L'âme de Macno |
|
Ayerdhal | |
Jade
: Tu as écrit le premier Macno, cest quoi ? Ça va être différent du Poulpe ? Oui, parce quil y a un mélange dauteurs, de gens qui viennent du polar et de gens qui viennent de la SF, des gens qui viennent de milieux complètement différensts, donc qui ont une perception de la notion danticipation, de 2068, qui na strictement aucun rapport. Jimagine mal Stéphanie Benson faire de la science fiction pure et dure, au contraire, elle va travailler lintrigue, comme elle le fait toujours, elle va avoir un personnage puissant et cest pas une façon de bosser quon va retrouver chez Jean Marc Ligny par exemple. En tant quauteur de SF, quest-ce qui ta intéressé là-dedans ? Quand jécris un bouquin ya plein de lecteurs qui sont surpris par lidéologie qui est véhiculée dans le livre parce le mec il vient de fermer un Dan Simmons, il vient de fermer un Frank Herbert, il tombe sur Ayerdhal, pour lui cest de la science fiction, cest un space opera, ok et puis boum, lidéologie est plus du tout la même et il y a un choc. Alors que là cest clair, les gens qui vont ouvrir un Macno ça ne sera pas par hasard, cest parce quil y a toute une culture qui a été faite par Baleine depuis trois ans et il est clairement établi quelle est libertaire. Donc cest à la fois le rêve parce quen gros tu sais à qui tu tadresses, tu peux dire des choses différentes, tu peux te marrer un petit peu plus aussi et en même temps cest relativement contraignant parce que tu prêches des convaincus. Cest relativement nouveau quil y ait des idées de gauche qui soient véhiculées dans la SF populaire, cest des idées qui étaient véhiculées dans la science fiction plus littéraire. Déjà des idées de gauche dans la SF, à lexception des auteurs anglais et français des années 70, ça nexiste pas. Tous les auteurs américains sont de droite, même Norman Spinrad, qui est le plus à gauche des auteurs américains, même James Morrow, qui est aujourdhui le plus à gauche des auteurs américains, sont des gens de droite, qui véhiculent clairement une idéologie libérale, avec le culte de lindividualisme. Donc cest de nouveau " nouveau " quapparaissent dans le début des années 90 des gens comme Lehman, Bordage qui sont des auteurs carrément ancrés à gauche. Au moment de la SF politique des années 70 il est évident que ça naura pas un impact très populaire. Alors que là apparemment il y a une pénétration au niveau de la SF populaire. Que ce soit Bordage, Lehman, ou Ligny, enfin peut-être moins Ligny parce quil a été à cheval sur ces périodes là, on est des héritiers de toute cette période des années 70. On a été à la fois des gens qui avons lu de la SF. Asimov cest pas facile, mais la SF qui na pas de réflexion idéologique, qui na pas de réflexion politique et puis on a découvert un jour que Herbert, Gérard Klein a traduit Dune. Dune te tombe dans les mains et tu te dis, attends ya un truc qui se passe. Et en plus Dune cest dextrême droite, cétait pas idéologiquement recevable, mais il y avait un message politique, il y avait une intention politique, il y avait une culture énorme, on sadressait à un public néophyte et enfin on lui donnait les clés pour comprendre tout ce quil y a dedans, ce quil y a autour, les relations, comment ça fonctionne, où on va. Et ensuite arrivent des gens complètement innocents, genre John Brunner, il écrit " Tous à Zanzibar " et là tu le prend en pleine gueule. Tu taperçois que tout ce que tas lu dans ta vie cétait de droite, tu tétais pas posé la question, tu lisais de la SF parce quil y avait limaginaire qui tintéressait mais sans savoir ce que ça impliquait. Je me suis rendu compte quil était possible de faire de la SF qui soit fortement ancré politiquement et qui corresponde plus à ma sensibilité. Et puis les auteurs français, Michel Jeury, Philippe Curval, Pierre Pelot, Kurt Steiner sous le nom dAndré Ruellan, eux vont basculer complètement, ils font de la SF qui est politique et dont la seule vertu est politique, ils se foutent complètement de laspect romanesque, mais complètement. Cest chiant à lire. Les idées sont intéressantes, mais cest chiant à lire. Tarrive pas à accrocher avec les personnages, les histoires sont un petit peu tirées par les cheveux parce que cest pas le propos de lauteur, lauteur a envie de te faire réfléchir sur un point précis. Les années 70 se passent, la SF se casse la gueule, la SF française particulièrement. Et la SF en France redevient loutil privilégié des éditeurs populaires, Fleuve noire, essentiellement et donc là surtout pas didéologie, on publie du rêve et les mêmes auteurs, qui travaillé dans les années 70 se mettent à faire de la SF « populaire » -je trouve que ça dévalorise le mot populaire- il ny a plus lombre dune réflexion. Dans les années 80 Pelot, Jeury continuent à bosser, ils bossent pour le Fleuve, parce quils ne peuvent plus être publiés ailleurs, on les prends plus, ni chez Pocket, ni chez Lafond et ils font du soap opéra. Et début des années 90 cest des gens qui les ont lus, des gens comme moi, qui ont découvert la SF, qui ont appris la SF à travers à la fois Brunner, Asimov, Curval, Jeury. Ça fait tout un panel dauteurs qui se retrouve avec à la fois lenvie de dire des choses, donc la première motivation décriture elle est politique, mais qui ont envie de faire rêver aussi, qui ont envie de retrouver ce souffle épique américain, davoir en face de toi un lecteur qui te parle de tes personnages, qui te dis " putain cest génial ce que técris, elle est bien cette nana, cest fabuleux, jai vécu avec " et là tas fait ton job. Et dêtre aussi insidieux que le sont les américains. Et toi, dans la SF quest ce qui tangoisse et quest-ce que tu as envie de dire par rapport à comment le monde évolue technologiquement ? Jai aucune angoisse technologique, je suis quelquun qui est réellement fasciné par le besoin dapprendre et de connaître et daller plus loin. Jai pas de problème moral vis à vis de léthique scientifique. Je vis dans un monde où la science est dépendante de budgets qui sont pour la plupart militaires donc quelle que soit la bonne volonté et encore je doute quil y ait des bonnes volontés, parce quon ne forme pas les scientifiques. On les forme à leur science mais on ne les forme pas à une connaissance du monde, à une appréhension de lhumanité, les implications politiques de leurs propres travaux. Ils font de la recherche et de temps en temps on sen sert dune façon, on sen sert dune autre, mais bon cest comme ça. Donc je nai aucun a priori, rien. Pour moi la science cest un plus, toujours, même quand ça donne les pires couilles. Ya pas dinvention nouvelle qui va apporter une méchanceté supplémentaire. La méchanceté elle est déjà là. Pour donner un exemple cest vrai que quand Oppenheimer fabrique sa bombe A cest vrai quil devient plus facile de détruire dun seul coup 500 000 personnes, mais ça ne fait rien, on aurait pris le temps de le faire à la main, on aurait prit 3 mois, mais on laurait fait, au lieu de le faire en 1 seconde ½. Cest la guerre du Golfe par exemple, ah, faut pas (???)utiliser larme nucléaire, cest le blocus qui est derrière. Par rapport à la guerre du Golfe, je ny vois pas tant lié à lévolution technologique, ça les, mais cest plus une guerre de propagande pure. Ça cest nouveau. Cest ancien en même temps, tu regarde la propagande de la guerre entre la France et lAllemagne à la fin du siècle dernier, cétait déjà le même truc. Mais létat à lépoque contrôlait officiellement les médias, alors que là létat nest pas censé contrôler les médias. Les médias sont censés être indépendants, or ce quil y a dextraordinaire avec la guerre du golfe cest quil y a un contrôle absolu, pas par les états, mais par les armées. Et le public bon enfant, comme dhabitude, prend les choses telles quon lui envoie. Ce qui est effarant cest que ça va à un point tel que Mitterrand obtient de toutes les chaînes de télé que ni Bernard Laviliers, ni Renaud, ni Goldman ne passent dans une émission pendant cette période-là. Ils sont interdits démission. Et tout cela est fait avec une gentillesse exemplaire. Ils auraient probablement dit des choses quil ne fallait pas. Et on na jamais entendu aucune voix qui disait, aucune. Cest pas que les voix nexistaient pas mais quà partir de ce moment là, ah ben, on va aller interviewer Michel Sardou, où Eddy Mitchel qui va aller se donner en spectacle devant... Cest marrant, jai lu un thriller il ny a pas longtemps, " Reality show ", sorti chez NRF noire, de Larry Beinyheart. Cest pas vraiment un polar, en fait ça commence avec le conseiller en communication de Bush qui est sur le point de clamser et qui dit " on va perdre la réélection, le seul moyen de la gagner cest de contacter tel agent à Hollywood, on va monter une guerre ". ET il fait produire une guerre par un producteur et un réalisateur genre Spielberg et tout le long tu nas pas vraiment denquête, le mec visualise tout ce qui a été fait sur la guerre, toutes les images qui ont été fait et il fait une synthèse de la guerre idéologiquement parfaite, avec un méchant vraiment méchant, un contexte dramatique, un cadre esthétique. Et ça se finit au moment où la guerre du Golfe commence. Et tu as tous les plans montrés à la télé qui sont repris dans des documentaires, cest effroyable. Cest génial parce que cest la manoeuvre américaine de ces six derniers mois. Cest exactement ça. Tout ça pour cacher le défaut du pénis du président. Il ny a même pas denquête, tu vois juste le type qui se visualise cette guerre parfaite. Tu vois, pour moi, ça cest de la SF. Quelle que soit la parution, cest de la SF. Parce quil y a une approche qui est de lextrapolation scientifique sur la notion de sociologie. Il y a la construction dun monde phantasmatique qui est présenté comme la réalité et qui la transforme. Cest étonnant, mais ça ne te choque même pas, tu te dis : cest ça. Et ben voilà, cest ça. En même temps ce nest pas de la SF parce que toute la part technologique nest pas présente là-dedans. Cest pas SF dans la mesure où lextrapolation scientifique nexiste pas, oui. Quest-ce que pourrais être la SF pour toi aujourdhui ? Ce quelle est. Moi, je suis ravis et content, jai toujours aimé la SF, jai la chance davoir autour de moi des auteurs de SF qui font un boulot faramineux. Cest à dire qui à la fois sont responsables de ce quils disent, remettent en cause, essaient de proposer des choses différentes, donc font un boulot politique au sens Grec du terme, donc investissement personnel dans la communauté et qui en même temps on envie de répondre aux gens qui sont fascinés par les étoiles, lexploration stellaire... Pour moi la SF idéale, cest celle qui succède à la philosophie, qui remplace un petit peu la philo, mais cest pas que la SF, toute littérature devrait être comme ça, qui est là pour monter le monde tel quil est, à travers des métaphores certes, puissantes, avec la SF tu peux décaler une histoire de deux ans, trois ans dans le futur et tu fait mal, enfin tu peux faire mal. ET qui fait ça en respectant le premier moteur de lecture qui est un besoin dévasion. Cest avoir complètement digéré cette technique romanesque faramineuse des américains tout en restant européen jusquau bout des ongles, de ne rien faire de gratuit, rien. Ça donne des Céline malheureusement de temps en temps, on en as pas heureusement en France en SF. Ça viendra peut-être, on aura peut-être un facho dans les années à venir... Je serai le Pen jy réfléchirai sérieusement. Tu sais que Rêve de fer est le livre le plus vendu dans les librairies dextrême droite ? Cest faramineux. Spinrad, il est furieux. Norman, tu lui dit ça il devient tout rouge. " Jai pas écrit un bouquin fasciste moi ". Rêve de fer cest un des deux chefs doeuvre de Norman, avec Jack Barron et léternité. Rêve de fer cest un emballage, et à lintérieur il y a un roman qui est censé avoir été écrit par Adolf Hitler, qui démonte les mécanismes du fascisme à louvre dans la littérature populaire daction. Là où Norman est complètement précurseur, il sais déjà, alors que la Fantasy existe peu, il y a déjà quelques auteurs... Il y a Howard. Il y a Howard, il y a Liber, il y a quelques mecs qui en font, Jack Vance entre autres, aussi et il dit : attention, la Fantasy cest facho. Tous les créneaux de la fantasy, cest facho. Cest lopium du peuple. On te présente Hitler sous forme dun roman de SF populaire, tu as tous les fantasmes du 3 ème reich sous forme dun truc grand public, tu as toute lidéologie qui tes présentée au premier degré comme un truc daventure. Et là ou cest faramineux cest quil y a manifestement 9 personnes sur 10 qui le lisent au premier degré. Et en plus apparemment dans les librairies dextrême droite il conseillent apparemment de ne pas lire la préface. Ni la postface, parce que dans la postface un universitaire imaginaire analyse le bouquin et dit : cest le fait dun malade mental et ça marche parce que cest au premier degré, cest reptilien. tu ne peux pas le prendre au premier degré. Pauvre Norman. Jai un copain, qui a participé à une enquête pour la gendarmerie, sur les librairies dextrême droite et il ressort de cette enquête que le roman le plus vendu dans les librairies dextrême droite, cest Rêve de fer. Le copain avait été terrifié. Cest quelquun qui sintéresse énormément aux ucrhonies, entre autres les ucrhonie qui prennent pour base la victoire des Nazies pendant la deuxième guerre mondiale. Ya de quoi faire... Il y en a eut un autre, il y a quelques années, qui se présentait sous forme dun roman historique, Fatherland. Ainsi que le Dick, Le Maître du haut Château. Ça cest une chose quon a du mal à imaginer mais en France les lecteurs de SF sont clairement ancrés à gauche, cest du 9,95 sur 10 à peu près, alors que les auteurs quon lit sont essentiellement américains et sont clairement ancrés à droite, voire même à tendance extrême droite, des gens comme Robert Heinlein. Et aujourdhui tu vois des gens qui sont des gauchistes militants qui lisent Heinlein en disant : cest génial ! Cest inquiétant quand-même... Parce que ça marche, ça prend. Parce quil y a un savoir faire. Cest là quun film comme celui de Besson dont le contenu idéologique... Même le scénario tu le cherche, par contre le film est bien fait. Mais au travers dune innocence de réalisateur qui nen a rien à foutre du monde, cest clair que Besson il sen fout de ce que sont les autres, mais même au travers de ça il arrivera à te dire beaucoup plus de choses quun Lucas ou un Spielberg. Macno me fait penser un peu au mouvement Cyberpunk. Oui, cest parce quil y a le mot intelligence artificielle, ce qui est marrant parce que cest Jean-Bernard Pouy qui a pondu ça alors lui qui est pas du tout branché là-dessus, ça lui paraissait être quelque chose de lépoque, du temps, voire même en devenir alors il fallait faire quelque chose autour. Ce nest pas cyber du tout et dailleurs je pense quaucun auteur ne travaillera dans ce sens. Même des gens qui auraient des tendances, comme Roland C. Wagner, qui volontiers se laisserait aller dans ce genre de trucs ne le fera pas, parce que ce nest pas le propos. Et en même temps quand on regarde le bouquin comme ça, juste une approche rapide, on a limpression que... Quatrième de couverture ! Avec en plus lillustration de couverture, on se dit : oui, ça pourrait très bien rentrer... Oui, le réseau neuronal, etc... Cest un mouvement qui a fait un peu long feu... Oui. Enfin oui et non, parce la réalité sen est approchée. Elle la dépassé surtout. Ce quécrivait Gibson dans les années 80, tu le lis aujourdhui, tu te dis : doù il est sorti, lui, cest du Jules Verne. Je me demande comment la SF peut évoluer par rapport à ça. Le retard quon a... Avec Duniach on fait un bouquin, on travaille depuis 3 ans dessus. Il est très Hard Science, Jean Claude, il est près de la science, cest son métier et puis il fait une veille scientifique permanente, il aime ça. Il y a des choses quon a mis au point il y a trois ans et il ne se passe pas un coup de téléphone sans quil me disse : attends, là on a faux et puis on est en retard, on parle dun truc qui va se produire dans 5000 ans et aujourdhui on est en retard, nous, en 98. Tu lui dit : Oui, Jean Claude mais ça fait rien, cest fait, cest comme ça. Prendre de lavance, les auteurs anglais sont en train de le faire, je dirais quil y a une poignée dauteurs anglais qui de nouveau ont pris de lavance par rapport à la science. En France, ça va pas être facile, on le sait. Lehman le sait, Bordage sen fout, lui cest pas sont propos, il traite de lêtre humain, lui, très clairement et que la science soit vérifiable ou non, Pfffff, dailleurs ce qui fait que ses bouquins sont extrêmement intéressants cest quil est clairement capable dimaginer nimporte quoi et de te mettre en clin doeil " mais attends, cest de la science fiction ". En même temps il y a un courant actuel qui se tourne beaucoup plus vers le passé. Oui, parce que cest plus facile à traiter. Je lai fait, dailleurs, " Parleur, ou les chroniques dun rêve enclavé ", cest de la science fiction à contre pied, cest de la SF parce que les matières scientifiques y sont abordées, essentiellement la socio et la politologie cest une approche science fictive mais ce bouquin il est inclassable, cest pas de la fantasy, cest pas... Il y a un mélange des genres souvent dans ce que técris... Jaime bien. Cest ça qui mattirait dans Macno. Là cest des gens du Polar qui avaient envie de faire un truc ou on réfléchit à quelque chose qui est derrière, un petit peu plus loin, cest pas cet intervenant Poulpe. Toi, tu talimentes beaucoup, scientifiquement ? Ouais. Cest pas un hasard si jécris de la SF, jai toujours eu une fascination énorme et dailleurs cest pour ça que jai pas dinquiétudes scientifiques, pour moi il faut quon en sache davantage et davantage encore et quon aille plus loin. Je suis anarchiste. Anarchiste ça veut dire, je suis un anarchiste humaniste, je ne renie pas les origines communistes de lanarchisme, bien au contraire, je les défends à fond la caisse ça veut dire que tout individu devrait vivre une vie qui soit épanouissante pour lui, qui soit son propre choix. Ça nécessite à un moment donné quun certain nombre de tâches qui sont réalisées par des êtres humains ne le soient plus, parce quelles sont avilissantes, parce quelles sont physiquement trop éprouvantes, parce quelles tuent. donc il va valoir que la science et la technologie évoluent énormément pour quon soulage lhomme de ces tâches-là. Cest assez utopiste... Cest pas utopiste, attend, cest en train de se faire et ça fait longtemps que ça se fait, quand on a commencé à remplacer dans les chaînes de montage dans les usines automobiles des mecs qui étaient géniaux : ils cotisaient toute leur vie pour la retraite mais ils mourraient avant, on a remplacé ça par des robots, alors effectivement cest générateur de chômage, cest générateur demmerdes, on a inventé le mot chômages, on aurait pu parler de vacances. Mais bon, cétait lépanouissement par le travail, alors... Quelque part est-ce que ça ne vise pas à supprimer lhomme aussi ? Tu sait il y a quelque chose de très très difficile pour un possédant, cest quà un moment donné tu es le seul à disposer dun certain nombre de loisirs, on a par lintermédiaire dun certain nombre de facteurs économiques qui sont entre autres les facteurs du chômage et puis la baisse des coûts surtout, démocratisé le loisir, en démocratisant le loisir le possédant nest plus le seul à posséder et ben il en est malheureux. Avant il ny avait que lui qui jouait au Golf aujourdhui nimporte quel con peut aller dans un club municipal et moyennant 600 F par an jouer au Golf. Alors que le mec prenait des parts dans un Golf il payait ça 45 000 F par an, chaque fois quil jouait ça lui coûtait 1000 balles, ravi ! Un loisir qui nappartenait quà lui. Aujourdhui tout le monde à accès aux mêmes loisirs, en plus tout le monde à accès à linformation, Linternet. Ah, génial. En même temps je trouve quil y a quelque chose dinquiétant là-dedans, pas dans la démocratisation, mais plus dans la suppression du sens de lhomme, cest un peu ça que je crains... Le sens de lhomme ? Faut que tu me développes un peu... Je crois que ça serait un peu laspect humain tel que lentendrait Dick, quand il parle en fait de ce qui fait lhomme. Dick sinterroge en fait sur ce qui différencie lhomme à la limite du robot, quest ce qui fait le facteur humain... Ouais, ouais, ouais, mais on peut se poser la question de pleins de façons différentes, je crois que dès le 15ème siècle on se posait la question dune façon exemplaire, quest ce qui différencie le noir du blanc ? Le problème de la conscience et de la validité de lexistence de lautre il est toujours dactualité, cest le plus puissant moteur des nationalismes, de tous les extrémismes. Des fois quand je suis très très optimiste, je me dis: putain, on a suffisamment évolué, suffisamment appris pleins de choses, on est presque humain maintenant. Et puis le presque humain il est vachement gênant parce que le petit mot « presque » il fait qu'on est toujours des enculés, quoi, qui pensons quà notre propre gueule. Et en même temps est-ce que cest pas ça lhumanité ? Quest-ce qui différencie lhomme de lanimal ? Cest la capacité dapprendre, dévoluer, daller un petit peu plus loin, donc si on se revendique en tant quhumain il faut renoncer une fois pour toutes au fait établi " je suis comme ça, donc je ne serai jamais meilleur, parce que je suis un être humain, jai droit à mes faiblesses ". Pour moi lhumanité apparaît du fait que lhomme cherche à se dépasser et en même temps il est confronté à ses limites, il se heurte à ses limites et cest là où elle naît lhumanité. Ça cest individualiste. Tu as totalement raison, je pense que ton propos nest pas critiquable, cest essentiellement vrai, le seul problème cest que pour moi il ny a pas de notion dhumanité là-dedans, il y a juste la notion de lhomme tel que lon a conscience soi dêtre. Je pense que lhumanité existe à partir du moment où un homme, quel quil soit a conscience du reste des hommes. Elle existe dans des choses qui sont parfois sympa et agréable et dans des choses qui sont parfois complètement désagréables parce qu'on peut avoir conscience des autres hommes en se disant : je vais les exploiter. Cest lhumanité. Mais de la même façon quon a arrêté un certain nombre dinepties, on a aboli lesclavage, on a pondu des droits de lhomme, on crée dautres formes, je pense que petit à petit on avance, il ne faut pas jouer le jeu de lhyper-libéralisme et rentrer dans cette chose quon présente comme du Darwinisme social qui en fait est du Lamartisme, dailleurs, et dire : ah lhomme est comme ça, lhomme est méchant, lhomme est mauvais, lhomme a un besoin à un moment donné dêtre mieux que les autres, plus que les autres, davoir plus, non, cest un retour en arrière fondamental, cest quelque chose qui nie tous les gens qui se sont dans les millénaires qui précèdent, battus pour que plus profitent de davantage et on a des moyens phénoménaux aujourdhui. Ce qui meffraie dans lévolution scientifique cest les recherches sur lintelligence artificielle, tous les travaux que font les Japonais sur les robots par exemple, est-ce que cest pas cherché à créer un surhomme ? Il y a ça. Cest pas un hasard dailleurs si tu as cité les Japonais qui ne sont pas à la pointe dans le domaine, mais qui investissent beaucoup plus dargent que les autres nations. Ya quelque part des gens qui pensent quil faudrait soulager lhomme de sa propre responsabilité et qui ont envie de créer une intelligence supérieure. Lintelligence artificielle, quand on y travaille aujourdhui, quand on y réfléchit un tout petit peu, la façon dont les écrivains lon présenté, cest réellement pour que lhomme se débarrasse de cette espèce de conscience humaine et dise : « alors là je suis plus responsable, cest lordinateur qui gère ». Aujourdhui cest toujours emmerdant, tes obligé de rentrer les données dans lordinateur, si tu ne le fait pas, ça ne marche pas. Ça change, grâce à Microsoft ou à cause de notre cher Bill Gates, tas même plus besoin de comprendre comment la machine fonctionne, de plus en plus tu te décharge et depuis toujours ça a été la réflexion : " ah désolé, là cest lordinateur quà merdé, IL sest planté ". Poussé à lextrême cest lintelligence artificielle qui devient responsable dun certain nombre de choses, elle gère la société, elle gère la médecine, elle gère la justice, elle gère... Jaime bien si tu veux parce que cest un outil à double tranchant, le jour où réellement on arrivera à faire une conscience artificielle, elle sera pas ce que le mec en a fait. Ça reviens à créer Dieu. Cest drôle : lhomme jouant à créer Dieu. Cest génial. Cest affolant en même temps. Avant ça il y aura -cest là que la veille scientifique en tant quauteur de science fiction devient importante- on aura appris depuis bien longtemps à améliorer les performances du cerveau humain, on nous greffera des puces bien avant quon arrive à créer une intelligence artificielle, cest à dire que tu aura un cerveau assisté. Je crois que le jour où on aura crée une conscience artificielle, on sera redevenu maître de ça. Aujourdhui cest vrai que si on donnait la capacité de conscience de soi et la capacité de volonté, de choisir à un ordinateur il serait beaucoup plus performant quun être humain, parce quil travaille beaucoup plus vite. Mais on investi beaucoup plus dargent dans la recherche sur lamélioration de lêtre humain que dans lintelligence artificielle, cest ni positif ni négatif ce que je dis. Dans les années 60 il y avait la peur de beaucoup dauteur de SF cétait " on veut créer le soldat parfait par lintermédiaire des manipulations génétiques, etc ". Non, on essaye de créer un être humain vachement plus indépendant, dont le cerveau fonctionne vachement plus vite, qui aurait vachement moins de maladies. Cest un fantasme... Cest pas un fantasme, cest une réalité, on la déjà fait, notre espérance de vie à nous elle est de 110 ans. lespérance de nos parents était de 75. Est-ce quon est plus humain que les gens quil y avait il y a 50 ans ? Non, on ne sera jamais plus humain quun être humain. Cest pas possible. Par contre on a une façon dappréhender lhumanité et notre propre humanité, celle quon a dans notre tête qui est différente. Ça cest mon côté fondamentalement positif, mon côté fondamentalement négatif cest -vous avez lu Faust de Lehman ? Et ben malheureusement, cest lui qui a raison, tout ce que je viens de te dire cest voulu par un certain nombre de petits connards qui ont pas envie de partager et qui sont en train de nous organiser une belle merde qui est déjà bien en place, qui est du féodalisme à létat brut. Jai les deux côtés à la fois mais là où ça devient extrêmement vicieux, on peux pas les attaquer, à part le fait quils tiennent tout : le fric, les médias, larmée à part ce détail. En plus ils sont complètement démagos : Hé ! Tu sera pauvre, mais tu auras un lave vaisselle. Accessoirement le lave-vaisselle fera télévision, tu auras 90 chaînes et plus aucune raison daller voir le monde à lextérieur. Tu seras heureux dêtre devant la vie, parce que ta propre vie cest pas important, cest celle quon te retransmet par le câble. Cest ce quil y avait dans les grands classiques de la SF. Cest Dick le premier, de toute façon, Ubik, hou làlà ! Le Meilleur des mondes aussi, 1984, Un bonheur insoutenable de Levin, ya un petit aspect visionnaire dedans qui était sympa, cétait bien. On se rapproche de ça. Ouais, cest toujours limite, limite. La différence, cest toujours lêtre humain, nimporte qui peut avoir internet pour 45 F/mois 2 heures dutilisation, 95 F en utilisation illimitée, nimporte qui, mais on est, nous ici à peut près représentatifs de 0,3/1000 de la population mondiale, cest là que ça ne va plus. Cest
là où je me demande si la multiplication des possibilités ne finit pas
par les invalider. Ben, ouais, mais cest ça qui est génial,
cest ça quà très très bien compris le libéralisme quand il
est passé à lultra libéralisme, cest : offrir une palette
de possibilités à tout un chacun, quelles que soient ses conditions de
vie ou intérieur, ou culturelles, tu leur met à portée des facilitées
extraordinaires, dans pleins de domaines différents, après faut choisir
et pour choisir, éducationellement, cest avant que tu apprends à
choisir... Je suis en train de méloigner du communisme en ce moment,
je suis de plus en plus anar, jai des périodes, je fluctue entre
les deux. Le communisme, cest toute ma culture, lanarchiste
que je suis de temps en temps violemment a toujours conscience que le
géniteur de lanarchie, cest le communisme. Mais je parle didéologie,
là, je ne parle pas de mise en application depuis 1917, ça cest
autre chose. Je ne sais pas, je ne suis pas du tout utopiste... Moi non plus. Dailleurs, je suis plutôt contre utopiste. Et de temps en temps je vais jusquà me battre contre des idées que je défends. Pourtant ya des limites, des choses qui sont à la fois des gains et des pertes. Par exemple : je ne crois pas quil y ai aujourdhui de solution non violente à lultra libéralisme. Cest un gain, parce que jai fait un pas en avant, jai accepté la démarche " il faut casser ", cest une perte parce que je suis fondamentalement, idéologiquement non violent mais bon la non-violence pratiquée au quotidien par tous ces gens qui sont de magnifiques électeurs, je suis mort de rire. |
Entretien paru dans Jade 15 © Lionel Tran, Markus Leicht & 6 Pieds Sous Terre, 1999 / Photo © Valérie Berge |