L'évènement est extraordinaire,
et un ministre - le premier très souvent - annonce pour l'occasion l'imminence
de mesures spectaculaires aux énoncés un peu techniques : des connexions
moins chères, de nouveaux types de forfaits, une adresse e-mail gratuite
pour chaque citoyen, des tas de machines dans les écoles, enfin des trucs
déments. On évoque aussi très souvent des évènements pas croyables : des
rassemblements tout le week-end à la cité des sciences, une classe de
primaire qui fait un site sur les volcans, le maire d'une commune de trois
habitants qui a fait un truc ahurissant pour faire connaître son bourg...
Ne parlons pas de ces particuliers formidables qui ont trouvé un truc
original à faire : se marier sur Internet, se renseigner sur sa généalogie,
faire visiter son épicerie en Quicktime VR.
Trop de bonheur.
Le sujet de deux-trois minutes sur l'utilisation d'Internet est en train
de devenir un véritable genre télévisuel, dans dix ans, on rigolera sans
doute bien en se les repassant, mais pour l'instant, ça n'est que ridicule.
Bien sûr, cette joie frénétique peut sembler un peu exagérée, un peu artificielle.
L'enfilade d'idées originales sensées prouver qu'Internet est un truc
énorme a toutes les allures d'un désoeuvrement extrème, comme si chacun
retournait l'objet dans tous les sens en attendant qu'un truc en sorte,
que ça fasse du bruit, que quelqu'un comprenne enfin à quoi ça sert.
Ca fait un peu "Shadok". L'an dernier, tout le monde (la télévision, quoi)
savait à quoi sert Internet ; Un truc simple en fait : gagner de l'argent,
des sommes incroyables. Des entrepreneurs de vingt ans, de douze ans pourquoi
pas, nous montraient tout fièrement les locaux de leur start-up. Super-top
: millionnaire à vingt ans, dix employés, travaille tard le soir mais
dans une ambiance détendue, MP3 à fond dans le casque, gadgets high-tech
plein les poches, les mains, le bureau. Ces trois jeunes diplômés d'une
école de commerce qui ont eu l'idée du siècle et qui l'exposent avec assurance
à des banquiers qui pourraient être leurs grand-parents... Si c'est pas
épatant !
Un an a passé (les ans passent, on n'y peut rien), et tout le monde (la
télévision) a compris que le mécanisme des start-up était un peu foireux.
Vendre du virtuel, de l'immatériel, c'est possible et pas spécialement
nouveau, mais sans clients, c'est déjà une autre affaire. Lever des capitaux
pour un projet bizarre, nouveau, c'est possible aussi, mais il faut ensuite
que ça rapporte, et pas comme un livret d'épargne s'il vous plait, il
faut que la mise soit doublée.
Il est assez plaisant d'imaginer la tête de mort-vivant de l'investisseur
qui doit expliquer au conseil d'administration de la banque qui l'emploie
que bon, les trente millions partis dans "bloop.com", "moo.com" ou "woowoowoo.com",
hein, faudrait pas s'en formaliser, qu'ils n'ont servi qu'à racheter à
prix d'or des espaces publicitaires nocturnes de M6 pour vendre des services
incompréhensibles ou inutiles.
Un observateur ignorant des tenants et aboutissants du métier de banquier
jurerait qu'il est curieux de placer ses économies dans des entreprises
dont les noms évoquent systématiquement le babil.
C'est dit, Internet ne sert pas à gagner de l'argent, on est fixés...
C'est à nouveau le brouillard, les incertitudes, la liberté, quoi. Youpi
!
JN.
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