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Légendes
: B (Paquito Bolino) / S(Caroline Sury)
(mars
1999)
Jade
: Pouvez-vous définir les éditions du Dernier Cri
?
Paquito
Bolino :
Les éditions du Dernier Cri, c’est des artistes qui éditent
d’autres artistes, des artistes qui viennent en résidence,
à l’atelier, faire des livres avec nous, plutôt qu’une
volonté d’éditeur avec un concept pré établi
et des collections très précises. Donc on peut partir
dans n’importe quelle direction à partir du moment où
le directeur artistique, c’est à dire moi, estime que la
personne fait un boulot qui m’intéresse, où qui colle
à l’esprit de nos éditions. Mais, en même temps
ça peut passer d’un livre en sérigraphie qui se déplie
en accordéon de trois mètres de long jusqu’au bouquin
de Mischa Good, qui ressemble à un catalogue de jouets sexuels
sur papier glacé et qui esthétiquement est aux antipodes
des bouquins qu’on fait en sérigraphie. Tout ça sous
forme associative bien sûr et autofinancé par la vente
des livres, sans aucun apport du CNL où de la région.
De l’auto-suffisance graphique qui ne pète pas trop haut.
Quels
étaient les buts que vous vous étiez fixés
en commençant ?
B
: C’est
toujours les mêmes buts. Je pense que tout le monde répond
à peu près la même chose : on fait des images,
on n’arrive pas à trouver d’éditeur, on se rend compte
que tout est bloqué, donc on se met à monter une structure.
Après, ce qui se passe, c’est qu’au bout de plusieurs années
les optiques des gens changent, quand ça commence à
devenir du bizness, parce qu’il y a toujours un moment ou ça
devient du bizness. Et là on est dans la situation où
on se rend compte que ça fait cinq ans qu’on fait des livres
de la même manière. C’est à dire avec toujours
le même investissement personnel. Caroline et moi, on contacte
les auteurs, on imprime les livres, on les façonne, on les
plie, on les vend. Ça reste artisanal. C’est un peu la limite
de ce genre d’édition. Je pense que c’est aussi un peu sa
force. Tu agis toujours autant et tu es beaucoup plus libre de faire
ce que tu veux. Je suis peut-être paranoïaque mais je
me méfie des subventions ou des demandes d’aide à
l’édition parce qu’au bout d’un moment, on l’a vu en faisant
le film pour Canal, 90 % des gens s’autocensurent avant d’oser montrer
au diffuseur ce qu’ils ont envie de faire. Donc à la fin
on arrive à avoir des produits, parce que c’est des produits,
qui sont moins bien que ce qu’ils auraient pu être. Donc notre
logique d’édition est la même qu’on applique avec le
film. Avec l’argent qu’on a eu, parce que là on a eu des
aides, parce que là c’est le cinéma, parce que là
on a fait le maximum qu’on pouvait, on ne s’est rien empêché
de faire. Je leur montre les images après, ils nous disent :
ça on en veut pas, ça on en veut pas, ça ne
passera jamais. C’est évident. Tu le sais quand tu le fais.
Mais si tu ne le réalises pas parce que tu sais que ça
ne sera pas diffusé à la télé et si
pour toi la finalité c’est d’être à la télé
où d’être diffusé dans toutes les librairies
Fnac de France, je ne vois pas l’intérêt de faire de
l’édition où de l’art. Nous, on aborde l’édition
avec une vision " d’artiste ". D’après
leurs codes c’est plus …débile, dirons-nous, financièrement
et professionnellement parlant. Mais par contre la manière
dont ça se passe avec les gens avec qui on travaille, est
plus passionné.
Comment
la confrontation au monde de l’édition vous a-t-elle fait
évoluer ?
B
: C’est
quoi, le monde de l’édition ? Nous on a commencé
à faire nos bouquins à Paris, on savait qu’on s’adressait
à une clientèle qui allait au Regard Moderne, à
des gens qu’on croiserait pendant les concerts où on tenait
des stands et je ne pensais plus du tout remettre les pieds à
Angoulême. J’y avais passé cinq ans, j’avais vu l’horreur
que c’était, le coin des fanzines, soit disant de l’auto
édition, c’était insupportable donc je n’y allais
plus. En revenant à Angoulême j’ai croisé d’autres
gens et puis j’ai bien senti le décalage entre l’espace Fanzine
et l’Espace indépendant. Ça c’est aussi un truc que
je trouve dommageable et c’est pour ça qu’on va à
Angoulême. Le coin des Fanzines c’est sûr que ça
a un côté péjoratif, c’est sûr que la
moitié des trucs ne sont pas très intéressants
mais il faut quand même laisser le temps aux gens de devenir
intéressants ou de disparaître. Je suis un idéaliste
bête, mais j’imaginais plus une extension de l’espace fanzine,
quand il y avait la Fanzinothèque et collé à
ça il y aurait eu une bulle avec les indépendants,
ce qui aurait fait un peu moins marchand du temple. Maintenant dans
le monde de l’édition il y a des gens qui reconnaissent notre
travail en temps qu’éditeur mais notre manière de
travailler n’a pas changé. Ça n’a fait que me conforter
dans ma manière de fonctionner, parce que je veux arriver
à fonctionner le plus libre possible. Ce n’est pas facile,
tu payes le prix de ta liberté, mais tu es quand même
libre de faire ce que tu veux, ce qui je pense n’est pas le cas
quand tu te diS : il faut que
je passe le cap, tu te dis je veux devenir éditeur professionnel
ou je veux rentrer dans la cours des grands. La cours des grands
c’est juste la cours des grands enculés et puis c’est tout.
C’est caricatural, mais c’est comme ça. C’est un jeu où
tu es obligé de fournir, de toujours penser ta production.
Comme nous fonctionnons c’est plus lié à un enthousiasme,
à une rencontre qui débouche tout de suite sur un
livre. Nous on est particulièrement suicidaire comme éditeur.
Ça fait un an que j’ai un livre de Pierre la Police et je
n’ai pas envie de l’imprimer maintenant, donc je ne l’imprime pas.
Et logiquement c’est le livre que je devrais imprimer en premier
parce que c’est le livre qui me rapporterait le plus d’argent.
A la fin ça arrive à un fonctionnement tordu comme
ça mais qu’est-ce que j’en ai à foutre, je sais que
je ferais ce livre. Je voulais le faire il y a quatre ans et je
le ferait quatre ans après, voilà. Mais ce qui est
sûr c’est que les livres qu’on a dans nos placards, parce
qu’on en a dans nos placards et on n’a pas le temps des les réaliser
parce qu’on fait un film ou autre chose, seront réalisés
un jour. Même si au moment où je le fais je n’ai plus
le même enthousiasme qu’au moment où j’ai reçu
le dessin ça ne changera rien du tout. J’ai dit au mec que
je le fait et je le fait. C’est tout. Voilà.
Combien
de titres sortez vous par an ?
B
: Pfff…
Combien de titres par an ? On en sortait plus quand on était
à Paris. Il y a des mois on en sortait deux. J’aimerai en
sortir au moins un par mois mais cette année avec le film
on a prit du retard, on ne peut pas tenir ce rythme là, c’est
pour ça qu’on a commencé à faire des livres
en Offset. Ça nous revient plus cher que lorsque nous sortons
nous même nos bouquins en sérigraphie mais du coup
on peut éditer des choses qu’on aurait pas édité
autrement. Ça n’aurait pas le même rendu, comme le
Mischa Good, des aquarelles…
Comment
sélectionnez-vous les auteurs ?
B
: C’est
des rencontres, je vois des bouquins, des fanzines, je suis toujours
à la recherche de choses nouvelles. Dès qu’il y a
un truc qui me plait je contacte le mec, ça marche plus souvent
dans ce sens. Je vais chercher des dessinateurs que j’aime bien
à l’étranger, genre Charles Burns, je le harcèle
un peu, touts les ans je lui envoie un courrier. J’envoie des perches
un peu partout et puis les gens savent que s’ils on envie de faire
un livre différent, on peut faire un livre avec un style
complètement différent, des carnets de croquis, des
livres objets. On est ouvert à toute proposition. C’est d’autant
plus intéressant quand les gens commencent à avoir
un style établi. Je serait près à le faire
avec pleins de dessinateurs, s’ils avaient envie.
Comment
estimez-vous le travail des gros éditeurs ?
B
: Estimer ?
Je ne l’estime pas.
Editorialement,
quelle a été votre plus grande réussite ?
B
: Le
catalogue du Docteur Good. Ah Ah Ah ! Non, ce n’est pas vrai,
je n’ai pas de réussite. Par rapport à la sérigraphie
pour moi le plus impressionnant c’est le Dernier Cri n°10 parce
que c’était 90 pages en sérigraphie avec plein de
couleurs, mais c’est à cause de la somme d’images et de travail.
Sinon je n’ai pas de livre préféré. Ils sont
préférés quand tu viens de le finir. Qaund
tu regarde les bouquins que tu as fait trois ans avant, tu te dis
: celui-là était vachement bien. Mais je ne
me pose pas ces questions là quand je les fait.
Est-ce
qu’il y a des bouquins dont tu n’est pas satisfait ?
B
: Bien
sûr. Il y a des choses qui se font justement parce qu’on ne
calcule pas à l’avance, on ne fait pas un plan de promotion,
des fois on va se retrouver à faire un livre dans l’urgence
parce que quelqu’un aura une expo alors on monte tout de suite quelque
chose, mais après tu te rends compte que si tu avais plus
pensé le livre ça aurait été mieux mais
en même temps avec la manière dont on fonctionne c’est
comme ça, c’est vivant, donc il y a des plantades. S’il y
a des plantades ça correspondait à un moment précis
où j’avais rencontré quelqu’un, ou un moment ou il
fallait faire quelque chose et puis c’est tout, si on l’a fait,
pour moi c’est le plus important. Et après tu as toujours
la surprise de voir le retour du public, surtout quand tu fais des
festivals. Tu te rends compte qu’il y a des livres qui plaisent
à des gens pour des raisons, c’est comme pour la musique.
En tant qu’éditeur ou artiste tu n’as pas à te poser
toutes ces questions. Tu fais ce que tu as envie de faire au moment
ou ça sort et puis après il se passe ce qui se passe.
La seule chose qui est importante c’est d’avoir la possibilité
de le faire et de ne pas être coincé. D’avoir la liberté
de le faire. Je me répète sans arrêt, je suis
un vieillard, je radote. Arrrh !
Comment
voyez-vous l’évolution du Dernier Cri ?
B
: Je
ne sais pas. Je dois demander à mon comptable… et à
mon directeur de promotion des affaires sociales. Ah ah ! Non,
je n’en sais rien du tout. Là on a acheté des caméras
pour pouvoir faire de l’animation pour que ça puisse fonctionner
beaucoup mieux au niveau de la production sans tomber dans un fonctionnement
forcément juste commerçant, on aimerait qu’il y ait
plus de gens qui soient régulièrement avec nous ici,
pour pouvoir mener de front plusieurs projets, donc ça c’est
quelque chose que j’ai proposé à des petits éditeurs
à Paris comme Stronx, afin de faire des sous-collections
dans le Dernier Cri, où le Dernier Cri financerait tout le
projet mais bien sûr prendrait le bénéfice des
ventes des livres, mais offrirait à un petit éditeur
la possibilité de faire ce qu’il veut, parce qu’à
ce moment là notre atelier, l’outil de production qu’on a
mis en place fonctionnerait tout le temps. Je trouve ça dommage,
pendant deux mois qu’on a passé à faire un film, notre
atelier ne sert à rien du tout. Moi je me rappelle la période
où j’étais à Paris et je cherchais à
tout prix la possibilité de faire quelque chose, un outil
de production qu’on puisse utiliser, en contrepartie, c’est sûr,
avec la possibilité de s’exprimer. Je ne sais pas ce que
va donner le deuxième film mais maintenant on a deux caméras
et le banc titre donc on peux continuer à faire des films
comme on fait des livres. Donc le développement du Dernier
Cri, j’aimerai qu’il y ait une partie musicale, que Disco Trauma
continue à sortir des disques, qu’il y ait quelqu’un qui
gère ça, j’aimerai qu’il y ait l’atelier qui fonctionne
à plein temps, et ça ce n’est pas encore le cas, plutôt
un développement artistique, je n’aime pas voir du matériel
dormir, je n’aime pas voir un investissement qu’on a avec Caroline
et les autres depuis des années qui, maintenant qu’on a plein
d’autres choses à s’occuper, ne sert à rien. Ça,
ça me rend malade, plus que de ne pas être dans les
Fnac où de me faire traiter de débile par d’autres
éditeurs soit disant clairvoyants. C’est clair ?
(mai
1998)
Ce
qui vous singularise, dans la mouvance éditoriale qui est
apparue depuis quelques années, c’est une approche artisanale,
ouvertement underground. Vous considérez vous comme un éditeur
indépendant ?
B
: Moi
je faisais plus de musique que de dessin, je suis arrivé
aux Beaux-Arts par hasard, je m’en foutais, enfin je m’en foutais
pas, je dessinais des supers héros quand j’étais ado,
puis après j’ai lu Métal Hurlant. Au début
je lisais Métal Hurlant et je trouvais débile qu’il
y ait des dessins de Caro dedans, je me disais qu’est-ce que c’était
cette horreur et puis après je me disais que c’était
tout le reste qui était de la merde, ça n’a rien à
foutre là-dedans. Et puis maintenant le problème c’est
qu’il n’y a plus rien, en support national, qui passe ce genre d’images,
ça n’existe plus. Et c’est pour ça, en tout cas que
moi je fais le Dernier Cri. S’il y avait des gens qui le faisait
et qui nous publiait, qui le diffuserait partout je ne me ferait
pas chier à fabriquer 1000 Hôpital Brut. C’est lamentable,
il n’y a plus que dalle. Les mecs qui le faisaient à l’époque,
les mecs qui avaient le pouvoir pour faire ce genre de trucs là
il y en a encore une partie qui sont à l’écho des
savanes, qui étaient au début, mais ça devient
des fonctionnaires, c’est le travail, faut faire son travail, c’est
du cul et puis ça c’est lamentable quoi. Donc voilà,
je fais ça parce que j’en ai besoin, il n’y a plus grand
chose comme ça, quoi, je ne sais pas pourquoi, ça
me plaît et c’est tout, c’est la seule raison.
Moi j’aimerai qu’on me sorte des bouquins mais que les bouquins
soient mieux que ce que je peux faire. Si c’est pour me faire une
merde, même si c’est tiré à 10 000 exemplaires
j’en ai rien à foutre, je préfère tirer mon
truc, je ne veux pas que ce soit dénaturé, que ce
soit n’importe quoi. Si on a fait ça c’est que justement,
des bouquins on en a fait en photocopie... Moi j’ai décidé
de faire des bouquins en sérigraphie pour que ce genre d’images
aient le statut qu’elles doivent avoir au même niveau que
n’importe quelle merde qui se trouve crédité en galerie
avec des beaux papiers et qui n’a aucun contenu. Et ça ça
a marché, c’est sûr, par exemple, prends un gars comme
Freddox, avec son " bonjour bonheur ", quand
il était en photocopie avec Stronx y’a des gens qui le regardaient
pas, même des gens qui achetaient nos livres, parce que c’était
en photocopie, c’est du fanzine, c’est punk, c’est nul. Tu prends
la même chose et tu le mets avec de la couleur et d’un coup
tu vois, l’image elle est la même, elle garde sa force, ça
lui enlève rien, mais du coup ça change le regard
des gens dessus. Et c’est pour ça qu’on fait le Dernier Cri
aussi, ça crédibilise les choses, sinon les gens passent
à côté, c’est tout. Mais bon, en même
temps...
Dans
mon esprit le Dernier Cri est indissociable de la Libraire " Un
Regard Moderne ", qui est une des rares librairies en
France à défendre ouvertement les graphzines. Comment
s’est faite la rencontre avec cet univers ?
B
: Quand
j’étais aux Beaux-Arts à Angoulême je ne connaissais
rien à tout ça. La première année j’ai
rencontré Alexios Tioyas qui faisait un fanzine, c’était
un fanzine de musique mais il y avait du graphisme dedans, il y
avait des dessins de Muzo, Placid, des gens de Bazooka. A l’époque
je ne connaissais pas tout ça. Je connaissais Kebra, ce que
je voyais dans les kiosques à côté de chez moi,
voilà, quoi. Et donc en allant à Angoulême on
s’arrêtait à Toulouse, il y avait Atomium, à
l’époque c’était vachement actif, j’ai fait plein
d’expos avec ces gens-là. Lui il avait tous les Bulletins
Périodiques, les Elles sont de Sortie, moi je connaissais
rien à tout ça et j’arrivais chez un mec qui avait
toute la collection, j’ai découvert ça comme ça.
Après il y avait une fille qui était aux Beaux-Arts,
je sais même plus ce qu’elle fait maintenant, avec qui j’ai
fait des trucs à Angoulême, Margot Duchnoc et elle,
elle collectionnait ces trucs-là. Et c’est avec elle je pense
que je suis allé la première fois aux Yeux Fertiles,
c’était les Yeux Fertiles à l’époque, ça
à commencé comme ça, puis bon j’ai découvert
Raw, tout ça, quoi... Une expo au Regard Moderne c’est le
seul endroit. On a fait plein d’expos, collectives, toujours, par
rapport au Dernier Cri, mais, on ne vends pas d’originaux.
Caroline Sury : Le regard Moderne
c’est le seul endroit où on vend des trucs.
B
: C’est
comme une Galerie, en même temps on peux trouver les originaux
des gens.
Vous
considérez-vous comme le prolongement du mouvement revendiqué
par le groupe Bazooka et Elles sont de Sortie au début des
années 80 ?
B
: Je
me sens étranger aux gens, parce que la plupart je les ai
rencontré et ils puent. Je ne me sens pas étranger
au fait d’être éditeur, de faire des livres différents,
des livres qui ne sont pas vraiment de la bande dessinée,
qui sont plus des livres graphiques, pas des livres objets non plus
à la con, qui soient un truc nourrit par la bande dessinée,
par le dessin de presse mais qui devient autre chose, pour ça
je me sens proche d’eux. Moi, c’est ça qui m’a influencé,
c’est ça qui m’a donné envie de faire des livres.
Mais bon, après ça s’arrête là parce
que malheureusement je n’aurais pas du essayer de les rencontrer.
Parce qu’après, c’est trop lamentable, je préfère
rencontrer des petits vieux qui font de la peinture dans leur maison,
ou des petits jeunes, en se disant faut pas qu’ils deviennent comme
ça.
Depuis
5 années vous êtes installés sur Marseille,
or la logique voudrait que l’avant garde soit à Paris...
B
: à
Paris c’est juste : chaque semaine, chaque jour il faut qu’il
y ait un truc nouveau et puis voilà. Nous on serait resté
à Paris, on serait plus à la mode et puis on serait
à la mode parce qu’on sort un livre, n’importe quoi, ça
n’a pas de sens, il ne faut pas se fier à ça. Le dernier
truc qu’il ai mis dans Nova, c’est " les achats de fin
d’année, les 10 livres qu’il vous faut ", y’a un
mec qui a parlé du bouquin de Mike Diana. Et alors là
du coup au regard Moderne ça a été la ruée,
la ruée ; c’est à dire il y a dû avoir 30 personnes
qui ont débarqué : " -le livre interdit,
on le veut ! " et quand ils ont vu le livre : " -
c’est ça le livre interdit ? On le veux pas ".
parce qu’il n’y a pas de bites, y’a des bites mais c’est pas ce
qu’ils s’imaginent dedans, c’est pas des cadavres ouverts en deux,
je ne sais pas ce qu’ils s’imaginaient... Tout ça pour dire
que c’est de la gnognotte, ça n’a pas de sens, ça
repose sur rien. C’est débile, complètement débile.
Ce qui est marrant, c’est de voir que quand tu as un fonctionnement
comme ça tu te retrouve dans des festival et juqu’à
maintenant on ne faisait pas de festivals de bd, j’imaginais que
ce n’était même pas la peine qu’on foute les pieds
là-dedans, j’avais fait une croix là-dessus, parce
que j’ai été baigné là-dedans pendant
5 ans aux Beaux-Arts et ça puait trop, c’était même
pas la peine donc après je ne réfléchissais
même pas à ça. Et en fait on y est allé
parce qu’on nous a invité et on a découvert qu’il
y avait des gens que ça intéressait, on ne s’en doutait
pas. C’est pour ça que toutes ces espèces de schémas
à la con, c’est la société... c’est des lieux
communs ce que je te dis là, c’est des lieux communs. Tu
es dans ton truc et tu ne peux pas avoir tel truc. Au moment où
j’ai rencontré les gens de l’art brut c’était le moment
où j’étais complètement écoeuré
de Paris et des dessinateurs, de ce milieu là, que j’avais
voulu rencontrer, qui étaient pour moi comme des exemples,
des gens qui faisaient de l’édition, des gens qui m’avaient
fait avancer à une époque. Quand je les ai vu ils
ne m’ont pas fait avancer, je les ai trouvé pathétiquement
pathétiques et nuls et stars, aussi débiles, même
pire que des rock stars, des mecs qui font de la variété.
Parce que les mecs ils ont un statut dans leur tête, ils sont
dans leur petit monde complètement fermé, c’est le
Regard Moderne, c’est 10 personnes qui les connaissent qui sont
des gens importants, qui ont un poste clé dans un journal
et ils s’imaginent qu’il n’y a qu’eux et qu’ils sont des jeunes
artistes alors qu’ils ont 40 balais ou 50 et c’est complètement
fou. Et en plus ils ne veulent pas du tout se mélanger, ils
restent tous entre eux, c’est comme le show bizness, c’est exactement
la caricature, mais elle est là, quoi. Et tu vois des gens
comme Y5P5, qui vit à Paris, qui est banlieusard qui a toujours
été en marge de ça parce que lui il n’a jamais
pu rentrer dans ce jeu-là. Par exemple, c’est un cas, mais
il y en a d’autres... Moi ça m’avais dégoûté,
j’avais rencontré des mecs comme Raymond Reynaud, qui ont
fait de la création personnelle complètement coupée
de tout ça et il y avait même pas le support du livre
; qui ont continué à faire leur trucs, moi ça
m’a filé la pêche et ça m’a changé un
petit peu les pendules dans ma tête, je me suis rendu compte
qu’il n’y avait pas forcément que ce fonctionnement là,
y’avait pas que Paris. Et puis on le voit. Rien qu’au niveau de
concerts, il se passe plus de trucs en province, il y a plus de
gens actifs dans leur bled qu’à Paris parce que Paris c’est
un endroit sclérosé, c’est l’endroit si tu veux réussir
tu vas à Paris. Réussir à quoi ? Réussir
à en mettre ? C’est caricatural ce que je dis là,
mais je préfère ne pas rentrer dans les détails.
La
revue Hôpital Brut se rapproche plus d’un magazine que des
livres que vous avez l’habitude d’éditer. A quelle envie
correspond-elle ?
B
: Hôpital
Brut c’est ce que je voulais faire depuis longtemps mais je ne pouvais
jamais le faire. Moi mon rêve ce n’est pas de faire de la
sérigraphie au départ, c’était de faire un
magazine, sorti tous les mois, je ne sais pas, quoi, genre Zoulou,
genre ce que je n’ai pas à me mettre sous les dents et puis
c’est tout. Et puis je n’ai jamais pu le faire, parce que la distribution,
l’argent qu’il faut et à Paris on n’avait pas de plan. A
Paris on travaillait avec les gens d’Ortie parce qu’on pensait que
c’était un bon moyen de faire ça et sauf que c’était
plus musical que graphique et aussi on poussait pour qu’il y ait
des images dedans, même si l’esthétique était
proche de nous, parce que c’était nous qui faisions les sérigraphies,
l’imprimeur c’était nous qui l’avions trouvé, la couleur
de papier, tu vois, la direction artistique on peut dire que c’était
le Dernier Cri avec les artistes du Dernier Cri ; c’était
eux qui l’imprimaient, c’était eux qui le pliaient mais au
final ça n’allait pas assez loin, j’étais frustré
et puis avant je faisais un truc à Bordeaux avec Hello Happy
Taxpayers et puis c’est pareil, j’amenais les images parce que je
ne me voyais pas en train de faire un magazine du début à
la fin, je voulais participer à un truc collectif et à
la fin je me suis dit : ben le seul moyen de faire le truc que tu
veux pour un magazine que tu as envie de voir ben c’est de le faire
toi. C’est malheureux, même de te taper un truc comme ça.
Parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui veulent se bouger le
cul et puis c’est tout. Puis voilà, c’est pour ça
qu’Hôptal Brut c’est comme ça.
Le
fait qu’il y ait autant de textes dans le premier m’a étonné,
je m’attendais, de votre part à une revue uniquement graphique...
S
:
C’est un magazine. Le sujet c’était : faire travailler les
artistes qu’on connaissait. Les dessinateurs devaient parler à
leur façon d’un sujet qui les branche, c’est pas un truc
de journaliste ou de professionnel de l’écriture. Et puis
du coup l’écriture est venue comme ça et puis après
on a rencontré des gens qui aiment écrire sur des
sujets même s’ils ne sont pas dessinateurs, genre le mec qui
a fait le truc sur les objets trouvés dans les livres et
puis après il y a Delcourt, voilà...
D’autres
petits éditeurs s’orientent vers la Bande dessinée
d’avant garde étrangère, vers le monde de la peinture,
le Dernier Cri, logiquement, s’ouvre à celui de l’Art Brut.
Qu’est ce qui vous a accroché dans ce genre de production
?
B
: On
n’est pas souple, c’est pour ça qu’on est proche des gens
qui font de l’Art Brut et de leur sensibilité, c’est parce
que dans ces milieux de l’auto-édition il y a des gens qui
sont ingérables et puis il suffit qu’on te passe une commande
pour que tu n’arrives plus à faire quelque chose de créatif
et de bien. Et alors, quand tu fais ce que tu veux, tu vois, Raymond
Reynaud on est en train de lui faire un livre, on a pris les dessins
qu’il y a chez lui et la couverture, il n’arrive pas à faire
les lettrages qu’il y a dessus, simplement c’est vraiment symptomatique
de ce que c’est ça, tu vois. A partir du moment où
on t’oblige à faire un truc c’est une commande, c’est du
travail. Ce problème là nous, on l’a dans la position
où on est, mais inversement les mecs qui sont illustrateurs
et avec qui on bosse, qui gagne de l’argent avec leurs dessins,
ils ont la haine alors on leur dit " vas-y, fais ce que
tu veux, moi je m’en fous ", "dis moi un truc ",
" Non, je ne te dis rien, tu veux faire un truc, tu fais
ce que tu veux et vas-y à fond, parce que moi y’a pas de
censure, bien au contraire, donne-moi le truc que tu peux passer
nulle part. Ce que je dis aux gens qui proposent de faire des livres
à des gens comme eux, qui bossent et qui ont tout le temps
des restrictions, c’est " fais moi le livre que personne
ne peut te faire ", mais ça c’est la pire des choses
que tu peux dire à des gens comme ça, parce que d’un
seul coup ils se retrouvent en face, y’a plus " ah c’est
un dessin pour Libé, j’ai pas pu faire vraiment ce que je
voulais parce que tu comprends, c’est un dessin pour Libé,
faut bien que je bouffe ", quand je lui dis " vas-y
fais ce que tu veux " et que n’importe comment s’ils le
font ça ne gagne pas d’argent en plus, c’est vraiment pour
faire ce que t’as envie, c’est là que ça devient...
Mais le truc qui te coince il est le même pour nous, quand
t’as un gros truc qui te dis " vas-y, faut nous faire
telle illustration pour demain. Les mecs ils t’appellent, enfin
c’est même pas eux qui t’appelle c’est toi qui leur coure
après, tu leur lèche le cul.
S
:
Quand t’as bien léché, hop, t’as ton petit cadeau
des fois.
B
: Tu
vas picoler avec eux, tu vas faire semblant de faire la fête
toute la nuit avec eux, c’est ça.
De
quel oeil les gens qui font de l’art brut voient votre travail ?
B
: C’est
uniquement un contact humain. Eux c’est vraiment le contact humain
qui est important. Nos trucs, ils les trouvent trop hard. Y’a des
trucs qu’ils trouvent bien, y’a des trucs qu’ils ne comprennent
pas, j’en suis sur, y’a des trucs surprenant aussi, un mec comme
Raymond Reynaud, quand on a fait des concerts Discotroma à
Marseille il est venu avec sa femme et ses amis, c’était
marrant. Et puis après il te parle de ça mais il ne
t’en parle pas comme les mecs de ces milieux là peuvent te
parler : ça me fait penser à ça, ça
me fait penser à ci, il ressent juste ce que tu donnes, ton
énergie, je sais pas, c’est destructuré, il va te
le dire, sans employer le mot, il va te dire que ce n’est pas conventionnel.
C’est marrant, il a vu le film Hôpital Brut, il l’a regardé
à la télé, il est venu quand on a fait l’expo
à Marseille, il parle du film, il en parle d’une manière
qui est bien, c’est incroyable, le mec il a 75 ans il a pigé
le truc. Et quand il te fais un truc il te dit :
" ça
je l’ai fait pour vous, ça ça va vous plaire ",
les trucs qu’il te montre tu sais qu’il tombe juste, avec ces gens-là
ça passe à l’instinctif totalement, parce que si tu
commences à parler profond avec eux, tu vas te rendre compte
qu’ils sont cathos, tu vas te rendre compte que presque l’autre
il est Pétainiste depuis 30 à 50 ans et là
ça ne va plus, mais dès que tu parle de leur création
ils sont complètement délirants, ils te parlent de
matière rouille, d’autres dimensions, ils sont allumés,
moi je trouve ça plus éclatant, plus extraordinaire
que des gens de cet âge là tiennent un discours comme
ça, que des performeurs parisiens...
S
:
tu sais jamais si c’est de la mode ou si c’est sincère. Mais
à cet âge là ils n’en ont rien à foutre
de rien.
B
: Le
mec quand il te dit : " moi
il y a des galeries qui me courent après, qui veulent m’exposer
là ", moi je leur dit : " maintenant,
je vais bientôt mourir, c’est trop tard, qu’est-ce que je
ferais avec votre argent, je m’achèterai une voiture neuve
pour aller au village à côté ? Celle que j’ai
me suffit. "
Comment
vous avez rencontré ces gens ?
B
: C’est
le hasard total. Y’avait ce bouquin, le guide de la France insolite,
où il y avait quelques lieux qui étaient recensés
et par ça tu en rencontres un et c’est pareil, il y a un
réseau qui existe dans ce milieu là, avec plein de
connections, avec des fanzines et tout, le bulletin d’Ozenda, dès
que tu te plonge là-dedans, c’est comme si tu ouvre les portes.
Les gens tu vas les voir, ils sont super ouverts.
Toi,
Caroline, tu avais exposé des trucs avec eux, d’ailleurs...
S
:
Ouais, à Roquevert. C’est leur expo à eux avec leurs
moyens du bord. Ça fait expo d’MJC, des fois, ça peut
être super aussi. C’est un mélange, y’a des trucs supers,
dans le genre qu’on aime bien nous, et puis des trucs vraiment merdiques.
Déjà, j’étais vachement touchée qu’ils
m’exposent parce qu’à priori je ne leur ai rien demandé.
Nous on est allés les voir parce que eux ce qu’ils font ça
nous plaît mais la réciproque n’était pas évidente
et Danièle Jacqui elle aime bien mes dessins en fait. Elle
m’a exposé dans " l’expo des femmes ",
c’est quoi, c’est en mars qu’il y a la journée de la femme
?
B
: Le
milieu de l’art brut, art singulier, c’est pas art brut vraiment,
des gens qui font de l’art hors les normes, quoi, ça commence
à être à la mode maintenant. Y’a des gens qui
sont artistes " nazes ", qui n’ont aucune possibilité
d’avoir accès au monde de l’art contemporain, mais c’est
ce qu’ils attendent et qui se greffent dans ces milieux-là.
Et c’est ça qui est surprenant, c’est qu’on s’est retrouvé
dans des réunions avant les festivals où tu vois qu’il
y a des gens qui font partie de cette expo qui sont là, qui
n’ont rien à faire là-dedans, qui sont en train de
sortir à ces gens là qui ne connaissent pas ce discours
là, ils ne fonctionnent pas comme ça ; leur donner
des leçons, est-ce qu’ils peuvent donner des leçons
à quelqu’un qui a passé sa vie à faire de l’art
en étant complètement marginal, en lui disant " il
serait temps maintenant de faire des catalogues comme ça
où de faire ci ou de faire ça... " c’est
complètement débile, ils sont en train de faire les
discours qu’on entendait aux Beaux-Arts, c’est énervant.
Et puis eux comme il y a des gens plus jeunes qui viennent dans
leur truc ils sont contents, ils sont vachement ouverts, ils exposent
les gens, ils laissent rentrer du monde là dedans. Justement
c’est la discussion quand on a interviewé le mec à
Tévos, au musée de l’art Brut, tu verras dans Hôpital
Brut.
Vos
publications sont le support d’une certaine marginalité,
à laquelle vous offrez asile dans les pages d’Hôpital
Brut…
B
: Pendant
des années je me suis senti comme un pauvre con qui fait
des gribouillages et qui dessine comme un mongolien. Ça je
l’ai ressenti.
Quelle
est l’image qui t’as le plus marqué enfant ?
B
: Le
seul truc que je me souviens quand j’étais gamin, c’est quand
mon grand père m’a réveillé à 4 heure
du matin pour aller aux abattoirs et il m’a dit : " choisis
un petit veau " et j’ai choisi le plus joli et
après il l’a tué, j’étais à côté
et puis c’est tout.
Économiquement,
comment fonctionne le Dernier Cri ?
B : Tiens,
une fois y’a un mec qui est passé à notre atelier
à la friche et qui nous fait : " ah, ouais,
mais vous, le Dernier Cri, vous êtes vachement connus, vous
devez avoir plein d’adhérents ". Non, on n’a
pas d’adhérents, on doit avoir 10 personnes régulièrement
qui nous écrivent pour savoir ce qu’on fait...
Aujourd’hui
vous commencez à avoir plus de poids et en même temps
vous êtes une structure plus artisanale que la plupart des
autres éditeurs indépendants.
B
: Que
dalle, n’importe quand ça peut s’arrêter, on est complètement
dans une situation précaire, depuis le début, c’était
même pire à Paris parce que l’atelier n’était
pas à nous, le matériel n’était pas à
nous. C’est un fonctionnement complètement suicidaire mais
en même temps c’est comme ça qu’on a toujours fonctionné,
c’est comme ça que les gens avec qui on essaie de fonctionner
ils fonctionnent. Suicidaire dans le sens où on n’assure
pas les arrières. Les gens qui investissent normalement dans
un atelier ou qui font de l’édition ; t’es à Paris,
tu fais n’importe quelle merde, t’envoie la moitié de ton
tirage en service de presse et t’existes. Les autres éditeurs
indépendant sont moins suicidaires que nous dans le sens
où si tu mets un pieds dans ce système, n’importe
quelle merde que tu fais après, tu auras le CNL, si tu rentres
dans ce système là, si tu en as un peu, tu en aura
de plus en plus... C’est un fonctionnement comme un autre, comme
la course aux subventions, après tu gères ça,
tu y passes la moitié de ton temps, tu te dis, ben voilà,
faut inviter tel mec, faut faire tel truc, faut aller à tel
truc pour qu’on me voit, faut aussi montrer tel truc, tu sors tes
livres à tel moment parce qu’il y a telle expo, je sais pas
la palestine en bd... C’est des calculs, ça veut pas dire
qu’on fait de la merde, ça veut dire que chaque truc est
calculé et nous y’a rien qui est calculé. On prévoit
de faire des trucs avec des gens, on reçoit un truc entre
temps, on fait ce livre là avant de faire le truc qu’on devait
faire depuis 2 ans et inversement là on a un bouquin de Pierre
la Police, là on l’a vu il y a 6 mois, il nous dit : " faites
ce que vous voulez, je ne veux même pas d’argent ".
C’était complètement hallucinant.
Vous
êtes actuellement en train de préparer un deuxième
film d’animation pour l’Oeil du Cyclone, cet été vous
avez joué au Festival des musiques expérimentales
de Mimi...
B
: Le
problème c’est une question de temps. Quand tu fais un truc
avec des gens... La préparation de l’oeil du cyclone en 97
ça a été la folie, je ne pensais pas arriver
jusqu’au bout de l’année et arriver à faire tout ce
qu’on avait prévu de faire. On y est arrivé mais après
on était complètement vidé parce que les autres
arrivent quand le truc est prêt, ils amènent leur truc
et puis voilà et en amont nous on s’occupe de tout le bordel
et puis au bout d’un moment c’est chiant. Pendant qu’on faisait
le film tout le monde est venue une semaine et moi, pendant trois
mois ça a duré, je faisais même des cauchemars,
parce que je savais que le lendemain il fallait que je me tape l’autre
connard de producteur. Donc au bout d’un moment tu te dis pourquoi
je fais ça, ça suffit mais en même temps moi
je fais ça parce que je sais quand je fais ça ce qui
se passe c’est beaucoup plus fort que quand je suis tout seul chez
moi à ma table à dessiner mes dessins à la
con. C’est pour ça que j’aime faire la musique avec des groupes,
avec des gens, parce que quand tu joues avec des gens il y a un
truc qui se passe.
S
: ...
il aime se faire chier avec des gens.
B
: Mais
non.
S
:
Mais si, à chaque fois il y a des galères.
B
: Bien
sûr mais si tu fais de la musique avec ton 4 pistes de merde,
c’est chiant tandis que si tu joues avec des gens il y a un truc
qui se passe qui t’amène plus loin, c’est pareil avec un
tournage comme ça, c’est pas pareil avec les livres par contre
parce que les livres c’est nous qui les faisons exister et il n’y
a pas beaucoup de gens qui viennent les faire avec nous et ça,
oui, ça commence à faire chier mais en même
temps c’est un peu le moteur de tout ce qu’on fait, le plan qu’on
a eu de faire ce film à Canal c’est parce qu’on fait des
livres avec plein de gens, on aurait fait qu’un livre... Au départ
le projet c’était par rapport au Dernier Cri, parce qu’on
produit des choses différentes, donc t’existes. Au bout d’un
moment des mecs comme l’Asso nous parlent, avant ils ne nous parlaient
pas. Tout ça c’est significatif, c’est juste que comme tu
n’es pas médiatisé et que personne ne sais ce que
t’es au bout d’un moment si tu persistes à faire des choses
et ben les gens ils parlent de toi et on se rends compte d’un coup
: " merde, y’a tout ça qui a été
fait ". D’un coup on te parle, même si t’es pas
connu vraiment, parce que t’existes, et puis c’est tout. Et puis
si on fait ça c’est pour que ça existe.
C’est
pour ça, le fait de vous être barré à
Marseille, même si vous en avez bavé, ça vous
a donné plus de force, plus de crédit.
B
: Je
ne sais pas si ça nous a donné plus de force. On est
arrivés il y a 2 ans et demi et on avait rien.
Vous
avez plus de crédibilité aujourd’hui.
B
:
Je pense que c’est le truc de Canal Plus. Et, c’est particulièrement
lamentable, le fait qu’on est fait ce truc là avec Canal
Plus, ça a même redonné de l’intérêt
à des gens avec qui on travaille où avec qui on pourrait
travailler, parce qu’on a fait un truc avec Canal Plus et ça
c’est quand même naze, mais c’est comme ça, c’est la
vie. Parce que quand t’es loin des gens, l’indifférence,
c’est ça... Nous on s’est cassés, en disant aux gens
avec qui on bossait, on s’en va pour pouvoir continuer à
produire, à faire des choses comme ça, si on reste
à Paris on n’arrête, on n’a plus d’atelier, on n’a
pas d’argent, si on reste à Paris on ne peux plus continuer
à faire ça, donc on va ailleurs pour faire ça.
Quand on est parti, c’était genre " les salauds,
ils nous laissent tomber ", je sais pas quoi... ET après
tu vois les gens qui ont envie de venir faire des trucs. Et a Paris
le téléphone, le répondeur était sans
arrêt plein à craquer et à Marseille, je vais
te dire, les gens qui viennent faire des trucs il n’y en a pas beaucoup,
mais tant mieux, comme ça au moins ça nous prends
moins la tête et puis voilà. La séléction
s’est faite naturellement. A Paris il y avait une dynamique parce
qu’on avait un lieu qui n’était pas loin de Paris et il y
avait des gens qui passaient pour faire bien, ils venaient une fois
par mois, quoi mais il y avait au moins quelqu’un de différent
par jour en plus de ceux qui revenaient tous les jours et après
c’étaient des gens qui passaient comme ça. Mais des
gens qui passent comme ça, c’est toujours utile, ça
te refile la pêche, parce que t’es là, pourquoi je
fais ça ? Et là tu vois un mec débarquer, il
a jamais vu, je fais-ci, je fais-ça, il te montre ses dessins,
il te file un coup de main, c’est bien, quoi.
Ça
ne vous tenterais pas de tout laisser tomber et de vous retirer
pour faire vos trucs dans votre coin ?
S
:
Mais on est déjà retirés, nous, qu’est-ce que
tu veux qu’on fasse de plus ? On n’est pas rentiers non plus, faut
bien qu’on vive.
B
:
On fait de l’édition, on fait pas de l’édition pour
vivre, enfin si on fait de l’édition pour vivre, mais on
fait de l’édition comme on ferait de l’art Brut, pour prendre
l’édition d’une autre manière, c’est tout, on essaye
d’aller chercher des gens que les autres ne vont pas chercher, voilà.
Il
y a quand même une volonté de monter...
S
:
Oui.
B
: Oui,
mais c’est pour ça qu’on mélange des mecs qui font
de l’art brut que personne n’avait jamais édité avec
des mecs qui ont 17 ans qui font leur premier fanzine. On se permet
d’avoir un comportement différent de tous les autres éditeurs.
S
:
Voilà, c’est notre manière à nous d’être
retiré. Avant on était à Paris, c’est sûr
qu’on avait toute notre petite cour autour. Y’avait tout le temps
des gens à l’atelier qui venait nous aider à tirer
nos bouquins, tout ce passait chez nous. Depuis qu’on est à
Marseille...
B
: Vous
avez vu... Quand on était à Paris ils venaient les
uns après les autres, quand ils avaient envie.
S
:
à Part Freddox et Laëtitia (du graphzine Stronx), avec
qui on n’a jamais bossé à Paris d’ailleurs, on ne
les connait vraiment que depuis qu’on est à Marseille. Eux
ils viennent, ils viennent tirer leurs bouquins, c’est des passionnés,
c’est des jusqu’au boutistes, ils le font sur leur temps. Ils bossent
toute l’année et en plus ils font leurs bouquins.
B
: Nous
si on fait ça c’est pour que le lieu de production existe,
qu’il serve à des gens. Je suis ouvert. J’ai pas envie qu’il
ne serve à rien quand il ne me sert pas. Je ne suis pas un
entrepreneur, je ne fais pas ça pour gagner plein de pognon,
sinon on ferait des affiches pour la ville de Marseille, on irait
taper aux portes culturelles et ça serait facile...
S
:
C’est vrai, on pourrait faire ça.
B
: On
passerait notre temps à imprimer des affiches, à gagner
plein d’argent. Mais on n’en a rien à cirer.
S
: On
est vraiment retiré, on fait ce qui nous plaît.
B
: Mais
on ne veux pas non plus être complètement retiré
de tout.
S
: On
veux la reconnaissance, on a besoin de communiquer avec des gens,
de voir des gens et de faire partager nos trucs, on n’est pas non
plus des ermites. Nous on était à Paris avant et on
a pu se casser.
B
: On
était à Paris, on était sur place pendant 7
ans ; j’avais pas la possibilité de faire des trucs, je faisais
de la bande dessinée dans mon coin, pendant deux ans on a
eu l’atelier de sérigraphie, on a fait plein de trucs alors
d’un coup on avait des rapaces qui te sautent sur le paleteau parce
qu’on fait des trucs. Enfin, bon... Une fois un type s’est pointé
à la friche, dans notre atelier, sans dire qui il était.
En tout cas après on est allé au restaurant avec lui
et puis à la fin il nous dit qu’il est le rédacteur
en chef de Nova. Il dit " ben ouais, moi je vous ai fait
travailler ". Moi je lui ai dit " attends, non,
je n’ai jamais fait un dessin dans Nova, tu ne m’a jamais fait travailler
dans Nova ". " Ouais mais j’ai fait travailler
des gens que vous éditez ". Je lui ai dit "
Ouais et puis tu devrais en faire travailler plus, d’ailleurs, tu
devrais... ". " Qu’est-ce que je peux faire
pour vous aider ? ". " Pour nous aider, tu vois,
tu pourrais faire une pub, tu pourrais nous donner une page dans
le prochain Nova, comme ça on dirait qu’on est à Marseille,
on montrerais nos livres, tout ça ". " Ah,
non, ça je ne peux pas le faire et tout ". Alors
donc, pas grave, le mec il se casse, Nova parle de nous peut-être
une fois par an maintenant alors qu’avant, enfin, c’est pas grave,
ils ne parlent que de ce qui se passe à Paris, c’est cool,
c’est super, ils font un papier sur Marseille, parce que Marseille
ça commence à être à la mode, donc il
y a eu un supplément sur Marseille dans Nova. Il y a eut
un article sur la friche et à aucun endroit on ne parle du
Dernier Cri. Le rédacteur en chef il est venu dans notre
local, il a acheté les livres, soit disant il trouvait ça
génial et il y a une ligne, il marque " les graphistes
du Cri du port ". Si ça avait été
Porc ça aurait été drôle. Je vais te
dire, quand tu vois ce que c’est les médias, quand tu vois
ce que c’est que Paris, on en a rien à foutre, c’est que
du vent, c’est que de la connerie.
S
: Oui
mais on n’est pas typiquement Marseillais.
B
: On
est typiquement nous-même, on s’en fout, on les emmerde tous.
Ça n’a pas de sens. Le rédacteur en chef il fait quoi
? C’est quoi son boulot ? Normalement il doit relire ce qu’il y
a de marqué dans son journal et là, s’il est intelligent
il dit : attendez, vous mettez n’importe quoi, à Marseille
il y a le Dernier Cri, ils sont là, ils font ça, je
suis allé les voir, ça me semble évident. Si
le mec ne fait pas ça c’est que tout ça c’est superficiel.
C’est des gens qu’on a rencontré et puis c’est tout. Y’a
le mec de la bibliothèque nationale, c’est un mec qui nous
a tannés pour avoir les livres, la première fois que
je l’ai rencontré il m’a dit il faut que vous me donniez
des livres parce que c’est la loi et puis je suis allé le
voir et je lui ai dit que moi je n’étais pas d’accord pour
donner des livres et puis en discutant avec lui et en voyant comment
il était je lui ai filé des livres et je lui ai dit
: " si je te file des livres, toi tu m’écris un
article, il faut qu’il y ai un échange ". Puis
je lui prends la tête, je lui dit : " toi tu ne
connais pas le Regard moderne, t’es à la bibliothèque
nationale c’est juste à côté, tu n’y a jamais
foutu les pieds " et là ils sont allé au
Regard moderne du coup et ils ont fiché tout le monde. C’était
il y a un an et ils ont monté une expo en juin à Paris,
" Regards Noir " et dedans tu as des trucs de
Pascin, des trucs du début du siècle et en même
temps des trucs du Dernier Cri, des trucs de Bruno Richard. D’un
coup ils ont tout recensé mais à la manière
de bibliothécaires, tout est fiché mais bon, en tout
cas je savais qu’il y avait l’enfer à la B.N., cet espèce
de placard où sont rangés les ouvrages licencieux,
donc je lui ait dit : " tu fais un article sur l’Enfer. "
Il me l’a fait.
C’est
bien qu’il y ait des contacts avec un milieu aussi différent.
B
: C’est
la B.N., la nouvelle et alors je lui ait fait : " le
soir du vernissage ont fait un atelier de sérigraphie, on
balance des images sur tout le monde ". Il ma dit
: " ah non,non, c’est pas possible, c’est un truc institutionnel,
c’est les fonctionnaires, c’est trop compliqué, on ne pourra
pas le faire. Mais ça aurait été drôle ".
Chacun a son petit territoire et son petit bizness, les mecs
qui ont le pouvoir sur Paris, ils ne veulent pas qu’il y ait autre
chose qui existe que leur pouvoir à eux. Ils ne veulent pas
le lâcher d’un pouce, même s’ils ne font plus rien,
parce qu’ils tiennent les rênes, et dès qu’il voient
des gens qui arrivent avec de l’énergie pour faire des trucs
ils font tout pour les casser et ça marche comme ça.
Au bout d’un moment quand toi tu fais un truc et que tu leur demande
plus rien et que tu as plus de contact avec eux et que tu fais plus
qu’eux et que tu les dépasse, c’est ce qui est en train de
se passer avec ce qu’on fait nous, et ben d’un coup les mecs ils
te parlent ou ils te courent après, ils ne peuvent plus t’éviter,
c’est plus possible. Y’a des mecs qui montaient des expos il y a
10 ans, que je croise depuis 12 ans, quand j’avais l’atelier de
sérigraphie à Paris, y’avait Caro, y’avait tout le
monde qui passait, j’étais vraiment dans le saint des saints,
des commissaires d’expo, soit disant commissaires d’expo, qu’est-ce
que ça veut dire, commissaire d’expo ?
C’est
marrant, les types de l’Association disent la même chose :
on n’envoie pas de service de presse, personne n’en a rien à
foutre.
B
: Maintenant
ils nous adressent la parole, on peut discuter presque d’égal
à égal. Les préoccupations sont les mêmes.
Je me sens plus proche d’eux que d’autres dont je ne dirais plus
le nom.
Il
y a une dynamique d’ensemble entre les différents éditeurs
indépendants. Je vois ce que l’Asso essaie de faire.
B
: Labo
c’était grave à l’époque, c’était d’une
prétention... Maintenant ils sont dépassés
par les pédants, moi quand je vois Amok où Frigo les
textes qu’ils peuvent pondre... Il y a un texte dans le dernier
frigo, genre : " on est content de nous. " Si
tu le prends au 100ème degré ça peut être
drôle, mais je ne crois pas que c’est drôle, je crois
que c’est prétentieux, c’est genre : " regardez,
les connards, nous... " Il est horrible ce truc-là,
genre avec des trucs à demi-mots :
nous, loin d’essayer de survivre avec des subsides de l’état,
des trucs dans des situations précaires, ça fait vraiment
mais pour qui tu te prends, mon connard, quoi... Je sais pas, ça
m’énerve, même si le truc il est beau, c’est quoi cette
prétention ?
En
même temps, c’est aussi des structures précaires.
B
: C’est
tous des éditeurs indépendants, mais comment tu peux
dire que la moitié de tes productions elles sont payées
par le CNL ? T’es pas un éditeur indépendant, c’est
pas vrai, nous on est un éditeur indépendant et on
en a fait presque autant qu’eux, et pas avec la même diffusion,
pas le même nombre d’exemplaires, eux ils ne sont pas indépendant.
S
: Eux,
c’est du marketing, c’est leur marketing, c’est des mots sans valeur.
Vous
n’avez jamais eut de problèmes avec la censure ?
B
: Pas
encore, mais ça ne va pas tarder. HéHéHé
! Ça n’est pas médiatisé, ça n’a aucun
impact. Ça dépend à qui tu envois les livres,
qui voit les livres.
Tu
t’attends à avoir des problèmes ?
B
: Ah
bien sûr. Mais moi ça ne me dérange pas. Contrairement
à d’autres éditeurs, qui soit disant sont des éditeurs
destroy et qui flippent de ça, je veux dire, être éditeur,
du livre, je ne parle pas de musique, vu la censure en musique,
il faudra beaucoup.
Vous
avez pensé quoi du procès de Jean-Louis Coste ?
B : J’ai
trouvé ça complètement débile, mais
c’est pareil, s’il n’avait pas été sur Internet, un
connard n’aurait pas... C’est toujours pareil, à partir du
moment où ton média, c’est ça qui est bien
avec internet aussi, c’est qu’à partir du moment ou tu est
dedans ça se retrouve au même niveau d’accès
d’information, enfin, c’est pas vraiment vrai.
Si
vous vous faisiez attaquer pour obscénité, pour outrage
aux moeurs, vous réagiriez comment ?
B : Ben
on irais voir un avocat, il y a des gens qui ne font que ça,
moi je ne me fais pas de soucis à ce niveau là, je
veux dire.
S
: C’est
pas malsain.
B
: Tu
sais ce que c’est, ils ont bien attaqué Hara Kiri. Si on
est dans la merde, des gens pour défendre ça on en
trouvera... On a fait un film avec Canal Plus et ça ça
apporte du crédit, ce n’est pas n’importe quoi, c’est de
l’art et comme c’est de l’art, je sais pas, je me fais moins de
soucis que si j’étais aux États Unis en train de faire
ça. Puis en même temps c’est tellement confidentiel,
faut pas déconner. Ce qu’on fait c’est pas plus violent que
des trucs que tu vois à la télé. C’est les
parents qui sont choqués, c’est pas les gamins... Les gamins
ne voient pas de la même manière qu’un adulte.
Vous
travaillez parfois pour Libé, comment ça se passe
?
B : Il
faut leur faire croire que c’est un ami, faut l’appeler, quand t’es
en vacances faut lui envoyer une carte postale, faut lui envoyer
tes bouquins.
S
: Et
moi j’en suis incapable.
B
: C’est
un jeu, tu choisis de le jouer, ou pas.
S
: Mais
je ne sais pas pourquoi ça ne marche pas avec nous, quand
même on a été cool et tout.
B
: parce
que tu ne le fais pas de la bonne manière, on te l’a dis
d’ailleurs, il y en a qui te l’on dit, ce n’est pas ce qu’il faut
faire.
S
: Moi
je peux pas. Non merçi, je préfère rester au
RMI...
B
: Nous
on n’envoie pas de tirage en service de presse, parce que c’est
complètement débile, mais en attendant ça c’est
assurer ses arrières, n’importe quel petit pet de crotte
que je fais et ben tout le monde en parle et tout le monde sait
que j’existe alors que j’en ai fait qu’un en cinq ans ou en 10 ans,
mais n’empêche qu’avec ça à Paris t’as été
connu pour un truc que t’as fait que quelqu’un a vu, le film sur
Canal, si j’avais fait le tour des fêtes parisiennes les six
mois après, tout le monde me connaissait, bravo !