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L'Association,
1999
ISBN 2-84414-017-3
Daddy's girl
: "la fille de son papa"... il aurait fallu traduire jusqu'au
titre, grinçant et lucide : si Lilly, l'héroïne du récit est "la
fille de son papa", c'est que lui, la traite comme un objet mobilier
dont il serait le propriétaire.
Daddy's
girl a un sujet des plus sordides : l'inceste. Loin du traitement
carricatural qui est généralement réservé à ce thème, nous entrons dans
une histoire vraie - le récit est plus ou moins autobiographique - une
histoire fascinante, saisissante.
L'auteur ne cherche absolument pas à répugner son lecteur par un graphisme
volontairement violent, par des scènes détaillées, par l'usage d'un érotisme
complaisant (apte à culpabiliser le lecteur) ou autres procédés faciles
du genre.
Le dessin est surprenant, assez rond, élégant, composé, curieusement très
proche de ceux des frères Klosovsky, Balthazar (Balthus) et Pierre, dont
le propos est souvent complètement opposé à celui de Debbie Drechsler,
puisque la jeune adolescente n'y a jamais d'attitudes innocentes, qu'elle
ne se sent pas coupable mais qu'elle est visiblement responsable du regard
concupiscent qu'elle suscite (enfin c'est moi qui interprète, parce que
Balthus dit tout le contraire).
Les différentes histoires n'étaient pas nécessairement destinées à être
compilées en recueil, et l'écart chronologique qui sépare les plus anciennes
(1992) des plus récentes (1996) fait que le graphisme connaît divers avatars
(tous très intéressants d'ailleurs), il y a même des pages en couleurs.
Un
sujet dit "de société" permet facilement d'arracher au lecteurs
quelques larmes et un peu de mauvaise conscience : c'est terrible, et
c'est arrivé près de chez vous, si vous avez des doutes sur votre voisin,
téléphonnez au numéro vert, l'appel est gratuit.
Ce n'est pas le propos de Debbie Drechsler. Pour commencer, elle ne raconte
pas son histoire telle qu'elle l'a vécue, mais telle qu'elle parvient
à la comprendre avec les années, telle qu'elle arrive à la recomposer
par déduction et malgré toutes ses réticences, car si elle se souvient
très clairement de la répugnance ou de la peur que lui inspiraient les
visites nocturnes que lui faisait son père, elle n'a gardé aucun souvenir
du reste.
Ce "gommage" d'un passé particulièrement trouble est fréquent
: si tout a l'air normal, si tout le monde se conduit comme si tout était
normal, si personne ne veut parler de ce qui semble anormal... peut-être
n'est-ce qu'un rêve.
Mais il est aussi tout à fait possible que rien ne se soit réellement
passé, que tout cela ne soit qu'un cauchemar d'adulte. La plupart des
psychanalistes ont appris leur métier dans "pas de printemps pour
Marnie" (Hitchcock), les souvenirs attroces refoulés sont un de leurs
poncifs préférés et c'est bien un psychanaliste qui a signalé ou suggéré
à Debbie Drechsler l'existence de ces blessures d'enfance.
Le lecteur n'est heureusement pas pris à partie, puisqu'il n'est écrit
nulle part "cette histoire est vraie". Qu'il soit, ou non, basé
sur des faits réels, le récit est présenté comme une fiction (Gregg me
faisait remarquer que ça n'a pas toujours été le cas, puisque dans la
revue Drawn&Quaterly, la même histoire se lisait de façon très différente :
le prénom de l'héroïne était celui de l'auteur).
L'auteur
explique avoir écrit son récit sous l'emprise d'une sorte de transe. Ce
genre d'affirmation semble toujours un peu "tarte", et l'on
suspecte même (enfin moi !) quelque mystification. Mais pas cette fois-ci
: la vérité qui n'est pas sortie de la bouche des enfants, la vérité que
refusent encore aujourd'hui les parents/coupables, cette vérité donc est
sortie du papier, presque toute seule, et il suffit de lire le livre pour
voir que rien n'y est inventé.
Il y a des choses qui ne s'inventent pas, comme cette peur qu'a Lilly,
alter ego de l'auteur, que son père ne se conduise avec son amie comme
il se conduit avec sa fille : "jai eu peur qu'il le fasse à Claudia
aussi et qu'elle cesse d'être mon amie".
Ainsi, même si "Daddy's girl" était bien une invention, ce serait
une hypothès sincère, vécue comme se vivent les rêves.
Daddy's
girl évite l'écueil des livres à sujets forts et autobiographiques qui
souvent ne dépassent pas l'intérêt de leur quatrième de couverture.
JN.
à lire, une interview très complète sur Indy
Magazine.
à voir aussi, le très
joli site réalisé par Debbie Drechsler sous sa casquette d'illustratrice,
the "lighter" side of me nous confie-t-elle.
Debbie Drechsler publie actuellement le Comix Nowhere, chez Drawn&Quarterly,
qui explore sa vie d'adolescente.
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