|
Casterman,
1993.
ISBN 2-203-33855-5
Prépublié dans le journal (à suivre) n°174 à 180.
Pour l'annecdote, l'ultime numéro de (à suivre), le n°239 contient
deux pages extraites de l'univers de Traie de Craie mais n'appartenant
pas à l'album (vraisemblablement réalisées spécialement pour ce numéro,
mais l'auteur nous renseigne sur deux postfaces qu'il n'a pas incluses
à l'album).
Lorsque
l'on cherche à convaincre de son erreur une cousine de province, sa grand
mère ou dieu sait quelle personne hostile à la bande dessinée, (hostile
ou en tous cas dubitative quant aux potentialités du genre) on sort Trait
de craie de sa bibliothèque. Effet garanti.
Le
héros est un jeune homme un peu perdu au milieu de l'océan débarqué sur
une petite île absente des cartes maritimes : un petit morceau de craie
avec une longue digue blanche où n'accostent presque jamais trois bateaux
en même temps et qui est surplombé par un phare qui n'a pas fonctionné
depuis plus de trente ans.
Sur l'île vivent une mère, Sara, et son fils Dimas, un garçon un peu bizarre
: ils tiennent un hotel-buvette qui n'a pas souvent des visiteurs.
Très vite, un autre personnage entre en scène, Ana, une jeune fille plutôt
littéraire dont le héros ne tarde pas à s'amouracher.
Le récit prend peu à peu une tournure moins anodine lorsque certains événements
semblent coïncider par surprise ou, inversement, se contredire. L'auteur
nous dit d'ailleurs en postface que son lecteur, tout comme le héros,
a plusieurs façons d'interpréter les événements qui se sont déroulés sous
ses yeux.
En entrée, il cite Borges : Bioy Casarès avait dîné avec moi ce soir-là
et nous nous étions attardés à polémiquer longuement sur la réalisation
d'un roman à la première personne, dont le narrateur omettrait ou défigurerait
les faits et tomberait dans diverses contradictions qui permettraient
à peu de lecteurs - à très peu de lecteurs - de deviner une réalité atroce
ou banale. (Jorge Luis Borges, Tlon, Uqbar, Orbis, Tertius, ed.Gallimard).
Ce scénario tourne comme une boucle subjective et force le lecteur à revenir
en arrière, à chercher à recoller les morceaux du puzzle.
Le
dessin est impeccable et chaleureux. Prado a utilisé des papiers de couleur
qu'il travaille au pastel et qui sont imprimés en couleurs directes. Chaque
page a sa couleur propre : l'édition présente ajoute d'ailleurs, et c'est
dommage, des marges blanches qui ne s'imposaient pas.
Les textes sont apparemment réalisés sur des calques séparés et sont juste
assez discrets pour ne pas enlever à chaque case sa valeur de tableau.
La "lumière solide", si typique du pastel, est ici sompteuse
et extrèmement fine (chauds et froids habilement mélés). La maîtrise de
Prado est absolument admirable.
Inspiré par des écrivains, Borges, Casarès, Tabucchi, mais aussi par de
grands peintres, Degas, Lautrec ou Hopper, "Trait de Craie"
est une bande dessinée riche que tout amateur se doit de posséder.
Ancien
étudiant en architecture, Miguelanxo Prado s'est tourné vers la Bande
dessinée en 1979, d'abord par le biais du fanzine, puis de publications
comme la version espagnole de Creepy, Cairo, Comix internacional, l'écho
des savanes et enfin, (à suivre). Publié chez nous par les humanoïdes
associés, Albin Michel et Casterman, Prado est un auteur très à part.
Sautant d'une idée à l'autre et n'hésitant pas à changer complètement
de registre littéraire (science fiction, société, érotisme...) voire graphique
(encres ou pastel), son uvre est tout à fait remarquable d'inventivité
et de virtuosité.
Miguelanxo Prado a été recruté comme character designer
sur le dessin animé 'men in black'. En 1993, les éditions Mosquito lui
ont consacré une monographie.
Ses autres récits, Stratos, Manuel Montano (avec
fernando Luna), Demain les dauphins, Chienne de Vie,
Quotidien délirant, c'est du sport et y'a plus de
justice explorent notre vie de tous les jours ou le futur de l'humanité
avec humour et pertinence.
Prado
est un des auteurs majeurs des années 80-90 et il est sans doute loin
d'avoir donné à son art tout ce qu'il pouvait lui donner.
|
|
Hopper,
Lautrec et encore Degas semblent avoir énormément inspiré Prado.
Ici, Sara, qui tient le seul commerce de l'Ile.
Ana
Raul, le héros.
Ana et Raul.
|