Caroline Sury

LES BREFS RECITS DE CAROLINE SURY PARUS DANS STRONX, LA MONSTRUEUSE, FERRAILLE OU STRAPAZIN, NOUS ENTRAINENT SUR LE CHEMIN MAL ENTRETENU DES SOUVENIRS. UN PEU SECOUÉ PAR LES NIDS DE POULE ET LES BRUSQUES ACCELERATIONS, ON SE LAISSE CONDUIRE EN POUFFANT DE RIRE A CHACUNE DES IRONIQUES EXPLOSIONS D’EXASPERATION DE LA VIGOUREUSE CONDUCTRICE. PLONGEANT LE REGARD DERRIERE LA VITRE, ON DECOUVRE PETIT A PETIT UN MONDE DONT LES HABITANTS SONT AUSSI TORDUS QUE LES HUMAINS.

Jade : Tes dessins me rappellent
Tom-Tom et Nana. Tu lisais J’aime Lire quand tu étais petite ?
Caroline Sury :
« Gémir » ? AH AH AHAHAH ! Oui, j’aimais bien lire les numéros de « Gémir ». Non, je ne connais pas. AHAHAHAHAHAHHHHHH (elle s’étouffe). Ouais, j’y ai vachement pensé, d’ailleurs il fallait absolument que j’exprime ce truc là ! AHAHAH ! Non, moi ce qui m’intéresse c’est juste l’art brut, faire des trucs déglingués... Le côté dessin raté, mal dessiné, que je trouve vivant, pas figé, avec plein de sentiments. C’est venu assez rapidement, parce qu’avant de faire les beaux-arts j’adorais les trucs de Dubuffet, c’est lui qui m’a amené à l’art brut, puis il y a Gaston Chaissac. Je viens de Normandie et pas loin de chez moi il y avait le château de Robert Tatin, j’avais trouvé ça vraiment génial. Il y a le musée d’art naïf à Laval, Jean Jacques Rousseau et Jarry y sont également nés. Et donc c’est tout ce côté là un peu fou-fou qui m’intéresse. J’aimais bien les gravures de Goya aussi.

Ça fait longtemps que tu dessines ? Oui, j’ai assez vite décidé que je voulais faire les beaux-arts. Je ne savais pas trop si je savais dessiner mais j’avais envie de faire quelque chose genre décorer ma maison, mon frigo, tout ça, joli puis finalement, de fil en aiguille à force de faire des petits trucs, j’ai fini par faire des dessins. Et du coup je ne fais plus que ça maintenant, je ne nettoie même plus mon frigo, je fais des fresques, des peintures, des aquarelles, je dessine mes amis et mes non-amis, je me défoule dans mes dessins, voilà. J’ai essayé de faire de l’illustration pour les journaux mais ça n’a pas marché parce que j’ai mauvais caractère. Je crois qu’il faut être très souple pour être illustrateur... Dès qu’il y a une commande ce n’est pas senti, c’est du travail, tu te forces. D’un seul coup tu ne sais plus dessiner, quoi. Puis j’ai rencontré Paquito et les gens d’Hello Happy Taxpayers à Bordeaux et après j’ai commencé à faire mes portfolios en sérigraphie que j’ai montré aux Etablissements Phonographiques de l’Est à Paris, où le mec du Regard Moderne les a vu...

Ton travail est uniquement autobiographique ?
Oui, je raconte ma vie. J’ai des souvenirs très frais de mon enfance ! Dans Caroline et ses amis je ne parle pas que de moi, c’est des portraits de gens que je connais. Je n’essaye pas de divaguer dans des histoires imaginaires, c’est toujours proche de ce que je vis ou ce que je vois mais quant à faire des choses comme ça, inventer des histoires non. Je n’ai pas trop d’imagination, enfin c’est pas ça, mais j’ai plutôt une bonne mémoire de ce qui c’est passé. J’ai tellement un regard critique sur les choses, un esprit peut-être pénible pour les autres justement parce que toujours en train de voir le côté désagréable ou peut-être le côté comique des situations, si bien que je suis capable de le retranscrire. Je ne fais jamais non plus des trucs comme Caroline Sury et ses histoires d’amour. Par pudeur et puis c’est pas du tout dans mon caractère. Je veux dire ça ne correspond pas à ce que j’ai envie d’exprimer mais c’est vrai que je suis quand-même bien énervée et teigneuse donc il y a des trucs que j’ai envie de dire. Il faut me laisser tranquille.

Comment dessines-tu ? C’est quand j’ai le temps, mais j’en ai vraiment besoin aussi, donc je dessine régulièrement. Au départ ça ne me tentait pas tellement de faire des bandes dessinées, je préférais faire des dessins, mais si tu veux être publié, les gens veulent des BD. J’ai tellement peu de temps, tout se fait dans l’urgence à chaque fois, donc les bandes dessinées je les fais super vite, je n’ai pas le temps de me poser des questions, c’est pas vraiment dans ma nature non plus. Quand j’ai fait Frida Gastro j’étais malade, j’étais immobilisée, donc j’avais le temps de dessiner. J’ai commencé l’histoire de cette maladie les 15 jours de convalescence que j’ai été obligée de me taper à l’appart, avec les 5 étages à monter, j’avais super mal, la plaie n’était pas refermée, ça s’était infecté, donc une infirmière me faisait un pansement tous les matins. Et je marchais dans la rue mais pliée en deux, parce que j’avais des trucs à faire. Paquito en plus ne conduit pas donc je devais aller toute seule à l’hôpital. Je suis costaud comme fille.

Tu aimerais faire plus de dessin ? Attends, tu as vu déjà tous les dessins que je fais ? J’en fait quand-même un paquet ! Tous les livres que j’ai sortis, je ne sais pas s’il y a beaucoup de gens qui en font autant... P’têt Blanquet évidemment, bien sûr, il est imbattable. Je peux pas vraiment en faire plus parce qu’il y a le travail du Dernier Cri. Des fois j’aimerai faire des choses différentes, plus de travail en couleur, des trucs comme ça. Là, cette année, j’ai pris 4 jours pour aller peindre un bar à Paris, le Soleil et je me suis bien éclaté. J’ai fait des sculptures pour le film qui est passé dans l’Oeil du cyclone aussi, mais ça demande du temps, la sculpture c’est autre chose, il faut de la place pour les stocker... Moi c’est quand-même plus le dessin, la peinture. On sait quoi en faire, on en fait des livres.

Qu’est ce que tu espères, pour l’avenir ?
J’ai pas vraiment un grand projet de vie, en fait je vis au jour le jour, je fais mes dessins comme ça. C’est vrai que j’aimerai qu’une maison d’édition me dise "vous partez en reportage en Inde, au Japon ou en Chine, pour faire des dessins". Parce que là c’est vraiment motivant, c’est une question de facilité aussi, c’est une expérience et puis les dessins viennent plus facilement parce que tu te poses moins de questions que quand tu es chez toi toute seule en train de te dire : Bon ! Ben, voilà... qu’est-ce que je dessine maintenant ? C’est plus dur en fait de rester chez soi et de se dire : quel est le projet, qu’est-ce que je vais faire ? Où est-ce que ça va me mener ?

Caroline & ses amis, collection bikro, offset, 32 pages, 45 F.
P.C.,
Le Dernier Cri, 38 rue Flégier 13001 Marseille. Web Le Dernier Cri


Entretien paru dans la rubrique L’underground de l’underground Jade 15 © Lionel Tran & 6 Pieds Sous Terre, 1999
photo © Valérie Berge