Vous aurez peu de chances d'assister à une performance de Mike Dando alias CON-DOM, ce mode d'expression mythique des années 70 ayant aujourd'hui presque totalement disparu. Comment vous décrire le trouble profond éprouvé lors de l'inauguration du Pez Ner (Villeurbanne) face ce petit bonhomme ayant pour seules armes des moyens audio-visuels obsolètes ? Dire qu'il se met en jeu et non en scène a-t-il encore du sens pour les spectateurs que nous sommes devenus ?
CON-DOM


Jade : Pourquoi la performance ?
Mike Dando :
A la différence de la vidéo ou l'enregistrement sonore, qui sont indirects, la performance permet une confrontation viscérale avec le public. Mes performances sont des assauts menés à travers un bombardement sensoriel qui fusionne des sons extrêmes, des images dérangeantes et une action violemment intime, presque agressive. Seul le direct crée un élément de risque important pour le spectateur : l'anticipation désagréable d'une attaque, d'une humiliation sous les yeux d'autres spectateurs-témoins.

Qu'est-ce qui t'as conduit à ça ? Le principe directeur qui gouverne mon travail est la mise en lumière des cancers manifestes dans les systèmes éducatifs, religieux, sociaux, politiques et dans la " culture de masse " en général. Mon propos est de recréer la peur, l'hystérie, le malaise, le pouvoir, qui accompagnent les diverses manifestations du Contrôle et de la Domination.

Quel genre de réactions suscite ton travail ?
Une fois que l'on en a fait l'expérience, mon travail provoque invariablement une réaction " positive-négative ". Mon travail se caractérise par l'attaque, effective où feinte. Il en résulte souvent des malentendus et des interprétations erronées. Les réactions sont rarement apathiques ! On me prend régulièrement pour un nazi ou un misogyne, avec les conséquences que cela engendre : je me fais applaudir par les fascistes et huer par les gens de gauche...

D'où vient le malentendu, pour toi ? Il vient de l'entrelacement de sujets difficiles et sensibles, qui sont abordés d'une manière à la fois directe et détournée. Je ne dis pas que je suis " pour " ou " contre ", ce que je crois ou que je ne crois pas. Je présente de l'information à la manière d'un documentaire réaliste, où je m'implique à " la première personne ". Par conséquent on m'identifie avec ce qui est montré où dit, par exemple le violeur où l'évangéliste... Les acteurs n'ont pas ce problème. Je ne facilite pas la tâche du public délibérément. Mes textes sont souvent indiscernables derrière des murs de distorsion sonore. Quand ils sont audibles mon ambiguïté et mon ironie sont apparemment trop subtiles pour mon public. Même les indices visuels contenus dans mes films ne sont pas remarqués... Les gens ont perdus l'habitude de se forger un avis en voyant au delà de ce qu'on leur présente. Je ne crois pas qu'il faille être complaisant, apporter des solutions et des réponses sur un plateau. Mon travail est l'éducation par la confrontation, pas la distraction, et cela nécessite que les gens pensent et comprennent par eux même. Et si le malentendu fait partie de ce processus, ainsi soit-il.

Ton travail est engagé socialement, quel impact a-t-il en Angleterre ? Peu, ou pas, il ne génère guère d'intérêt. Les ventes des livrets sont ridicules, les possibilités de faire des performances très limitées, j'ai peu de contacts en dehors du champ des musiques expérimentales. CON-DOM est ignoré par qu'il ne rentre dans aucune catégorie bien définie. Je ne fais pas de la Techno, de l'Electronica , du Post-rock ou quel que soit le goût musical du moment. Je n'ai pas fait les beaux-arts donc ce n'est pas de la performance artistique. Si malgré tout on me colle une étiquette c'est la vieille école industrielle et par conséquent c'est très daté.Mon propos concerne la société mais mon message est profondément impalpable - et le fait même que j'ai quelque chose à dire est impalpable dans une culture où l'abstraction, l'hédonisme et le progrès scientifique sont les mots d'ordre

.Vis-tu de ce que tu fais ? Si la question est " est-ce que je gagne ma vie avec CON-DOM ?", la réponse est définitivement non. Au mieux CON-DOM couvre ses coûts. C'est normal.Si la question est " est-ce que ce que je fais m'aide à vivre ?", oui. C'est une expression personnelle, une extension de la vie quotidienne. CON-DOM est un dégourdissement mental en dehors du corset du travail, de la famille, des corvées domestiques, de l'hypocrisie politique et de l'insignifiance sociale - le poids mort de l'existence humaine. Ça écarte un peu les mailles du filet étroit du contrôle. C'est un peu de bon sens dans un système qui s'évertue à gommer les angles disgracieux et dangereux.

Pour tout contact : CON-DOM, 2 Farnley Lane, Otley, LS21 2AB, England.


Entretien paru dans Jade 16 © Lionel Tran & 6 Pieds Sous Terre, 1999 / Photo © Valérie Berge