JadeWeb
: Comment Bone a-t-il été créé ?
Jeff
Smith : J'ai commencé à dessiner les personnages
de Bone lorsque j'étais à l'école, autrement
dit, ça fait bien longtemps ! Au départ, Bone
paraissait en strips dans différents journaux mais c’était
juste des petits personnages intervenant dans des histoires qui
n'avaient aucun rapport entre elles. Pendant quelques années,
j’ai fait des strips par-ci, par-là. Puis je me suis dit
que je pourrais faire de ces personnages des héros à
part entière avec une vraie histoire, un peu comme une version
de Donald Duck, Bugs Bunny, ou Picsou. Les Bones vivent à
Boneville, un peu comme Donald vit à Donaldville ! Plus
tard, j'ai commencé à m'intéresser à
des contes et à des récits fantastiques comme Le
seigneur des anneaux. Je me suis dit qu'il serait amusant de
mixer Chuck Jones, Bugs Bunny et Tolkien. J'avais une idée
approximative de ce que je voulais faire, alors j'ai commencé
à écrire mon scénario par la fin ! Ensuite
le début, ainsi qu'une ou deux péripéties qui
allaient arriver à la famille Bone, ce n'est qu'après
que j'ai commencé à dessiner. J’ai une marge de liberté,
mais parfois je me laisse un peu trop aller, et WHOOUUPS, ça
dérape ! Mais du moment que je peux retomber sur mes
pattes, tout va bien.
Les personnages ne connaissent pas l'étendue de ce qu'ils
vont avoir à affronter, ils se baladent juste au milieu d'événements
qu'ils ne comprennent pas. Ils ne se rendent pas compte de la vie
de merde dans laquelle les forces obscures veulent les mettre !!!
De plus les personnages de Bone sont stéréotypés,
ce qui me permet de rester dans une certaine ligne de conduite.
Phoney Bone est un type arrogant et mesquin, qui ne s'intéresse
qu'au fric, Fone Bone est plutôt gentil, carrément
boy-scout, Smiley Bone c'est une sorte de Dingo à ma façon !
Il ne se prend pas trop la tête, il a un cœur d'or, en fait
c'est pour moi le personnage le plus surprenant, il peut parfois
devenir totalement amoral, et j'ai toujours du mal à savoir
ce qu'il pense ! Il est totalement taré !!!
Votre
style évoque autant un dessin humoristique qu'un dessin semi-réaliste...
En
fait, j'aime bien dessiner de plusieurs façons. D'un côté,
un style gros pieds/gros nez assez classique, et puis d'un autre,
quelque chose de plus réaliste. Quand j'étais plus
jeune, j'adorais les super-héros, ceux dessinés par
Neal Adams ou Joe Kubert. Mes comics préférés
sont les strips qui paraissaient quotidiennement dans les journaux,
des comics comme Crazy Cat. J'adorais Dick Tracy avec ses dessins
très clairs, la façon dont le noir et blanc était
utilisé et qui m'a beaucoup influencé pour Bone. La
bande dessinée américaine mixe assez souvent un côté
cartoon avec un style plus réaliste. Regardez Terry et
les pirates, c'est le sommet de ce genre de choses : c'est
parfois très réaliste, mais aussi très cartoon
dans le trait. Je pense que je m'inscris dans une tradition classique
de la bande dessinée américaine, de plus, je ne me
force pas à dessiner de cette façon, ça vient
naturellement.
Quelles
sont vos influences graphiques ?
Des auteurs
de dessins animés, comme Tex Avery ou Chuck Jones... Ou alors,
Picasso, dans un style totalement différent ! Plutôt
dans ses dessins que dans ses tableaux cubistes.
OOOH !
Harvey Kurtzman ! Je l'avais oublié, c'est sans
doute la personne qui m'a le plus influencé, avec Walt Kelly
le dessinateur de Pogo, mes deux plus grandes influences...
Je découvre aussi peu à peu la bande dessinée
européenne, mais très peu sont traduites en américain.
Tu as des choses comme Tintin ou Astérix, mais
par exemple tu n'as rien sur Gaston. Je n'avais jamais entendu
parler de Gaston avant de trouver un album en Allemagne l'année
dernière. Il y a des choses géniales comme les Schtroumpfs,
mais c'est présenté aux États-Unis à
travers les dessins animés d'Hanna-Barbera qui sont carrément
idiots. J'ai acheté un bon paquet d'albums d'artistes belges
et français, mais je me contente de les regarder vu que je
ne parle pas un traître mot de français ! C'est
très frustrant ! Je suis plutôt influencé
par le côté subversif des comics underground, par le
travail de Robert Crumb par exemple. Je ne ressens pas d'influences
sur le dessin mais plutôt au niveau de l'esprit. Sans ces
auteurs, je ne serais pas là aujourd'hui. Je n'ai jamais
eu de problèmes pour me faire éditer ou pour m'éditer
moi-même. Lorsque j'étais au collège, j'envoyais
mes strips aux éditeurs, et j'attendais pendant des années
une réponse. Tous les jours, j'allais à ma boite aux
lettres, j'attendais que le téléphone sonne, et ils
ne m'ont jamais appelé ! Alors, lorsque j'ai fait le
comics, j'ai décidé de tout faire moi-même,
de m'auto-éditer, de m'occuper de l'imprimerie, du look de
mes bouquins, de tout.
Y
a-t-il un message dans Bone ?
Il n'y a
pas à proprement parler de message, mais plutôt une
critique du système qui contrôle les créateurs.
Aux États-Unis, il est difficile de faire un comics sans
aucune concession. En Europe, vous avez plus de liberté pour
ce genre de choses, certaines bandes dessinées françaises
ne pourraient jamais voir le jour là-bas parce que les grosses
compagnies contrôlent tout, des caractéristiques du
personnage à la façon de le dessiner. La compagnie
Image distribue Bone, mais elle s'occupe uniquement de la
diffusion. Il est plus facile pour moi de traiter avec eux pour
la diffusion qui est un énorme boulot. J'édite de
mon côté Bone sous une forme un peu plus luxueuse
et avec un tirage plus confidentiel qu'Image. C'est exactement comme
en France où je ne publie rien moi-même, c'est Delcourt
qui s'occupe de tout.
Bone
est votre occupation principale ?
Oui. Ma femme
et moi passons tout notre temps sur ces petits personnages, nous
avons aussi deux employés à The Cartoon Books, notre
studio. Je bosse sur le livre en lui-même évidement,
mais aussi sur la promo, sur la maquette, les couvertures... Sur
le merchandising aussi, savoir à quoi va ressembler tel tee-shirt
ou tel poster, mais tout cela à un petit niveau... Lorsque
j'étais gamin, j'adorais avoir des jouets ou des posters
de mes séries préférées, et même
maintenant d'ailleurs ! Tant que le livre en lui-même
n'est pas compromis par le merchandising, ça ne me gêne
pas.
Les 9 tomes disponibles en français de la saga des Cousins
Bone sont parus aux éditions Delcourt
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