LES 7 FAMILLES DE LA BANDE DESSINÉE #1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7

l'Association
 

David B. : Moi, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de différence entre ce que je fais à l’extérieur, aux éditions Dargaud par exemple et ce que je fais à l’Association. Le problème c’est qu’il faut gagner sa vie pour manger. L’Association ne nourrissant pas suffisamment, je suis obligé de travailler à l’extérieur, et comme j’aime faire de la Bande dessinée, tant qu’à faire, je fais de la BD pour Dargaud. Mais les Bd que j’ai fait chez eux, j’aurais aussi bien pu les faire pour l’Association. Quant à avoir un petit public, au sein de l’Association, qui grandit depuis qu’on a démarré, au fil des années, qu’on ait un public de 1 million de personnes ou de 1000 à 2000 personnes, pour moi le problème ne se pose pas. Je cherche à faire ce que j’ai envie, et à le faire partager à des gens, si je le partage avec le maximum de personnes, c’est tant mieux, sinon, je n’y peux pas grand chose. J’ai pas envie de faire de l’héroic fantasy pour toucher 100 000 personnes. C’est pas ça le but de l’asso. Est-ce qu’il faut que l’on se mette à faire de XIII pour toucher un plus vaste public. Mais si l’on fait du XIII, ce n’est pas intéressant. A ce moment là, ce qu’on fait ne sert plus à rien. Ce qu’il faut, c’est qu’on soi nous-mêmes, c’est là que c’est intéressant. Le problème de la largeur du public est un faux problème.
Lewis Trondheim : Il ne faut pas dire que l’on est pas nous mêmes si l’on bosse pour un gros éditeur.
David B : Les gros éditeurs se mettent à publier des gens comme nous, à créer des petites collections qui ressemble à ce que fait l’Association. En même temps, ils ne le font pas du tout de la même façon que nous. Les collections qui se sont créées, que ce soit chez Delcourt ou aux Humanos ont un résultat, pour le moment assez lamentable. C’est à dire qu’ils prennent la coquille, mais il n’y a rien à l’intérieur. Ils appliquent à des choses d’avant-gardes ou soi-disant d’avant-garde la politique qui leur est habituelle. Ils ne cherchent pas à trouver des auteurs qui apportent quelque chose de nouveau.
Menu : Il n’y a que 5% de choses bien chez tous les éditeurs. L’attaque fait à Christmann (un des boss de Dargaud, ndlr) reprenait ses commentaires honteux, dans la lettre de Dargaud à propos de l’élection de Goossens à la présidence du Salon d’Angoulême.
David B. : Christmann dit qu’il ne veut avoir aucun rapport avec l’Association. Il dit qu’il n’a des rapports avec nous qu’en tant qu’auteurs de Dargaud. Pour lui, l’Association, ça n’existe pas, il s’en fout. Ca ne m’empêche pas de lui dire en face ce que j’aime ou pas chez Dargaud. Il en est parfaitement conscient. Il ne m’embête pas là-dessus. S’il a envie de me virer parce que l’on a écrit un truc sur lui dans Lapin, il est libre de la faire. Quand Menu à écrit ça, je ne lui ai pas dit : "Non, non, ne publie pas ça sinon je vais avoir des ennuis avec Christmann". Justement, c’est une bonne manière de voir s’il est stupide ou pas. De plus, le fait de travailler ailleurs ne nous empêche pas de critiquer l’association ou de nous critiquer entre-nous.
Trondheim : Ce n’est pas parce que l’on fait des albums chez Dargaud que l’on cautionne XIII. On fait notre travail.

Jade : Robial va jusqu’à dire qu’il faudrait que l’Association établisse un contrôle de ce que publient ses auteurs à l’extérieur, afin de ne pas nuire à l’image de l’Association.. C’est une attitude qui n’est pas très tolérante, voire intransigeante.
David B. : Ca, c’est l’avis de Robial, ça ne nous engage pas, Robial ne faisant pas partie de l’Association. De toute façon, je ne pense pas que l’Association soit basé sur un esprit de tolérance.

Je suis surpris qu’il n’y est pas de Collection enfant à l’Association. La plupart de vos livres s’adressent à un public de lecteurs "confirmés", comment allez-vous former les tout jeunes lecteurs à la lecture de livres en noir et Blanc.
Trondheim : Ce n’est peut-être pas forcément le but de l’Association. Mais Lapinot ou La révolte d’Hopfrog ont tout deux eut un prix au salon de Montreuil, qui est un salon pour la jeunesse. Donc, ce que l’on fait en dehors de l’Association. peut aussi amener le public enfant à suivre, par la suite l’Association.

Ne pourrait-on pas imaginer une collection Eperluette pour les 6/10 ans, par exemple ?
Trondheim : Ce n’est pas une bonne idée de séparer les publics. Il vaut mieux s’adresser aux gens comme on a envie de le faire depuis le début. Il ne faut pas aller dans une direction ou l’on segmenterait en tranches d’âges son travail. On fait de la Bd comme on a envie de la faire. Si elle s’adresse à des enfants, pourquoi pas. Mais il ne faudrait pas qu’elle ne s’adresse qu’à des enfants. Si, pour le salon de Montreuil, on fait un Lapin spécial pour la jeunesse, ça doit rester lisible, à un deuxième degré, pour les adultes. Ca ne sera pas du Bayard, j’espère...
Menu : Il y a donc un projet de Lapin, plutôt pour la jeunesse, réalisé en collaboration avec le Salon de Montreuil. Ce n’est pas encore sur, mais se serait, a priori, le n° 22. Si cela se fait, ce sera un Lapin qui aura plus de couleurs, probablement plusieurs cahiers en quadrichromie et en bichromie, et il y aura une ligne de diffusion jeunesse en plus de la diffusion habituelle. C’est une première tentative pour faire une Bd plus ouvertement destiné à la jeunesse.
Killofer : Je crois que s’il n’y a pas eu à l’Association. un développement conséquent d’une production jeunesse, c’est tout simplement qu’il n’y a pas eu une envie suffisamment forte de la part des auteurs pour faire ça. Tout ce qui existe à l’Association. vient d’un mouvement naturel, d’une envie.
David B. : Pour gagner ma vie, pendant très longtemps, j’ai bossé pour les journaux du groupe Fleurus et pour Bayard. J’en suis complètement gavé et je n’ai plus envie de travailler spécifiquement pour la jeunesse.

Quels sont vos relations avec vos adhérents. La structure de l’association (association loi 1901) est elle toujours adapté à votre politique éditoriale ?
Menu : L’Association. est une asso de loi 1901 car on n’est pas là pour faire capital. Les bénéfices sont entièrement réinvesti dans la fabrication des livres, après paiement des salariés et des droits d’auteurs. Comme l’on a une politique éditoriale stricte et ferme, les adhérents n’ont pas de pouvoir de décision, sinon, la situation deviendrait vite impossible. Les adhérents sont là pour soutenir notre travail ainsi que pour participer à une sorte de communauté de vue et de publication.

Que pensez-vous du terme de « Labels indépendants » ?
Menu : Je pense que ce terme ne veut pas dire grand chose, parce qu’il a été galvaudé. Il a surtout servi, pour le festival d’Angoulême, afin de créer une espèce de tremplin pour des petites structures jusque là confiné dans l’espace fanzines. Je préfère le terme d’alternatif a celui d’indépendant, ça me semble avoir plus de sens.
David B : D’autant que si l’on suit ce raisonnement, Delcourt, par exemple, rentre parfaitement dans ce cadre. C’est un éditeur qui n’a aucune société au-dessus de lui. Il est donc parfaitement indépendant.

Dans le numéro 1 de Lapin, vous avez écrit un édito assez ambitieux sur votre politique éditoriale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
David B : Je ne me souviens plus du bulletin inaugural.
Killofer : C’est pas moi qui l’ai écrit.
Menu : J’ai repris ce texte parce qu’il est assez probant. On a pas trop dévié du principe de base.
Killofer : Sauf certains qui sont partis chez les grands éditeurs....

Est-ce une polémique interne ?
Menu : Non, alors là, pas du tout., mais c’est une question que l’on nous pose souvent.
David B : C’est une polémique à la fois interne et extrême.
Killofer : y’a toujours cette suspicion qui plane sur la cas de Lewis. Qu’est ce qui veut au juste ? Est-ce qu’on est un boulet pour lui, ou encore un alibi culturel, une caution morale. Il y a toujours ce doute qui nous ronge.
Trondheim : Je suis le soutien financier de l’Association...
Killofer : ...Et c’est ça qui nous ronge.
David B : Il est notre mécène.
Trondheim : On a quand même publié des trucs pas bien.
David B : qui ça ?
Trondheim : Heuuu...
Killofer : T’allais dire qui ?
Trondheim : heu...Thirièt ?
David B : Non, non, non, ça a tout a fait sa place à l’Association.
Menu : Ca aussi, c’est des débats internes.
David B : Sinon, on est pas toujours forcément d’accord sur ce qui correspond à notre charte.
Trondheim : On a quand même publié du Tirabosco...
Menu : Attention, il est dans Jade souvent.
David B : Ho, pardon.
Killofer : Hé, c’est pas rigolo, Jade on connaît déjà tout.
? : Hé ouais, Cornette, Aristophane.
Killofer : Il vous en fait encore des histoires comme ça, Aristophane.
David B : Journal d’un Loser. Alors là moi je tiens à préciser que c’est pas moi qui l’ai refusé.
Menu : Ça risque d’être un peu chaotique, tout ça.
Trondheim :Non mais, ils feront le tri, hein ? (non, ndlr)

Quels sont les buts que vous vous étiez fixés et lesquels avez-vous atteints ?
Trondheim : L’association, ça va au delà de nos espérances.
David B : En temps de maison d’édition, oui, ça c’est clair.
Menu : on pouvait absolument pas imaginer que ca aille jusque là. Déjà, quand on a commencé à avoir un premier local, pour moi, c’était incroyable. La première embauche, c’était surréaliste, c’est assez fou quoi. On pouvait vraiment pas imaginer ça.

Et par rapport à ce que vous avez publié.
Menu : Et bien pareil, je pensais pas que l’on pourrait monter un tel catalogue, je le trouve aussi impressionnant.
Killofer : tu t’impressionnes toi même ?
Menu : Non, mais d’avoir Goosssens, d’avoir Baudoin. De découvrir des gens comme Gerner, Vanoli , d’avoir du Blanquet, Sfarr.
Trondheim : Sfarr, c’est bien ça, avant qu’il fasse de l’héroic fantasy chez Delcourt. (rires)
David B : Sans oublier Lewis Trondheim, qui fait de tout chez les grands éditeurs.
Killofer : c’est que d’avoir Lewis dans le catalogue ... et David B.
Menu : Ça, en commençant l’Association, on le savait déjà.
Trondheim : Oui, mais tu savais pas quelles pommes allaient pourrir.
Menu : On pouvait deviner quels seraient les premiers vendus, quand même
David B : Ben on misait sur Stanislas et puis... ça n’a pas fonctionné.
Menu : Tu sais que ça va être imprimé ça.
David B : Oui, c’est pas grave. Stanislas, il en est conscient aussi.
Trondheim : Que quoi ? qu’on misait sur lui ?
David B : Non, mais c’est vrai que Stanislas, c’est quelqu’un qui avait un potentiel cher les grand éditeurs. C’est aussi parce qu’il n’a pas pu suivre...
Killofer : ...de cours de dessin ?
David B : Non, il a pas eu un suivi dans son boulot, c’est ça le problème.
Trondheim : Son éditeur a manqué de confiance pendant le travail.
David B : Oui.
Trondheim : C’est vrai que cette ouverture sur l’étranger maintenant, c’est pas inespéré, mais en tout les cas...
Killofer : Ils sont sortie tes albums en Allemagne ?
Trondheim : Je parles pas de mes albums, mais de ceux de l’Association.
Menu : Ca, ça mériterait d’être vu point par point, parce que c’est nouveau. Le fait qu’il n’y est pas plus d’étrangers à l’asso.
Trondheim : On en fait au moins deux par an.
Killofer : Ca, ça roule, c’est régulier.
Trondheim : Par contre au États unis, ça va par étape, ils vont se calmer.

Est-ce que restrospectivement, vous vous dites que vous avez commencer au bon moment ?
David B : Oui, c’est assez clair.
Killofer : Et le coup de génie de Menu à la maquette aussi. Cette forme de revue et d’album, ça a été vachement repris. Ça tombait pile. C’est ça qui fallait faire à ce moment là.
David B : Fallait se démarquer du côté bédé, ça c’est clair.
Menu : C’était le désert en 90. C’est vraiment une date charnière. Y’avais Futuro en train d’agoniser, plus de presse, que du standard en couleurs, les séries...

Les héros à la con...
Menu : oui, oui, pour qui voulait faire autre chose, c’était pas possible. On était vraiment obliger de créer notre structure éditoriale si on voulait faire autre chose en Bande dessinée. L’avantage aussi, je crois que c’est important, c’est qu’on avait déjà fait toutes nos erreurs en 90. Les fanzines, tout ce qu’on pouvait faire un peu de travers, le manque de maturité, les questions d’identité... On avait déjà réglé tout ces problèmes là. Quand on a crée l’Association, il y avait une maturité qui était déjà là. Ca a commencé très fort tout de suite à cause de ça.
Trondheim : Très juste.
Killofer : Nous étions prêts.
Trondheim : C’est vrai qu’on a continué à progresser, mais en même temps, on était déjà au point.
Killofer : la force était avec nous. On avait un Obi One Kenobi sous la forme de Robial qui venait nous voir de temps en temps...

Il vous suit encore maintenant ?
Menu : Oui, oui.
Killofer : On est pas suivi par le Dr Robial, c’est pas ça. Moi, j’encourageais Menu au début à aller le voir, lui demander des plans, mais il osait pas.
Menu : Il est toujours venu aux assemblées générales. C’est vrai qu’il y a une filiation qui est évidente. Ca fait plaisir de bosser avec Golo par exemple, qui est un auteur Futuro et qui ne faisait plus de Bande dessinée depuis 5 ans, c’est quand même quelqu’un d’important. J’espère qu’il fera d’autres choses à l’Association.

Par rapport au bouquin sur l’Égypte (« L’association en Égypte »), vous aborder des questions politiques ?
Menu : Ben en fait, on ne fait pas de politique, mais on en fait malgré nous, en étant indépendant, en ayant la démarche que l’on a. Jusque dans des détails de maisons d’éditions, comme refuser de faire des services de presses trop nombreux, refuser les droits de retours aux libraires. Déjà, on se positionne en marge de ce qui est établi dans le monde de l’édition. En ne faisant pas de droit de retours, par exemple, on contrarie certains libraires qui sont habitués à avoir des bouquins uniquement par piles, même s’ils n’en vendent que 2. En obligeant les libraires à acheter 2 bouquins pour en vendre 2, on évite le gaspillage et on est pas sur du virtuel, on reste sur du concret. C’est a dire qu’on ne jongle pas avec des tirages qui sont faux. La pratique d’envoyer 10 000 bouquins alors qu’il y en a 8000 qui reviennent et qu’on doit foutre au pilon. C’est déjà politique de refuser ça. Comme c’est politique de refuser d’arroser n’importe quel journaliste qui va faire trois lignes ridicules qui ne serviront jamais à personne.
Killofer : On n’entre pas dans le système, tu vois. Sauf certains chez les grands éditeurs.
Trondheim : Ça, c’est une politique éditoriale, mais pas une expression politique en tant qu’auteurs dans la Bande dessinée.
Menu : C’est ça.
Killofer : C’est vrai, on ne peut pas demander aux auteurs de faire de la politique. On a crée l’Association pour faire ce qu’il nous plaît et éditer des choses qui nous plaisait. On ne va pas se forcer.
Menu : C’est à chacun de voir, c’est vrai que quand on a crée l’Association, il y avait un passé très polémique. Beaucoup plus polémique et on m’accuse aujourd’hui de râler, alors que j’estime que je ne le fais pas beaucoup parce qu’avant, du temps de Globof, du Lynx à tifs, c’était surtout gueuler contre tout ce qu’il y avait, dire que tout était à refaire, mais on n’avais très peu de chose à proposer. Je me souviens qu’aux débuts de l’Association., on s’est posé la question de savoir si l’on continuait à faire de la polémique, et on a décidé d’arrêter de parler et on fabrique quelque chose. On a mis vachement en veilleuse le discours polémique. Le peu que je dis dans Lapin, c’est le dixième de ce que je voudrait dire sur le milieu de la Bande dessinée et sur le reste en général.
Trondheim : Qui plus est, c’est pas difficile de prêcher des convaincus. On est tous contre le Front National, évidemment, mais qu’est que ça va apporter des Bandes dessinée contre le FN dans Lapin ? Rien. Ca risque d’être raté et chiant.
David B : Ca dépend, s’il y a une analyse qui est intéressante. Je trouve plus intéressant de publier Alexander Zograf et son expérience en Serbie.
Menu : Par contre, le bouquin sur l’Égypte est un cas particulier qui est intéressant. Ca prouve que dans un contexte précis ou on nous demande de nous exprimer en tant qu’auteurs par rapport à une situation donnée, ben ça peut politiquement ne pas passer, alors que l’on a juste témoigner sur ce que l’on a vu et vécu. Ca devient politique dans la mesure ou ca ne passe pas parce que c’est susceptible de créer des problèmes diplomatiques entre des artistes occidentaux qui s’expriment sur un pays du tiers-monde et ce qui se passe dans ce pays là. Ce qui est ridicule, puisque c’est faire le jeu des Islamistes. Les diplomates français ont eu peur des propos émis dans le bouquin, qui est un travail de commande, et c’est priver les milieux qui sont extérieurs à l’Islamisme d’un éclairage qui est important. C’est la frousse des diplomates français qui est dommage, parce que les égyptiens avaient l’air intéressé par ce que l’on a fait. Par exemple, à l’institut du monde arabe, la personne qui tient la librairie est égyptienne, on lui a montré le bouquin et elle l’a trouvé hyper intéressant. Le livre marche bien, parce qu’il a eu un petits plus de presse (les journalistes sont friands de ce genre de problèmes) et il collait à l’actualité. Ca correspondait avec l’année France-Egypte, on parle de l’Égypte partout et on proposait un contre point, un regard qui n’est pas pyramides, etc... C’est vrai que ca plaît pas.
Killofer : Toi, tu fais toujours des pyramides sauf quand c’est l’année France-Égypte.

Est-ce que ca vous est reproché de ne pas vous engager davantage ?
Killofer : Oh, il doit y avoir certains fanzines qui doivent trouver qu’on est des bourgeois, qu’on est installé, qu’on s’engage pas...
Menu : L’Association, ca reste une fusion, une bête qui nous échappe. On a plus rien a faire ensemble en fait (Rires).
Trondheim : Je crois qu’on m’a déjà dit ça.
Killofer : Tu veux que Lewis se barre, c’est ça ?
Menu : Mais non.
Trondheim : Mais si.
Menu : Ben non.
Killofer : Non Lewis, c’est toi qui a envie de te barrer.
Menu : Force est de constater que « l’Hydre » que l’on à fait vit un peu au dessus de nous, ou à côté de nous.

Ça vous intéresse le dessin de presse par exemple ?
Killofer : On en a tous fait un peu, mais le problème c’est qu’il n’y a pas beaucoup de support en dessin de presse. Charlie, c’est vachement fermé...
Trondheim : Du dessin de presse pour quoi faire ? Pour ce frotter à ce média là, ou pour dénoncer des choses ?
David B : On a tous lu Charlie Hebdo quand on était adolescent.
Menu : Tout le Square, Hari-Kiri. D’ailleurs ce qui est marrant c’est que dans les « Histoires de la Bande dessinée », le Square c’est toujours zappé, alors que pour moi, historiquement, c’est une des chose les plus importante dans la Bande dessinée : Hara-Kiri, Charlie Hebdo, Charlie Mensuel (première époque).
Trondheim : Le dessin de presse, c’est quotidien, mais c’est périssable. Tu t’engages mais ça parait un jour et le lendemain, y’a plus rien, c’est fini et puis ca ne fera rien bouger.

On voit dans Libé des dessin de Lewis, David B. ou Killofer et ça colle.
Trondheim : Oui, mais dans Libé c’est plutôt de l’illustration.
Menu : Dans les vieux Charlie, y’a des trucs qu’on peu encore lire. Des trucs de Reiser mais y’a aussi des tas de trucs sur des hommes politiques oubliés, des scandales qui ne nous disent plus rien.
Trondheim : Tu verrais un dessin de presse dans 20 ans sur ce qui se passe aujourd’hui, t’en aurais rien à foutre, t’as plus les références, tu comprends rien.
Killofer : Le problème c’est que pour exister en tant que dessinateur de presse, il faut en faire tout le temps.
Trondheim : Alors que tu lis l’Association en Égypte dans dix ans, y’a encore des chose qui te parle. Je dis pas que l’un est plus fort que l’autre, mais c’est simplement pas la même conception.
Menu : Tu mates le dessins de Reiser sur l’énergie solaire, c’est toujours valable aussi. J’ai l’impression que c’est pas notre truc en général , à l’Association. On l’a tous un peu pratiqué, mais sans plus.

Vous pensez que vous pouvez faire évoluer la Bande dessinée en restant dans le champs clos de la Bande dessinée ? Ne faut-il pas faire des passerelles avec d’autres domaines ? Ou bien est-ce s’égarer ?
Menu : C’est assez complexe. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y ait des gens qui tentent des choses différentes. Nous, j’ai l’impression qu’on fait évoluer la Bande dessinée un peu à l’intérieur. J’ai pas trop l’impression que l’on fasse trop de passerelles avec la peinture, etc... Ou alors si on en fait, c’est plutôt avec un esprit littéraire. Avec L’Oubapo, par exemple. On s’est tourné vers l’autobiographie un peu avant tout le monde, ce qui est en train de tourner en rond aussi. Alors que des gens comme Frigo ou Amok tentent plus de faire des passerelles vers le pictural.

Ce qui pourrait justement me gêner le plus chez l’Association, justement, c’est que, graphiquement, ça reste assez classique.
Menu : C’est vrai que l’on a une culture Bande dessinée
Trondheim : Ce qui nous intéresse surtout, c’est la narration. C’est pas le graphisme.
Menu : Dés qu’on a vu les productions de Frigo, on a vraiment remarquer ça, eux c’est la forme, et nous c’est plutôt le fond.
Killofer : Lewis, c’est vraiment un narrateur, comme David B. et Menu..
Menu : Lors d’une des premières expos collectives des groupes d’avant-gardes, c’était celle de Trévise, en 91, Il n’y avait encore ni Frigo, Ni Lapin, les espagnols (Raùl, Del Barrio) ou les Belges (Corbel, Lambé), on pouvait remarquer que, leur travaux était tous de suite visible en tant qu’exposition et fonctionnait bien, en couleurs et tout ça. Nous, nos planches, c’était tout petit, en noir et blanc, pleins de textes. Ca ne marchais pas du tout en tant qu’exposition. C’est clair qu’il y avait une dichotomie entre les gens qui pouvait être vu au mur et nous. Nous, c’est vraiment fait pour être imprimé.
Trondheim : On fait du livre.

Vous sentez quand même des liens de parenté ?
David B : Ben moi, j’ai travaillé dans le Cheval sans tête, donc eux sentent forcement qu’il y a des liens de parentés. Oui, il y en a. Même si leur démarche est différente, elle nous intéresse. Ça me semble plus normal de me consacré à la maison d’édition que j’ai contribué à créer, mais si j’avais du temps, oui, travailler pour Frigobox ou le Cheval sans tête.
Menu : En tout cas, on se voit souvent, on échange beaucoup de points de vue. Ce qui est intéressant c’est que toutes ces petites structures prennent des chemins différents. Amok à l’air d’aller sur la marge de l’Art contemporain, nous on creuse notre sillon...

C’est complémentaire, en somme.
Menu : Oui, mais je trouve que l’Association devrait s’investir plus. c’est pour ca que je suis très content de la sortie du bouquin de l’exposition de Thomas Ott. Parce que d’un côté c’est narratif, c’est des dessins mais en même temps, c’est un livre de photos. c’est un livre objet qui sort un peu des collections habituelles. En tant qu’éditeur à l’asso. j’ai envie d’autres choses.

On a l’impression que vous êtes à un tournant ?
Menu : Ca a toujours tourné un peu.

Par rapports aux éditeurs étrangers, votre position a évoluer.
Menu : C’est vrai qu’on n’est pas les premier à l’avoir fait, Amok est le premier à avoir été le chantre d’une certaine internationale, comme Moka, d’Alain Corbel qui était très motivé par la rencontre des groupes. Ils voulait qu’on rencontrent des espagnols, des portugais et au début on est resté un peu fermé à ce genre d’échange alors que maintenant, ca nous intéresse de plus en plus d’aller chercher des gens, de traduire des auteurs intéressants étrangers. Maintenant on a plus de moyen et plus de crédit pour le faire. Quand on commence, et qu’on a rien fait, par rapport a un éditeur étranger, on n’existe pas. Maintenant, si on envoi un petit paquet de production à quelqu’un d’important aux états unis, on est pris au sérieux.
Trondheim : Depuis le début on voulait publier Julie Doucet ou Chester Brown.
Menu : Cette année, il y a de nouveau Julie Doucet et Max Andersson, Jim Woodring, Max l’espagnol, Chris Ware est aussi prévu. Dans Lapin aussi ,on passe de plus en plus d’auteurs étrangers.

Entre les éditeurs, ça semble quand même être la course à qui éditera quel auteur étranger ? C’est une tendance assez générale en ce moment ?
Killofer : Ça a pas été toujours comme ça ?
Menu : Non, à un moment, l’édition française a été vachement fermé. C’est un phénomène qui revient un peu grâce aux structures alternatives. Et des gros éditeurs, comme Delcourt ou Humanos, sont en train de marcher sur ces plates-bandes là.
Lewis : Ceci dit, on aurais pas fait Tomine ni Seth.
Menu : Bien sur, on ne peut pas tout faire. Mais est-ce une bonne chose que Burns soit éditer chez Delcourt plutôt que dans une structure comme l’association ou Cornélius.... Je ne sais pas. Moi je crois que c’est pas une bonne chose pour Burns d’être édité chez Delcourt. Cornéluis a fait Mazzucchelli et Daniel Clowes.

...Coupure...

Menu : Oui, y’a des degrés là-dedans. Le premier truc, ça a été la collection du Seuil Jeunesse qui est vraiment très proche graphiquement de nos collections, mais en même temps, c’est un travail honorable qui est assez proche de ce que nous faisons. Bon, il y a des trucs que je n’aimes pas, mais c’est une bonne collection. la ou ca devient un peu plus gênant c’est quand Delcourt ou les Humanos utilisent ce format là pour faire une sorte de ban d’essai avec des auteurs pas très au point et payés au rabais. En fait je pense qu’il se servent de ça pour tester des gens qui feront après des séries. Le problème, c’est plus quand ils vont chercher des étrangers, pour se donner une sorte de crédibilité ou de légitimité. Il se sont rendu compte que nous, même si on ne fait aucune démarche vers la presse, on en a plein, on a beaucoup de crédit en fait et un lectorat pointu, et eux, avec leurs séries grand public, ils ont jamais de presse nulle part et y’a que des connards qui achètent leurs trucs.
Killofer : C’est normal, leurs produits ne se démarquent pas.
Menu : Je pense que s’ils le font, ce n’est pas du tout pour se faire du fric, c’est pour se faire de la crédibilité et avoir de la presse parce qu’ils se rendent compte qu’on rafle un peu tout ça.

Est-ce que ça peut nourrir le développement de ses tendances ?
Menu : Nous, ça nous pousse au cul en tout cas parce qu’on se dit que si on ne traduit pas untel dans l’année qui vient, ben se sera soit Delcourt, soit les Humanos qui vont le faire.
Trondheim : Non, y’a des trucs qu’ils feront Jamais.
Menu : Oui, mais il y a des trucs qu’ils peuvent faire. Par exemple, l’album de Max l’espagnol, Max préférait que ce soit nous, donc on le fait, mais autrement, les autres auraient pu le faire.
David B : Les Humanos auraient pu le faire.
Menu : J’imagine assez bien des gens comme Debbie Dreschler ou Chester Brown chez ses gens là. En fait, au niveau des auteurs, on a toujours plus de crédits que ces éditeurs là. Parce que financièrement, déjà, finalement, c’est pas un bon choix d’aller dans ces collections là. Premièrement, c’est sous-payé. Ils donnent plus d’avances sur les droits d’auteurs que nous, parce qu’ils ont de la trésorerie, mais après les droits d’auteurs, c’est rien du tout.
Lewis : Pour le Seuil, t’es payé 5% du prix de vente. 6% moins 1 % de droit de presse. Nous ont fait 10% net, à l’arrivé c’est pareil. Baudoin nous disait : Un bouquin au Seuil ou à l’association, je touche la même somme.

Est-ce que c’est intéressant pour un auteur de publier à l’Association ?
Menu : Financièrement ? Comme je disais, quelqu’un comme, Baudoin, il reçoit le même genre de royalties. L’avance du début est plus large chez le Seuil par exemple. Forcément y’a des gens qui sont tenté, parce qu’ils ont besoin de fric tout de suite, mais au bout du compte, nous au niveau des droits, on paye mieux. Finalement ça s’équilibre.
David B : La Collection Tohu-Bohu des Humanos, les gens sont payés 30 000 francs en avance, ca correspond à ce que tu peux toucher sur un tirage de l’association.
Killofer : Puisqu’il y a toujours le temps. On vends tout, on ne pilonne pas.
Menu : Les réimpressions, sur les titres difficiles ont attends un peu, sinon, on re-imprime tout de suite. C’est d’ailleurs une nouveauté pour nous, on commence à re-imprimer beaucoup de titres.