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Daniel Johnston |
Enfin les premiers accords de guitare résonnent. Le musicien joue quelques morceaux (la plupart inédits) le temps que tous les réglages soient effectués. Un méchant larsen met fin prématurément à l’une des compositions : l’effet n’est pas sans faire penser à A Texas trip, ce mini-album délirant enregistré en compagnie des Butthole Surfers et aujourd’hui introuvable. À la fin de ladite balance, un constat s’impose : la voix de Daniel, très écorchée, n’a jamais été aussi émouvante. Il se retire quelques instants avant de se prêter aux interviews. Dans le souci de le fatiguer le moins possible, Wilfried et moi décidons de l’interroger ensemble. C’est peut-être aussi histoire de rassembler nos forces : mine de rien, rencontrer l’auteur de Yimp / Jump music est le genre d’événement que nous attendions depuis presque dix ans, sans jamais savoir si ladite rencontre serait un jour de l’ordre du possible ou non. Après des années d’attente, nous nous rendons compte que ni lui ni moi n’y sommes préparés. J’ai noté quelques questions sur un carnet à spirales, et Wilfried compte improviser. Lorsque Daniel vient s’asseoir à notre table, le lecteur de mini-disques n’est pas encore branché. Petit paradoxe spatio-temporel : alors qu’il est enfin là devant nous prêt à répondre aux questions accumulées depuis des années, nous ne sommes pas en mesure de l’enregistrer. Je propose à Daniel, pour tromper les quelques secondes d’attente, de le prendre en photo assis sur le fauteuil en rotin qui est juste à coté de nous. Il acquiesce, se lève, puis prend subitement la direction du piano et se met à jouer. Alors qu’un peu plus tôt dans l’après-midi, il n’était pas question qu’il joue faute de partitions, Daniel improvise une mélodie joyeuse durant plusieurs minutes et sans se laisser distraire par les déclics de l’appareil photo. La dernière note tombée, il ferme le capot et me demande si c’est bon pour moi. Oui, c’est bon pour moi, on peut commencer. Jadeweb :
Depuis quand te passionnes-tu pour les comics ? Tu
as un personnage préféré ? Qu’apprécies-tu
particulièrement chez lui ? Et
pourquoi Captain America ? Est-ce
Kirby qui t’a donné envie de dessiner ? Es-tu
fan des Simpson ? Comment
te sens-tu quand tu dessines ? Est-ce un plaisir ? Comment
te sens-tu en Europe ? Tu y es assez connu, mais tu y as rarement
eu l’occasion de te produire. C’était
l’original ou le remake ? Tu
regardes souvent des films ? Quel
est le dernier film que tu aies vu ? J’ai
appris que tu avais commencé à travailler sur un nouvel
album avec Kramer... Quand
tu composes, c’est quelque chose de très spontané ou
au contraire quelque chose de très laborieux ? Cet
album avec Kramer sera-t-il assez produit ? Toi,
tu préfères quand c’est produit ou au contraire quand
c’est dépouillé ? Tu
te souviens quand tu as commencé à écouter de
la musique ? Était-ce
grâce à la radio, par l’intermédiaire d’amis... Je
crois qu’ils servent à partir de 19 heures, ce qui nous laisse
encore 15 minutes à attendre. Tu te souviens des premiers disques
qui t’aient vraiment marqués ? De
quels disques s’agissait-il ? Avec
lequel as-tu débuté ? Que
penses-tu de sa carrière solo et de celle de Lennon ?
Tu les préfères aux Beatles ? Ça
dépend. Si tu en as marre, on arrête. Suit une brève séance de signatures. J’ai apporté le 10’’ de Respect afin qu’il le signe. Il prend l’objet dans ses mains, le retourne, et reste bloqué sur l’arrière de la pochette. Il se passe peut-être une minute sans décoller les yeux du disque. Puis, sans un mot, s’applique à écrire son nom au recto. Je lui tends également mon exemplaire de Hi, how Are You : The Definitive Daniel Johntson Handbook, et j’ai à peine le temps de lui épeler mon prénom que lui s’est déjà emparé du marqueur pour dessiner avec beaucoup d’application une de ses petits créatures. Il inscrit également "Good Luck" et me le rend. Une dernière poignée de mains, et Daniel part rejoindre un groupe d’amis. Lente redescente. Nous venons de rencontrer Daniel Johnston. Nous lui avons parlé en tête à tête. Aurions-nous dû aborder avec lui des sujets plus personnels ? Pouvait-on librement s’entretenir avec lui du petit vélo qui tourne dans sa tête et qui lui a fait commettre par le passé quelques tours pendables (défenestration de voisinage, tentative de détournement d’avion...) ? Pouvions-nous lui glisser un mot au sujet de Laurie, son amour impossible ? Et risquer, sur la pointe des pieds, de piétiner les plates bandes de son jardin secret ? Ne s’est-il jamais remis d’avoir pris des acides avec Caroline ou est-ce son passage chez Mac Do qui l’a définitivement achevé ? Et Rocky Erickson, comment va-t-il ? Et Satan dans tout ça ? Le bref entretien que Daniel nous a accordé sera resté très superficiel. Aurait-il pu en être autrement si nous l’avions plus préparé ? Daniel ne se serait-il pas retranché derrière des réponses elliptiques et des tonnes de " What do you mean " ? Quoi qu’il en soit, Daniel Johnston est bel et bien vivant et en bonne santé. Il allait, plus tard dans la soirée, nous montrer qu’il n’a rien perdu de son talent. Il est tout juste 22 heures quand Daniel Johnston, sous une tonne d’applaudissement, fait son entrée sur la scène de la Maroquinerie. Rarement concert aussi confidentiel (un tractage, quelques lignes dans la presse, et surtout un bouche-à-oreille jamais vu) aura rameuté autant de fans. Toute l’après-midi, la salle recevra des demandes de places qu’elle ne pourra satisfaire : depuis 5 jours, la billetterie est close. Guitare en bandoulière, Danny salue son public de la main. Près du micro, il a demandé à ce qu’un seau d’eau glacée soit disposé sur une chaise. Il en boit de grandes rasades entre les morceaux et s’asperge au passage. Il est couru d’avance qu’il ne jouera pas longtemps : la veille, à Bruxelles, sa prestation a duré une vingtaine de minutes. Mais des minutes pendant lesquelles il tient à donner le meilleur de lui-même. Daniel Johnston est très concentré et s’applique, aussi bien au niveau du chant que de l’accompagnement, comme si, pour excuser la brièveté de ces moments, il ne pouvait pas se permettre un seul impair. Seul à la guitare folk, il interprète, entre autres, The Spook, Love Will See You Through, Silly Love, Bloody Rainbow... De manière à offrir des versions les plus fidèles possibles, il a consigné dans un petit cahier soutenu par un pupitre chacun de ses textes. Et s’excuse, au bout de dix morceaux, d’avoir déjà fait le tour dudit cahier. Il s’éclipse une première fois, puis revient pour un seul rappel, a cappella, pendant lequel on entend les mouches voler dans la salle. Lui est au sommet de sa concentration : les premiers rangs peuvent le voir trembler. Il tire sa révérence une seconde fois pour ne plus revenir. Le public, abasourdi, quitte la salle après l’avoir une nouvelle fois rappelé : beaucoup ont encore la gorge nouée. C’est l’effet Danny, effet garanti. | Liens | Deux sites américains consacrés à Danny museumoflove | hihowareyou | L'excellent dossier r éalisé par Chronicart lors du passage de Danny à Paris l'an dernier | Un clip animé d'après les dessins de Danny | La cultissime interview de Mondo 2000, la plus longue jamais réalisée avec Danny | galerie de photos |
propos recueillis par Philippe Dumez et Wilfried Paris © les auteurs & 6 Pieds sous terre éditions, 2001 | Photos © Philippe Dumez |