’est pas posé plus de questions. Maintenant, il n’y a que L’Association et Ego comme X qui travaillent régulièrement sur la veine autobiographique…

Il y a deux facettes dans ton travail, d’une part des histoires plutôt douces et urbaines avec Logorrhée et tes histoires chez Autrement, et d’autres part des récits très sauvages qui explorent des mythes fantastiques. Comment conçois-tu ces deux versants de ton travail ?
Pour moi, ce sont des étapes. Logorrhée était ma première B.D., je l’ai faite juste pour mettre en place des personnages, les faire évoluer. Avec Conte démoniaque, j’ai voulu travailler le récit. Mais je n’ai pas non plus envie de rester dans les légendes, j’aimerais aussi parler des choses qui m’entourent.

Conte démoniaque est un gros projet dont on a déjà eu l’occasion d’entendre parler, notamment avec ton exposition lors du festival d’Angoulême 1995, et cela fait déjà quelques temps qu’il devait sortir…
Ça m’a pris trois ans pour le mener à bien. Ce que j’ai fait chez Autrement se situe chronologiquement bien après Faune et Conte démoniaque. Il n’y a pas vraiment eu de ruptures, c’est plutôt une évolution…

Quelle est la genèse de Conte démoniaque et que représente-t-il pour toi ?
C’est en lisant La divine comédie et Les chants de Maldoror que j’en ai eu l’idée. J’avais vraiment envie de faire quelque chose d’aussi épais et d’aussi narratif, de développer de nombreux personnages en parallèle. À partir de ces deux livres, j’ai pu construire un univers à moi, qui n’est pas vraiment à la hauteur des deux livres d’ailleurs. Au point de vue du concept, ça m’a aidé à me situer sur le plan personnel. C’est difficile pour moi de parler de ce que ça représente vraiment. Ce n’est pas un défouloir. Certains psychologues parlent de réaction, c’est-à-dire quand on a des choses à l’intérieur de soi et qu’on les exorcise en écrivant, ou en peignant une toile… J’ai l’impression que c’est un peu ça. Le processus a été identique avec Faune.

Que raconte Contes démoniaques ?
Pendant tout le récit, on peut suivre la pérégrination de différents personnages à travers l’Enfer. Les âmes mortes le découvrent, des démons s’affrontent, il y a des luttes de pouvoir, mais ce n’est pas que cela. C’est une sorte de spirale de plus en plus longue, et à la fin, la spirale explose. C’est aussi un choix entre savoir si on accepte Dieu ou si on ne l’accepte pas. Jusqu’à l’avant-dernière partie, je n’avais pas fait de choix.

L’Association édite Conte démoniaque en une seule fois, c’est un pari risqué… Est-ce une politique d’auteur ou d’éditeur ?
C’est un choix de ma part et de la part de l’Association. Je crois qu’ils ne voulaient pas étaler l’histoire sur plusieurs albums, ce n’est pas ce qui les intéresse. Je trouve ça plus intéressant d’avoir un livre plutôt que trois, c’est mieux pour le récit en lui même. C’est donc un choix, d’un côté comme de l’autre.

Kama, 1997
récit court paru dans Jade
Les soeurs z'abîmes, 1996
éd. Ego comme x

Entretien ©Jade/ jadeweb, 1996
Illustrations © Aristophane / L'asoociation/ Ego comme x / Amok / 6 Pieds sous terre