Andrea G. Pinketts :
Jappartiens
à une génération décrivains enfants de plusieurs langages, enfants
de la littérature mais aussi de la télévision, des fumetti (Bande
dessinée italienne, Ndlr) et des vidéo-clips, une génération de changements
acceptés par des personnes intéressées par le monde et aspirant à
être conquises par lui : la génération de la fantaisie appliquée.
Une génération anormale et irrégulière, dans le sens où chacun, même
sil a vu les mêmes films, lu les mêmes livres et les mêmes Bd
que les autres, a sa propre identité, précise. Ce nest pas un
groupe, cest une génération didentités diverses.
Jade
: Tu fais également partie de cette génération contemporaine qui vit
tard chez ses parents
Je vis avec ma mère et jai 38 ans, ce qui est absolument incroyable,
disons pour
un jeune Anglais. Avec ma mère, nous sommes devenus
comme mari et femme. Pas dans le sens incestueux du terme, mais dans
le sens où même si nous ne nous supportons pas, nous nous aimons tellement.
Elle repasse mes chemises, répond aux coups de téléphone de mes fiancées
Moi, je le lui rends en tant que fils unique dune mère veuve.
En fait, je quitte ma mère chaque jour parce que je suis toujours
en vadrouille. Cest aussi peut-être pourquoi cela ne me pèse
pas de vivre avec elle. Parce que je ne suis jamais à la maison. Ce
que je sais cest que quand je rentre, il y a la mamma, le rôti
enfourné, la chemise repassée et la caresse sur la tête
En plus,
elle prépare toujours mes valises. Quand jenquêtais sur le Milieu
aux alentours de la gare centrale de Milan, ma mère ne se préoccupait
pas des risques, des coups de couteau, de pistolet, etc... mais me
disait : Andrea, mets ton pull en laine, sinon tu vas prendre
froid !.
Tu te présentes comme lex-shérif de la
ville de Cattolica (1). Est-ce encore lune des inventions de
celui qui sautoproclame plus grand écrivain italien ?
Et non. Les arrestations ont bien eu lieu, les papiers existent,
les articles de presse le prouvent et par chance les mecs sont également
encore en prison. Les gens doutent parce cette histoire est absolument
étrange, voire même unique ! Cest dailleurs tout simplement
le seul cas que je connaisse : un ancien journaliste dinvestigation
qui, par vocation, était habitué à infiltrer certains milieux pour
fouiller, enquêter, découvrir, transformé en privé anti-Milieu. Cest
clair que cest une chose irrégulière, une anomalie qui peut-être
ne se reproduira plus. Jai vraiment été détective municipal.
La ville de Cattolica subissait dénormes problèmes de criminalité
irrésolus par ceux qui étaient censés sen occuper, la police
et la magistrature. Le maire, un provocateur, a proposé mes services
au conseil municipal qui ma donc élu à lunanimité shérif
de Cattolica avec pour mission de recueillir des informations afin
demprisonner les délinquants. Six mois plus tard, javais
réussi 106 arrestations. Je faisais la tournée des bars et des boîtes
de nuit, avec une masse anti-squale
Ne vous défoncez pas. Shootez
vos grands-parents. Ils ont déjà résisté à la syphilis, ils viendront
bien à bout du sida Aujourdhui,
tu portes une cravate rose fluo de matador de toros. Tu sembles accorder
une grande importance à ton apparence. Tu as même été mannequin
En 1986, jai été lhomme de la campagne publicitaire
dArmani. Poser en tant que modèle est très intéressant, cela
te fait toucher du doigt le côté provisoire de la vie. Mais jai
également été acteur dans des romans-photos, instructeur darts
martiaux, militant politique
deux mille choses pendant que jécrivais.
Dailleurs, avec toutes mes vies, cest avec
ma bisaïeule, plutôt quavec ma mère, que je devrais vivre !
Mais je nai pas connu ma bisaïeule. Par contre, ma grand-mère
qui avait 90 ans était un être exceptionnel
Elle ressemblait
vraiment vers la fin de sa vie à Braccio di Ferro, Popeye ! Elle avait
toute une mâchoire déplacée
Cétait quelquun dincroyable
qui buvait, fumait et
était quand même la grand-mère de John
Wayne, voilà ! Tu sais, je suis un personnage multiple, peut-être
même ma propre création (2). Je suis convaincu quil existe une
attitude face au monde. Il y a les personnes qui sadaptent au
monde, celles qui font que le monde reste identique et celles qui
le changent en ladaptant à elles.
Tu as également posé pour des romans-photos
alors quun autre écrivain milanais, Giorgio Scerbanenco (3),
a longtemps répondu au courrier du cur pour midinettes
Que représente-t-il pour toi ?
Jen pense le plus grand bien
Dautant que jai
été le premier à remporter le Prix Scerbanenco en 1996. Scerbanenco
était un grand. Il a réussi à raconter la face cachée de lItalie
des années 60 dune manière quasiment sociologique, presque anthropologique.
Alors que ces années-là semblaient être celles du boom économique
et du bien-être, il est parvenu dune façon unique et magistrale
à les dépeindre comme les années de lhorreur
Et si je
dois, dans cent ans, expliquer à un enfant les années 60, je lui ferai
lire Scerbanenco. Outre mon job dacteur de romans-photos, jai
aussi tenu la rubrique du courrier des lecteurs pour Blitz,
une espèce de Playboy du pauvre avec photos de jeunes filles à moitié
dénudées, lettres de militaires et de détenus
Pour Gioia,
un hebdo féminin type Elle, il mest arrivé de répondre
à des lettres. Et jy répondais toujours à ma façon. Tranchante.
Ironique. Genre Ne perds pas de temps, laisse tomber cet imbécile.
Sans moralisme toutefois.
Le Sens de La Formule est dédié
à ta grand-mère à qui tu fais notamment dire : Tu me trouves
si beau et même si tu préférais grand-père ou Clark Gable
.
De quel autre acteur es-tu jaloux ?
Je ne suis pas jaloux. Même pas en ce qui concerne les femmes.
Bien au contraire. Si quelquun que jestime a du succès,
jen suis content. Par exemple, aujourdhui en Italie, les
deux auteurs de ma génération qui vendent le plus, cest Carlo
Lucarelli (4) et moi. Certains -probablement nos maisons
dédition- veulent en tirer une rivalité alors quen réalité
nous sommes amis. Quand Lucarelli sort un bouquin, je le présente
à Milan et lui fait de même à Bologne avec mes livres. Nous combattons
du même côté.
Tu es donc lami de tout le monde ?
(Rires) Non
Mais tu sais pourquoi nous sommes tous
amis. Simplement parce que nous avons été confrontés aux même imbéciles.
Cest à dire au pouvoir des maisons dédition qui refusaient
de nous publier
Notre fraternité vient de là. Nous sommes tous
des écrivains très différents les uns des autres. Et ce qui me plait,
cest quutilisant tous le même genre littéraire, personne
dentre nous ne ressemble à aucun autre dans ses livres. Cest
peut-être aussi pourquoi nous ne sommes pas envieux, quil ny
a pas de jalousie entre nous. Chacun a sa propre identité, tout en
combattant pour la même cause. Je menrichis de ce que je lis,
il marrive même de voler des choses à Lucarelli
Tout comme
certains se servent chez moi, cest légitime. Daprès moi,
chaque écrivain est véritablement un genre à lui tout seul. Nous utilisons
le roman noir parce que le noir est magnifique. Le noir est extraordinaire
Il est ce mécanisme qui temmène affronter les choses extrêmes.
Le noir cest la tension, lindignation, la violence, de
toutes les façons la création, quelque chose dabsolument constructif.
Et puis chacun raconte son propre monde. Par exemple, James
Crumley, qui est dune génération précédant la mienne,
se coltine le malaise des vétérans du Vietnam et de Corée. Malgré
ce, nous nous rencontrons. Nous sommes amis. Pour moi, il est à la
fois un maître, mais aussi un frère, un compagnon de route.
Quel est le combat des auteurs italiens
actuels, votre Vietnam à vous ?
Chacun dentre nous a une histoire politique, mais je ne veux
pas parler de politique. Je crois que notre bataille a été de faire
entendre que la littérature nest pas ennuyeuse, quelle
nappartient pas seulement aux beaux quartiers, quelle
nest pas seulement étudiée à luniversité. Nous voulons
que les gens lisent les livres dans le métro, sur la route, et quils
se passionnent pour les histoires qui, quand elles sont bien racontées,
sont toujours passionnantes.
Tu as également publié une histoire distribuée gratuitement
dans le métro milanais
Ta génération nest-elle pas non
plus celle dun double engagement, culturel et écolo : papier
recyclé, édition alternative, collection Millelire (livres à 3,50
F) ?
Tout à fait. A tel point que jai créé lEcole
des Durs, un mouvement littéraire né à Milan et comprenant des
auteurs confirmés et inconnus (ces derniers sélectionnés daprès
leurs textes). Nous avons justement été publiés dans une anthologie
de la collection Millelire, vendue
dix mille lires car composée
de dix petits livres. Nous lavons tous fait très volontiers
gratuitement pour que la parole soit diffusée
Marcello
Baraghini, linventeur de cette collection, est un ami
très cher avec qui je collabore dès que je peux et avec bonheur.
Je nécris pas de polars. Je les vis. Ce nest
pas de ma faute si la vie ressemble plus à lEnfer de Dante quà
un petit mystère bien ficelé et bien propre dAgatha Christie
Tu parles de lEcole
des Durs. Une amitié plutôt virile parcourt
dailleurs tes romans
Jai des amis
Je crois à lamitié virile,
à lamitié western si tu préfères, à celle des films de Peckinpah.
Jai ma propre mythologie autour du western. Je pense notamment
à Rio Bravo dans lequel John Wayne rachète les flingues de
lalcoolo Dean Martin de manière à pouvoir lui rendre quand celui-ci
sen sortirait. Lamitié cest ça. Etre proche de ses
amis même quand ils traversent de mauvaises passes. Cela arrive souvent
à mes amis. A moi aussi.
Tu prétends encore grandir
Dans
quel sens ?
Dans le sens où tous mes livres sont parcourus par le même personnage.
Lazare Santandrea grandit de livre en livre, tout en restant égal
à lui-même. Dans le sens où grandir nest pas le grand voyage
vers la vieillesse, mais plutôt la rencontre entre des personnes.
Aujourdhui, je vous rencontre alors quhier je ne vous
connaissais pas. Je suis donc plus grand aujourdhui quhier
Rien nest possible sans lamitié. Regarde, tout à lheure
nous parlions de bande dessinée, de contamination des genres entre
eux. Je suis lexemple vivant de la contamination. Stuart Kaminsky,
le scénariste de La Liste de Schindler, ma utilisé
comme personnage dun de ses livres. Il a utilisé mon nom, mon
prénom, ma vie
Tout cela naurait pas été possible sans
que nous soyons amis. Cela se passe dans les années 40 et je rencontre
Bette Davies. Je suis également un personnage de bande dessinée. Dans
une BD populaire italienne, le héros, Lazarus Slade, retrouve
une fois par an Lazare Santandrea qui a la même gueule que moi.
Le Sens de La Formule débute par
Je ne sais pas skier, je ne joue pas au tennis, je nage couci-
couça, mais jai le sens de la formule
Le sens de la formule est Privilège
Le sens de la formule
est le sexe de la phrase, le son et le sens même de la phrase.
De quel Privilège avec un P majuscule sagit-il ? Je te réponds
par une boutade. Le privilège de la phrase est le motif pour lequel
vous êtes là, maintenant, à me demander : Quel est le sens
de la formule ?.
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