Second round : où l'on apprend que
le Zeppelin rapporte moins d'argent que le Titanic et que les acheminements
sont plus sûrs en Belgique qu'au Japon.
Que s'est-il passé depuis notre
dernière rencontre ?
J'ai publié deux albums depuis : The Zeppelin Record,
à nouveau sur Lithium, et Fantastic Carburator Man,
sur mon propre label, à New York. Je l'ai enregistré
dans mon appartement. Un label en Belgique, 62 TV, a également
eu l'idée de publier un best-of. Comme tu peux voir, je n'ai
pas chômé.
Comment a marché The Zeppelin
Record ?
Tu as déjà vu une photo du Hindenburg ? Je crois que
Led Zeppelin a repris l'image de son crash pour la pochette de son
premier album (rires). J'ai eu de bonnes critiques dans la presse.
Il est toujours disponible... C'est un disque que j'ai pris beaucoup
de plaisir à faire, comme j'ai pris beaucoup de plaisir à
le présenter en tournée. Le plaisir, c'est mon moteur.
Si ce n'est pas une partie de plaisir, alors autant ne pas le faire.
Comment es-tu venu à monter ton
propre label ?
Vu que mes disques ne se vendent pas très bien, je me suis
demandé pourquoi il fallait que je passe par toute une série
d'intermédiaires pour publier un album. Tous les efforts
qui avaient été fait jusqu'ici, que ce soit au niveau
artistique ou de la distribution, ne m'ont conduit qu'à des
résultats très faibles. Alors j'ai pensé que
grâce à l'évolution de la technologie, je pouvais
désormais vendre directement mes disques à ceux que
ça intéresse. Alors j'ai décidé de graver
moi-même mes disques, c'est aussi simple que ça. C'était
une expérience, et j'espère que ceux qui y ont pris
part en achetant le disque l'ont appréciée.
Trouver une nouvelle maison de disques aurait été
un challenge impossible. Je ne me fais pas d'illusion : j'ai tout
intérêt à jouer profil bas actuellement vu le
nombre de disques que je vends. Tous ceux qui ont publié
mes disques jusqu'ici l'ont fait parce qu'ils me connaissaient personnellement.
Je n'ai jamais eu à envoyer de démos.
Même pour ton premier disque ?
Non. Je connaissais déjà Kramer. Nous avons enregistré
le premier disque de King Missile (Dog Fly Religion) dans son studio
à New York, et il est venu nous voir à la fin pour
nous dire : "En fait, je crée mon propre label, si vous
voulez, je sors votre disque". C'est comme ça que je
l'ai connu.
Quand tu repenses au Zeppelin Record,
disque qui a été distribué par une major, quelle
leçon en tires-tu ?
J'ai été traité comme un roi pendant un mois.
J'allais au studio de la Seine, je travaillais avec des excellents
musiciens, un excellent ingénieur du son. J'ai eu au moins
une fois dans ma vie la chance de connaître ça. Une
expérience géniale : chacun faisait exactement ce
que je lui disais de faire. Ce dont je garde le meilleur souvenir,
c'est l'enregistrement en lui-même. J'ai donné quelques
bons concerts. Nous avons joué en première partie
de Elliott Smith à l'Élysée Montmartre, c'était
très agréable. Le public était très
attentif.
Comment as-tu vécu le fait qu'il
ne soit pas bien vendu ?
Je l'ai pris avec cynisme. Si je l'avais mal pris, j'aurai arrêté
les frais juste après. Évidemment, si je fais le bilan,
je suis déçu par ma carrière parce que je n'ai
jamais obtenu de reconnaissance. Je me retrouve aujourd'hui exactement
au même point que quand j'ai commencé il y a 20 ans.
Depuis, je n'ai pas été foutu de gagner ma vie grâce
à la musique. En 95, quand nous avons pas mal tourné,
j'ai gagné un peu d'argent. Mais c'est le problème
quand tu ne vends pas de disques : il faut bien que tu te nourrisses.
Alors il faut continuer, même si tu sais que ce n'est pas
comme ça que tu vas gagner ta croûte.
Quand
tu le réécoutes aujourd'hui, qu'est-ce que tu penses
de ce disque ?
Je n'étais pas d'accord avec la maison de disques au sujet
du single. Elle voulait Follow My Roving Eyeball alors que
je n'en voulais même pas sur l'album. Moi, j'avais choisi
Womanizer, et je voulais une photo de Bill Clinton sur la
pochette (rires). Non, je plaisante. Je ne sais pas pourquoi il
ne s'est pas bien vendu. Mais ce sont les quelques-uns qui l'ont
acheté qui comptent pour moi. Au niveau de la promotion,
je n'ai pas eu à me plaindre. J'ai eu les honneurs des Inrockuptibles
5 semaines d'affilée. Ensuite, pourquoi un disque se vend
ou ne se vend pas, c'est mystérieux.
Peut-être que si Womanizer avait été
le single, j'en aurais vendu encore moins (rires). De toute façon,
un artiste ne doit pas se miner au sujet des ventes. Quand tu as
envie de faire un disque, tu trouves toujours un moyen d'arriver
à tes fins, même si c'est en le pressant toi-même
: ce que j'ai fait.
La plupart des groupes n'ont pas connu la moitié de ce que
j'ai eu le chance de vivre. J'ai tourné dans le monde entier,
j'ai publié quelque chose comme 13 disques, je suis allé
jouer au Japon... Je ne crois pas que mes disques se vendront un
jour. Il n'y a aucune demande. Alors ce n'est pas très important,
sauf pour moi et les quelques-uns qui s'intéressent à
ce que je fais. La plupart de ceux qui apprécient mes disques
sont aussi auteur / compositeur ou musicien. Tous ceux qui m'écrivent
ou viennent me voir après avoir acheté un de mes disques
finissent par me parler de leur groupe (rires).
Et combien d'exemplaires de Carburator
as-tu vendu ?
Deux cents, mais la différence avec tous mes autres disques,
c'est que sur celui-ci j'ai perçu l'intégralité
du prix de vente. De façon assez paradoxale, j'ai gagné
plus d'argent avec ce disque qu'avec n'importe quel autre. Si Shimmy
Disc m'avait payé des droits d'auteur, j'aurai pu gagner
un peu de sous. Mais je n'ai jamais rien reçu de leur part.
Un artiste devrait toujours veiller à se faire payer par
contre (rires). Pas forcément des fortunes, mais au moins
quelque chose. Trop de gens travaillent pour rien Aux Etats-Unis.
En tout cas, beaucoup de salles de concert te font comprendre qu'elles
te font un super cadeau en te laissant jouer chez elles, tout ça
pour justifier le fait qu'elles ne te donnent pas un rond.
Quelle a été ta réaction
quand 62 TV t'a contacté au sujet d'un best-of ?
La personne qui s'occupe de ce label était mon promoteur
sur la Belgique. Le jour où j'ai joué au festival
de Dour, il m'a fait remarquer que mes disques étaient difficiles
à trouver en Europe, alors je lui ai proposé de s'en
occuper. Il a lancé cette idée de compilation, et
nous avons tous les deux éclaté de rire tellement
c'était insensé. Peut-être que finalement ce
n'était pas aussi insensé que ça.
Pourquoi s'appelle t-il Volume II
?
Un label japonais a publié un volume I, mais je n'en ai jamais
vu le moindre exemplaire. Le mec qui s'occupe du label a eu un accident
de voiture pendant qu'il traversait un pont, et tous les exemplaires
sont tombés à l'eau. Je ne sais même pas à
quoi ressemble le disque, je ne sais pas les morceaux qui sont dessus...
c'est surréaliste. Tout est parti au fond du port de Tokyo,
y compris les bandes master. Je n'y arrive même pas à
y croire. C'est l'histoire officielle (rires). J'ai entendu dire
que les crocodiles avaient déjà attaqué une
partie du stock...
Mais tu n'as même pas donné
ton accord ?
C'est flou. Je me souviens vaguement, un soir où j'avais
beaucoup bu, qu'on m'a demandé de signer au bas d'un papier,
et quand j'ai eu terminé, j'ai demandé pourquoi c'était,
et on m'a répondu que je venais de donner mon accord à
un best-of Dogbowl volume I. Je ne connais même pas l'ordre
des morceaux. Peut-être que c'est le même que sur le
volume II...
Et maintenant, que comptes-tu faire ?
Continuer à écrire des chansons, parce que j'aime
ça. J'écris un livre pour les enfants, j'ai pratiquement
terminé. J'ai écrit la suite de Flan, mon roman,
mais l'éditeur n'en a pas voulu. J'ai d'autres projets de
roman, comme celui d'un homme qui est obsédé par les
jeux vidéos, ou celui d'un enfant qui vit sur la lune. Je
vais essayer de trouver un éditeur pour tous ces projets.
Retrouvez
Stephen Tunney sur son site [www.dogbowl.com]
interview
[page 1]
- [page
2]
|