un
âcre parfum de religiosité morbide
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Claudia Böhm |
Limage
caricaturale -maîtresse femme, fouet et talons aiguilles- que lon
a accolé au masochisme, na rien à voir avec le sentiment de
gêne par rapport à lexistence, perçue comme trop impure, exprimé
par Sacher Masoch dans ses textes. Loin de se complaire dans la douleur,
le narrateur souffre de son impossibilité à faire face à un amour
sale et impose à lêtre aimé un rôle dominant, qui voue davance
la relation à léchec. A des lieux dune esthétique maniaque
et auto qualifié de "sadomasochiste", les images floues
et retravaillées à lencre de la Munichoise Claudia Böhm, ne
masquent pas le désir derrière une panoplie spectaculaire. Ses "paysage
de viande" et ses visions de sexes mortifiés sont pathétiques.
Lâpre pourriture de la sexualité imprègne ses premières séries,
comme une amertume dont on narriverait pas à se défaire. Les
blessures de lamour , sa série la plus
récente, présente 12 portraits de stigmatisés, accompagnés de brèves
notices biographiques qui soulignent laustérité de leur morale
: plaisir dans la privation, joie dans la souffrance, accomplissement
dans le sacrifice. Ces plaies dévoilées provoquent le trouble, comme
un présent impossible à accepter brandi à bout de bras.
Y a-t-il eut un point de transition dans ton travail ? Oui. Je suis graphiste. Jai vécu à Rome, jétais stagiaire pour Vogue, jattendais et je préparais le café... Au début ce nétais pas sérieux, je cherchais... Et puis je suis allé à Lourdes, tout ça ne mintéressait pas particulièrement mais jai lu un livre sur Bernadette Soubirou. Et ça a tout changé. Ah ! Ah ! Jétais complètement différente. Tu es croyante ? Pffff. Je ne sais pas. Je lis tout ce que je peux là dessus, je visite les églises et depuis une semaine je prie, mais je ne sais pas, pour moi cest incroyable. Mais... je nai pas eut déducation religieuse du tout. Mes parents étaient athés. Cest juste « pourquoi suis-je ici ? », vous savez, les grandes questions... Jai de gros problèmes avec mon corps. Jai des attaques de peur panique depuis 10 ans. Mon corps est mon ennemi, cest vraiment ma prison et cest très important parce que léglise catholique sintéresse essentiellement au corps. Et si cest vrai, les stigmates, cest incroyable. Est-ce une névrose ou est-ce Dieu et si cest Dieu, je dois changer ma vie. Je pense que dans deux ou trois ans je serais catholique, cest la voie. Dans le bouddisme il faut atteindre le vide parfait, ne pas sentir la colère, ne pas souffrir, ne pas... uniquement être. Et dans léglise catholique cest SOUFFRIR et... aimer ça ! (mimiques de fustigation) Ah ! Ah ! Pour les allemands, cest étrange, cest très baroque. Mon arrière grand-père était garde du corps de Louis II de Bavière, je suis très Bavaroise. Quel genre de réaction suscite ton travail ? Cest un choc, dans un sens positif, ils maiment ou ils me haïssent. Certains en rêvent. Dautres me disent que je devrais aller en hopital psychiatrique. Tout à lheure, pendant le vernissage un homme me traitait de nazie, il était très aggresif parce que je suis allemande, javais peur quil détruise mes photos. Cest vraiment de la névrose, cest ridicule. Jusque ici je nai jamais eut un tel sentiment mais je pense quil avait envie de me tuer. Vis-tu de tes images ? Non. Oui. Jai cru que tu me demandais si je vivais avec mes photos. Je vis de mes photos mais je ne vis pas avec mes images, cest une partie de moi qui est trop forte et je ne veux pas les voir tout le temps. Ma dernière série, les stigmatisés, était dans ma chambre pendant que je les mettais en couleur et javais des cauchemars incroyables, jai été obligé de dormir dans une autre pièce. Cest la première fois que je travaille daprès des figures historiques, et ils revenaient me voir, comme des vampires. Tu as toujours peint tes photos ? Oui. Depuis le début, cest du n&b. Je ne travaille pas en couleur parce que cest la réalité. Je veux contrôler la couleur que je mets plus tard. Cest plus abstrait, jaime ça, jaime peindre. Je fais des croquis pour chaque image. Je ne suis pas photographe, jutilise juste le médium , je pourai peindre, mais je trouve ça intéressant parce que la photographie cest la vérité et ce que je fais nest pas vrai. Mais je ne fais jamais de collages. Limage sest réellement passée, cest important. Jai un atelier très étrange, il date dil y a 300 ans, cétait la cave à vin dun baron, 8m de haut, 400 m2. Cest comme une église, cest très froid, sous terre, cest une atmosphère très étrange. Les modèles se comportent différement, cest froid et silencieux, absolument silencieux, ils changent et cest bien pour mon travail. Ah ! Ah ! Je nai jamais voulu prendre de photos daprès la réalité, ça ne mintéresse pas. Je prends des photos de gens nus, de corps. Je ne suis pas intéressée par la personnalité des modèles, par leur esprit. Ils me servent à transformer mes idées. Je fais tout, seule, parce que je dois être très concentrée pendant que je travaille, je ne pourrais pas travailler avec quelquun dautre autour. Jai fais un autoportrait "lange". Cest le seul, parce que je nai pas le contrôle, là cest un ami qui a pris la photo, si je ne vois pas dans lobjectif cest la panique. Tes photos sont très dépouillées, leur esthétique images évoque celle du cinéma expressioniste Allemand... Fritz Lang, oui, je ne lai jamais cherché mais ce sont mes influences. Je ne suis pas moderne, je suis vieux jeu, notre époque ne mintérresse pas. La spiritualité mintéresse, pas la technologie... Jaimerai faire un film, peut-être dans 20 ans... Je ne sais pas encore, mais il faut que je le fasse. A la manière de Fritz Lang. Ah ! Ah ! Le meilleur film que jai vu cest Stalker dAndreï Tarkovski. Je suis plutôt mélancolique. Je reste souvent chez moi. Jaime être seule, dans ma tête, jai besoin de tout contrôler pour my retrouver. Par exemple je préfère regarder des films en vidéo, plutôt quau cinéma. Jai découvert Nostalgia de Tarkoski en vidéo et lorsque je lai revu au cinéma, la présence dautres personnes me perturbait, je naime pas entendre quelquun faire autre chose à côté de moi où exprimer mes sentiments à côté détrangers. Le décalage quil y a entre ton intimité et le monde extérieur te donne-t-il limpression de vivre sur une planète étrangère ? Oui. Pourquoi me demandes-tu ça ? Je dis souvent que je viens de Mars, mais je nai même pas à en parler, cest étrange. De plus en plus de gens me disent quils ont limpression dêtre sur une planète étrangère. Witkin, par exemple, ma dit quil se sentait sur une planète étrangère. Je ne sais pas pourquoi tout le monde me parle de ça, spontanément.
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Entretien
paru dans la rubrique Lunderground
de lunderground, Jade
14 ©
Lionel Tran
& 6 Pieds Sous Terre, 1998 |