JadeWeb
| à la loupe
OH MERDE, LES LAPINS ! | Carlos Nine |
|||
|
|||
Le récit se développe à raison d’un ou deux grands dessins par page, en format à l’italienne, en un rythme de lecture ample et souple, conduisant le lecteur avec lenteur et nonchalance vers la catastrophe finale. Le format des images permet à Carlos Nine de laisser son dessin se déployer pleinement, il est rapide, jeté, proche du croquis, d’une grande aisance gestuelle, inachevé. Cette mouvance du dessin, son aspect instable, comme en perpétuelle métamorphose (voir Tito le chat des Balkans changeant de forme à volonté), fait écho au récit : tout y est toujours sous la menace d’un anéantissement qui finira par venir.
Le dessin de Carlos Nine émerge d’un chaos manipulé, trituré, malaxé, amené à faire forme, mais en laisse visible la marque : toute forme s’abstrait du chaos et en garde l’empreinte. Simplement, si certains s’évertuent à l’effacer, à faire disparaître l’informe de la forme -jusqu’à l'hyperréalisme et au kitsch-, Carlos Nine, lui, en souligne la présence par la forme même qu’il trace, car c’est là la condition de possibilité de la représentation. En ce sens, il faut comprendre Carlos Nine quand il déclare : "L’art est abstrait, dès le début, ça ne se discute pas. Il n’y a pas d’art figuratif" (1). Cela veut dire aussi que s'il y a figure, c’est parce qu'il y a d’abord abstraction, elle est l’acte mental qui consiste à abstraire du réel ce qui va pouvoir faire signe puis figure. Abstraire, c’est extraire. C’est ce qu’énonce son dessin, Carlos Nine organise le chaos tout en lui laissant place.
D’autres
dessinateurs, chacun de manière spécifique et singulière,
pensent les formes et la représentation comme émergeant
du chaos et le donnent à voir : Alberto Breccia, Touïs,
Jose Muñoz, Rodolphe Töpffer, Alex Barbier, Aristophane, Olivier
Bramanti, Stepano Ricci, etc. Carlos Nine, lui, improvise autour -ou à
partir- d’une forme trouvée ou donnée -ou des deux.
À
leur tour, les dessins vont permettre à l'auteur de développer
son récit, ils le lui suggèrent, Carlos Nine se tenant dans
le mouvement narratif et expressif qu’ils induisent : "Je
me crée un répertoire de formes personnelles, des dessins
spontanés que je recueille pour en faire une sorte de dictionnaire
graphique. Il me suffit de le parcourir, d’en choisir quelques unes et
de me demander quelle histoire pourrait en sortir. (…) Je pars presque
toujours du dessin, c’est lui qui va me suggérer une possibilité
dramatique" (1).
Oh
merde, les lapins ! met en œuvre ce processus, mais ici, un deuxième
axe vient l’altérer : l’intention de l’auteur de bâtir
une fable politique. Si l’idée de la fable semble bien liée
au dessin, son caractère politique, lui, en est extérieur.
La narration est portée par autre chose que le graphisme seul,
il y a un décollage entre le potentiel narratif de la forme et
la volonté discursive de Carlos Nine. [1] Les citations de Carlos Nine sont tirées de l'entretien réalisé par Pier Gajewski et Juliana Tobar et disponible sur le site de Coconino world |
|||
|
|||
OH
MERDE, LES LAPINS ! | Carlos Nine |
|||