Kazu
Makino :
Je crois
qu'Amedeo, Simone et moi avons tous trois en commun une véritable
passion pour la musique, même si au début nous ne jouions
pas avec autant de sérieux qu'aujourd'hui. Et si nous sommes
aussi intéressés par d'autres formes d'expression, la
musique est celle qui nous vient le plus naturellement. On t'a appris
à jouer de la guitare ou as-tu appris par toi-même ?
Mais je ne sais toujours pas jouer de la guitare (rires). J'avais
commencé par le piano, mais je préfère la guitare
parce que j'avais envie de plus de spontanéité. J'ai
commencé par jouer sur une corde, puis deux (rires)... Je n'en
avais jamais joué avant de faire partie de ce groupe. Et comme
je ne voulais pas faire que chanter... Aujourd'hui j'ai parfois l'envie
contraire : me concentrer uniquement sur le chant. Blonde Redhead
est ma première expérience au sein d'un groupe. J'ai
eu beaucoup de chance que le premier essai soit le bon. Ce n'est pas
facile tous les jours non plus, mais je n'ai pas à me plaindre.
Jade
: Ce n'est pas trop dur de trouver sa place dans un groupe qui est
composé de deux frères ?
Si, surtout quand en plus ils sont jumeaux ! J'aimerais dire que
ça a été facile, mais ce serait un mensonge.
Encore aujourd'hui, il y a vraiment des jours où je me demande
si je ne suis pas masochiste. Comment me suis-je retrouvée
dans une situation pareille (rires) ? Ce qui unit Amedeo et Simone
est si fort que je ne savais pas trop au début ce que je pouvais
attendre de notre collaboration.
Tu
crois que ça t'a aidé d'être une fille ?
D'une certaine façon, ça a compliqué les
choses. Si j'avais été un garçon, je me serais
sans doute détaché du fait qu'ils sont tous les deux
frères. Mais comme je ne suis pas un garçon, je me suis
très vite sentie comme entre les deux, sans qu'il s'instaure
la distance nécessaire entre nous. Entre les garçons,
les relations sont simples : ils sont toujours prêts à
se dépenser sans compter les uns pour les autres. Mais quand
une fille entre dans le jeu, les relations qu'ils peuvent avoir avec
elle sont d'un autre type, tu finis toujours par demander trop à
l'autre et ca pose vite des problèmes.
Quand
vous avez commencé à jouer tous les trois, tu t'attendais
à ce que vous deveniez un " vrai " groupe ?
Oui et non. Je savais que nous avions quelque chose que les autres
n'ont pas tous et qu'il y aurait une place pour nous si nous voulions
la prendre. Mais je suis loin d'être sereine pour autant : je
me sens aujourd'hui moins sûre de moi que je pouvais l'être
à nos débuts. A certains moments, je me sens presque
bloquée, comme intimidée, alors qu'aux débuts
j'étais vraiment loin d'être impressionnée !
" La musique, c'est le meilleur moyen de se battre contre sa
propre timidité ".
Qu'est-ce
que qui se passe ?
Bonne
question (rires). Pourquoi maintenant ? Je crois que je ne me rendais
pas compte de tout ce qu'il fallait donner pour être toujours
à la hauteur. Même si je croyais dans le groupe, je ne
me rendais absolument pas compte... Je crois que, à moins d'être
aussi innocent qu'un petit enfant, c'est très difficile de
faire abstraction de sa timidité. C'est un travail très
difficile sur soi. Et même si sur scène je me mets à
hurler et que je fais la folle, il ne faut pas se fier aux apparences.
Souvent, je n'arrive pas à restituer les émotions que
j'aimerais faire partager. En fait, pour arriver à un certain
niveau d'expressivité, c'est un leurre de croire qu'il faut
se laisser aller. Pour être totalement libre, il faut avoir
un maximum de contrôle, que ce soit sur ta voix, la façon
dont tu bouges ton corps, ton esprit...
C'est la raison pour laquelle votre dernier
album était intitulé In An Expression of the Inexpressible
?
Exactement. Parce que souvent, ça ne sort pas. Pour moi,
la musique est la meilleure forme expiatoire. C'est le meilleur moyen
de se battre contre sa propre timidité.
Et
quand ca ne sort pas, qu'est-ce que tu fais ?
Je joue, beaucoup. J'essaie et essaie encore. Je répète.
Me retrouver entre Amedeo et Simone est mon meilleur atout. Ce soir,
par exemple, ça faisait un moment que nous n'avions pas joué
ensemble, peut-être deux semaines. Ca a été très
dur, et j'ai senti que j'avais besoin de jouer. Mon rêve serait,
même si nous n'avions pas joué ensemble pendant un an,
de monter sur scène et que ça sorte tout seul. Ne plus
avoir de problèmes pour sortir de moi-même. Mais j'en
suis encore loin. Il faut que je joue, tous les jours.
Tu
es née à New York ?
Non, pas du tout. Je suis née au Japon alors qu'Amedeo
et Simone sont nés en Italie. J'étais venue rendre visite
à des amis à New York, j'ai rencontré d'autres
personnes grâce à eux dont les jumeaux, et nous avons
commencé à nous voir régulièrement. Notre
amitié est née comme ça. Mais je n'ai toujours
pas pris la décision de m'installer à New York et je
fais fréquemment des aller-retour avec le Japon. Pourtant,
avec la tournure que prend le groupe, nous devrions choisir de poser
nos valises quelque part. Il faudrait que ce soit un endroit qui nous
plaise à tous les trois, parce que nous ne pourrions pas continuer
le groupe en vivant séparés les uns des autres. Nous
sommes sans arrêt en tournée, ce qui fait que nous passons
en fait très peu de temps à New-York...
Pourtant vous continuez d'être catalogués
comme un groupe " typiquement new-yorkais "...
Oui, je sais. Je comprenais qu'on puisse parler d'une " scène
" new-yorkaise au tout début des années 80 et qualifier
des groupes de " typiquement new-yorkais "... Mais aujourd'hui il
n'existe pas de communauté artistique suffisamment significative
à New-York. C'est vraiment stupide de croire que Blonde Redhead
représente le son de New-York (rires). Ca n'a pas de sens.
Encore
tout à l'heure, pendant votre concert, quelqu'un me demandait
d'où vous étiez originaire, et après que je lui
ai répondu, il m'a approuvé en affirmant que vous étiez
totalement new-yorkais.
Vraiment ? Je ne vois vraiment pas ce qu'il a voulu dire. Je me
demande bien...
Peut-être
est-ce lié au fait que vous êtes un trio comme le Blues
Explosion de Jon Spencer, eux aussi originaires de la " grosse pomme
"...
Mais il n'y a pas qu'à New York que les trios remportent
le même succès ! Si les trois personnes s'entendent bien
entre elles, c'est le son le plus sauvage qui soit. A quatre, le son
est plus rond, plus policé. Mais n'être que trois demande
beaucoup plus d'attention de la part des musiciens, quand l'un s'arrête,
il n'y en a que deux pour
continuer. Alors qu'à quatre, c'est deux contre deux.
A trois, c'est deux contre un ?
Non, c'est chacun pour soi, ensemble. Chacun fait son truc sans
pouvoir se reposer sur ce que fait un autre. Il n'y a pas de paire
comme quand on est quatre. Un trio, c'est à la fois la formule
la plus extrême et la plus intense. Il ne faut pas avoir froid
aux yeux.
Vous
faites souvent référence à la culture française,
que ce soit en reprenant Gainsbourg ou en incluant même un passage
en français sur votre dernier album. C'est quelque chose qui
vous intéresse réellement ?
Je suis très influencée par certains compositeurs
de musique de film français : Georges Delarue, Michel Legrand...
C'est tellement mélodique. Michel Legrand, je trouve ça
magnifique. Il a une telle liberté dans ses compositions...
Et Gainsbourg, bien sûr. Même maintenant, il reste très
actuel, ce qui montre encore une fois combien il était en avance
sur son temps.
Ce
n'est donc pas un hasard si on vous retrouve en première partie
de Dominique A. Comment s'est fait cette rencontre ?
C'est lui qui nous a proposé de jouer en première
partie de son concert parisien, et même si ça ne tombait
pas très bien par rapport à notre programme, nous voulions
vraiment honorer cette invitation. Et on ne regrette pas une seule
seconde d'avoir accepté.
Comment
as-tu découvert sa musique ?
A l'époque de La Mémoire neuve, un disque
qui m'a tout de suite plu. Quand s'est présentée l'opportunité
de jouer avec lui sur certaines dates, on a tout de suite dit oui.
Quand nous sommes en France, nous préférons tourner
avec un artiste ou un groupe français plutôt qu'avec
un autre groupe américain. Par le passé, nous avons
déjà eu l'occasion de jouer avec Diabologum, Prohibition
ou Sloy, et ça c'est à chaque fois très bien
passé. Par contre, nous ne savions pas que Dominique était
aussi populaire en France. C'est une bonne surprise.
Qu'apprécies-tu chez lui ?
J'aime sa musique parce que je suis à même de percevoir
qu'elle est la réflexion de ce qu'il est. Quand tu le vois
sur scène, tu remarques tout de suite qu'il s'implique beaucoup
dans ses chansons, qu'il ne triche pas. Il est pour moi au-delà
des styles musicaux. Et c'est ce que j'attends des artistes : qu'au-delà
d'un style musical précis, ce soit l'expressivité, l'absence
de barrières qui l'emporte.
La
personnalité de Dominique A. te rappelle t-elle certains artistes
américains ?
Non. Il a quelque chose de très français. Ce serait
le diminuer que chercher à le rapprocher de quelqu'un. Par
ailleurs, je déteste qu'on nous compare à d'autres groupes,
alors je ne vais pas m'y mettre à mon tour.
Je me suis toujours demandé si vous
n'avez pas intitulé votre album Fake Can Be Just As Good
par réaction à ceux qui vous rapprochaient sans arrêt
d'autres groupes - je pense à Sonic Youth par exemple...
Peut être inconsciemment, mais pas du tout à l'origine.
Ce titre a une toute autre signification. Je n'aime pas juger en fonction
des apparences. Si tu aimes bien quelqu'un et que cette personne te
raconte des bobards, tu peux très bien les prendre pour argent
comptant et être heureux comme ça. Après tout,
qu'est-ce qui te dit que tu en sais plus que cette personne ?
Sur
quel critère jugerais-tu du vrai et du faux ?
Le titre de cet album parle de ça, de ne pas juger les
gens.
Moi,
j'avais compris le titre dans le sens suivant : " nous pouvons être
aussi bons que ces groupes dont on dit que nous ne sommes que des
copies ".
Ah non, ce n'est pas du tout ce que nous avons voulu dire. Mais
en fait, c'est peut-être ça. C'est très cohérent
par rapport à ce que je viens de t'expliquer. Je ne vois pas
ce qui me permettrait de dire que tu as tort. Peut-être était-ce
vraiment ce que je voulais dire (rires)... Peut-être que c'est
toi qui as raison et moi qui ai tort. C'est le sens à donner
au titre de cet album : qui sait où est la vérité
? Où est le mensonge ?
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