Quelques années avant le succès de Being John Malkovitch, Jade rencontrait celui qui n'était alors "que" le réalisateur de vidéoclips que tout le monde s'arrache : Adam Spiegel dit Spike Jonze. A son palmarès, nombre d'exploits remarqués : débaucher les Beastie Boys pour un remake de Starsky et Hutch (Sabotage), incruster Weezer dans un épisode de Happy Days (Buddie Holly), initier Jay Mascis au golf (Feel the pain), imaginer Bjork mise en scène par Jacques Demy (It's s oh quiet), coffrer les frangins Ween pour le vol de la Liberty Bell (Freedom of 76), sans parler de ceux pour REM, Breeders, Fatboy Slim... En promo à Paris après avoir clipé Da Funk et donné une tête de chien à la french touch, ce fan de skate nous explique que, de toute façon, il n' a pas de recette, et que Hollywood, c'est un panier de crabes. Y mettre la main lui aura pourtant porté chance : il produit actuellement le premier film de Michel Gondry, Human Nature.


Dans la peau de Spike Jonze
Spike Jonze


Spike Jonze : J’ai commencé en prenant des photos d’animaux. De poissons en particulier. Je m’étais fait connaître du propriétaire du magasin qui vendait des poissons dans ma ville. Je pouvais à ma guise aller les prendre en photos ou emprunter les aquariums. C’était devenu ma spécialité. J’ai même réalisé un petit film sur les poissons. Il a plu a quelqu’un qui m’a demandé si ca m’intéresserait de réaliser des vidéos musicales. J’ai alors découvert que les images m’intéressaient plus que les animaux.

Jade : Quand as-tu commencé ?
Il y a 4 ans. D’abord pour des groupes que je connaissais, puis pour des gens qu’on me présentait. J’ai toujours été passionné par la vidéo. Je me souviens que, quand j’étais petit, nous avions une caméra vidéo, une des premières qui soit sortie sur le marché, avec la batterie que tu devais trimbaler par dessus ton épaule. Mais de là à penser à une carrière...

Etais-tu fan des groupes avec lesquels tu as eu l’occasion de travailler ?
Je n’avais jamais entendu parler de certains comme Weezer ou Daft Punk étant donné qu’il s’agissait de leur premier disque. Mais sinon j’étais fan de la plupart d’entre eux ,ce qui simplifie la tâche - même si au début, tu te sens un peu nerveux. Sinon c’est un vrai plaisir. Parce que tu connais déjà le groupe, tu es plus rapidement réceptif à sa façon de voir les choses. Tu sais d’avance ce qui ne vaut pas la peine d’être proposé.

Comment se déroulent les rencontres ?
Le groupes ou la maison de disques me fait parvenir du son. J’écoute, d’abord pour voir si la musique me plaît. S’il me vient une idée, je la griffonne sur un morceau de papier que je fais passer au groupe ou à la maison de disques... Parfois le groupe me donne une direction dans laquelle travailler et je fais le reste. Jay Mascis de Dinosaur Jr, par exemple, m’avait juste dit qu’il souhaitait jouer au golf et abattre des gens. C’était son idée, et la seule recommandation que j’ai eue. Il y a aussi le cas de vidéos que j’ai réalisé sans aucune direction au préalable. Parfois c’est plus au moment du tournage que s’effectue une réelle collaboration. Les Daft Punk ne m’avaient donné qu’une seule instruction avant que je commence à travailler sur leur vidéo : c’était de faire en sorte qu’ils n’apparaissent pas dedans. Sinon j’ai eu champ libre. J’ai ensuite rencontré le groupe à L.A., puis ils sont venus sur le tournage à New-York. J’ai appris à les connaître en bossant avec eux, et j’apprécie le fait que ce soit des gens qui tiennent à avoir un contrôle total sur tout ce qui touche à leur musique. Rien à voir avec la logique de certaines major-compagnies qui te demandent parfois au montage à ce qu’on voit plus le bassiste parce qu’il est mignon ou des conneries de ce genre. Les Daft Punk ne font que ce qui les tentent : nos exigences étaient donc très semblables.

Quel souvenir gardes-tu de ta collaboration avec Kim Gordon sur le tournage de Cannonball pour les Breeders ?
Nous nous sommes bien amusés étant donné qu’à l’époque je n’avais pas beaucoup d’expérience en la matière et qu’elle en avait encore moins que moi étant donné que c’était la première fois qu’elle dirigeait une vidéo. On ne nous avait donné absolument aucun moyen pour tourner. Kim, c’est un sacré personnage. La seconde vidéo tirée de cet album, Saints, a été aussi amusante à faire.

Pour Sabotage des Beastie Boys, qui a eu l’idée ?
L’idée du clip avait été à l’origine suggéré à Janet Jackson, mais elle n’avait pas les moyens. J’ai refilé le concept au Beastie Boys.

Et Weezer ?
Je ne sais plus comment j’ai eu cette idée... C’est une question qu’on me pose souvent : " Comment as-tu pensé à ça ? ". En fait, je n’en sais rien. L’idée me vient sans que je me souvienne vraiment du cheminement de ma pensée. C’est très spontané. Je n’ai pas de recette.

Par quoi es-tu influencé ?
Par tout ce qui m’intéresse, qu’il s’agisse du cinéma, de la télévision... J’ai beaucoup regardé la télévision étant petit, mais plus maintenant. Je me suis trop souvent fait avoir : tu l’allumes, tu ne fais que regarder des bouts d’émissions, et tu finis par te rendre compte que trois heures ont passé, qu’en plus tu es crevé... Pour finir de répondre à ta question, tout dépend de l’idée que je décide d’exploiter. J’adore les frères Cohen par exemple, mais il ne me viendrait pas à l’idée de les copier, à moins que je décide de faire carrément une parodie des frères Cohen.

Tes vidéos servent souvent à lancer des groupes comme cela a été le cas pour Weezer. Comment le ressens-tu ?
Si la vidéo passe souvent à la télévision, je suis content pour le groupe autant que pour moi. Comme j’aime beaucoup la plupart des groupes avec lesquels j’ai l’occasion de travailler, je suis content de contribuer à leur succès. Quant à déterminer ma part de responsabilité dans leur réussite, je n’en sais rien. Quelle qu’elle soit, c’est toujours profitable.

Serais-tu tenté par un long-métrage ?
J’ai un projet de film inspiré d’un livre pour enfants qui s’appelle Harold and the Purple Crayon, avec une grande part d’animation. J’y ai consacré tout mon temps depuis 7 mois. Malheureusement, j’ai vite pu vérifier par moi-même que tout ce qu’on raconte au sujet de Hollywood est vrai : les décisions qui tardent à être prises, puis les gens qui devaient les prendre se font virer et il faut tout reprendre à zéro avec un nouvel interlocuteur... C’est certainement un des plans les plus fous dans lesquels je me sois trouvé, le plus rageant étant que tu ne peux strictement rien faire contre ça. Tu essaies de défendre un projet en lequel tu croies profondément et sur lequel une équipe de gens que tu as réuni travaille en permanence, et tu te retrouves en face de gens qui foutent en l‘air de telles sommes d’argent qu’ils visent d’abord la sécurité, soit récupérer leur pognon rapidement. J’ai écrit récemment un scénario pour un ami, mais nous ne le tournerons qu’une fois que nous aurons mis suffisamment d’argent de coté. Procéder de façon complètement différente, agir en indépendant.
Je tenais tout particulièrement à adapter Harold and the Purple Crayon parce que c’est un souvenir les plus marquants de mon enfance - sans doute un des premiers - , et que j’ai eu l’occasion de rencontrer son auteur, Maurice Sendeck, qui a également écrit Where the wild things are. Sinon s’investir dans un film, c’est vraiment très lourd : ça te bouffe tout ton temps, tu ne vois plus tes potes, comme quand tu as une nouvelle copine. Tu penses sans arrêt à quoi ressemblera l’heure et demie de film qui découlera de toutes ces heures de travail, jusque dans ton sommeil. Et si ça ne correspond pas à ce que tu avais souhaité ? Ca doit être terrible, terrible..

Avec qui aimerais-tu travailler maintenant ?
Ce groupe qui s’appelle Wilco dont je viens de me procurer l’album. Cibo Matto. Buffalo Daughter, un autre groupe de Tokyo. Pavement également qui est un de mes groupes préférés et avec lequel un projet semble être en bonne voie.

Au fait, pourquoi ce pseudonyme, " Spike Jonze " ?
Il m’a été attribué par un canadien qui bossait dans la publicité. Je n’ai jamais compris pourquoi. C’est quelqu’un qui m’avait l’air très intelligent, alors je lui ai fait confiance.

The Original Spike Jonze site


propos recueillis par Philippe Dumez © 6 Pieds sous terre éditions, 1997-2001 - Photographies © Edie Vee