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| à la loupe
MOLOCH | Michaël Matthys |
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Du
Minotaure au Moloch par
S’il faut en croire les voix qui parcourent les gravures de Moloch, Michaël Matthys ne savait véritablement pas à quoi s’attendre quand il entreprit son reportage photographique sur le site de Cockerill Sambre. Seul le goût de la découverte semblait guider ce jeune bédéiste vers les coqueries wallonnes, sinon la volonté de réunir le plus grand nombre de clichés possible ; et ce matériau vitement acquis de lui inspirer la réalisation d’une bande dessinée. Nous le savons, de nos jours, la jeunesse n’attend plus que trop d’idées lui viennent avant d’oser l’amorce d’une création, et jette son dévolu sur une quelconque entreprise, avec une fougue proportionnelle à la trivialité du sujet. Pour avoir rencontré le graveur carolorégien, il nous a semblé d’abord que cette lecture était pertinente. Les entrevues lointaines que nous avons eues avec le jeune Michaël Matthys – vous savez comme il nous plaît de rencontrer la jeunesse créatrice – auront tôt fait de nous instruire des qualités humaines de ce jeune Wallon, saisissantes de modestie et de naturel, et qui auront su s’offrir à nous avec une candeur déconcertante (modestie et naturel qui sont, par ailleurs, on ne le répétera jamais trop, la propriété consubstantielle et quintessencielle des populations de la Sambre). Ainsi, nous avons toute raison de croire le protagoniste du récit, quand il nous dit qu’il est l’auteur ; Michaël Matthys, nous en répondons, ne saurait mentir. Moloch, récit réaliste s’il en est, nous place dès lors en face d’une vérité nue, une authentique bande dessinée-reportage. Nous dirions même, paraphrasant le jargon télévisuel, que Moloch propose les gravures d’un document – la formule nous amuse – réalisé presse à l’épaule (1). Averti qu’il est devant un récit réaliste, au lecteur de comprendre l’invite qui lui est faite de suivre la progression du narrateur jusqu’au cœur de l’immense usine. Mais déjà, chose amusante, la narration vient à nous contredire : elle nous fait part, par le truchement de ses dialogues toujours, de l’intention qu’a notre graveur de baptiser son œuvre future Le Minotaure. Le récit se déployant, Michaël Matthys nous annonce par là que ses motivations étaient plus ordonnancées que nous semblions le penser tout d’abord, dans l’introduction de ce texte ; et cette référence au Minotaure de s’adjoindre comme élément contradictoire au postulat qui voulait que Michaël Matthys, comme bien des jeunes gens de son état, n’ait eu qu’une seule idée pour ce livre ! Plus, l’auteur signale à ses lecteurs sa connaissance d’un texte classique issu de la mythologie ! Saluons cette instruction, trop rare chez les jeunes écrivains d’illustrés. Permettez-nous d’entamer encore une légère digression, pour rappeler à notre jeune lectorat illettré (on ne nous accusera pas d’élitisme !) qui est l’hideuse Bête Minotaure. Anatomie humaine dominée d’une face de taureau, le Minotaure naquit de l’irrépressible amour zoophile de la reine de Crète, Pasiphaé, pour un taureau blanc que le roi Minos, son époux, avait refusé de sacrifier à Poséidon (comme la piscine). Épouvanté par la naissance du monstrueux bâtard, le roi voulut en cacher la nouvelle à ses sujets et fit construire par Dédale un palais parsemé de nombreux couloirs entrelacés qui donnaient sur des salles aux architectures sophistiquées, débouchant elles-mêmes sur des passages enchevêtrés – oui, jeunes gens, un labyrinthe ! Minos ordonna que l’on y plaçât le fruit de la relation adultérine de la reine. Et pour que celui-ci survive, on le nourrissait chaque année de la chair fraîche de quatorze Athéniens. On
concédera à l’auteur que son analogie est très
appropriée. Malheur à qui s’égare dans l’antre
fantastique de John Cockerill. L’angoisse lui serre bientôt
la poitrine, comme elle étreint la proie du Minotaure. Abandonne
tout espoir ! semble être l’injonction de cet inferno.
Monsieur Matthys n’est pas Thésée. Nul fil d’Ariane, pas
même narratif, ne viendra le sauver. Les
primes traces du Moloch, dont le sens étymologique ramène
aux langues sémitiques et signifie roi, se situent dans
le Lévitique de l’Ancien Testament. Moloch était une divinité,
glorifiée par les Moabites et les Cananéens, et plus encore
par les peuples de Tyr et de Carthage (en témoignent quelques
pages du Salammbô de Flaubert, mais ne sollicitons pas
trop l’esprit de notre lecteur, nous pourrions l’effrayer). Culte cruel,
Moloch rappelle la capacocha des Incas ou la légende de Cronos,
qui avalait ses propres enfants et, bien sûr aussi, celui du Minotaure.
À cette différence que Moloch n’était pas un monstre
crée par les divinités mais un Dieu véritable.
Jahvé d’ailleurs, y voyant une rivalité trop sérieuse,
défendit aux hommes de sacrifier ses enfants à Moloch,
sous peine de mortelles représailles. Moloch, plus encore que
le Minotaure, incarne le culte de la Peur et du Mal. Il
ne semble pas en tout cas, malgré son thème identique,
que ce soit la lecture du Moloch d’Alexandre Ivanovitch Kouprine
qui ait orienté ce choix ; les dessinateurs de bandes dessinées
ne lisent pas les chef-d’œuvres du roman réaliste russe. On
pourra regretter encore la fâcheuse interprétation qu’une
lecture trop rapide pourrait entraîner : la seconde Nature,
d’origine démiurgique, l’usine, serait l’œuvre tragique des grands
industriels qui, pour expier ce crime, durent assouvir l’énorme
appétit de la Machine en lui offrant l’holocauste des vies
d’innocents ouvriers, employés à produire l’acier
destiné à consolider le monstre. On rencontre hélas !
encore de ces esprits égarés ou fanatisés pour
qui, ingrats, nos fiers chevaliers d’Industrie visionnaires seraient
des méchants. Mais sachons dire à ceux qui vouèrent
leur vie et leur argent à nous bâtir une vie de luxe et
de volupté : merci ! |
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MOLOCH
| Michaël Matthys MOLOCH
| Alexandre Kouprine |
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Errata La récente relecture de Formes et Politique dans la bande dessinée (Peeters-Vrin – 1998), de notre collègue Jan Baetens, nous conduit à revoir l’appréciation que nous portions jusqu’alors sur la jeune création belge. L’une d’elle s’avançait sous le nom de "Fréon" et elle est aujourd’hui inclue au "Frémok", dans un nouvel esprit d’entreprise en quête de synergies. Une autre, moins connue mais non plus modeste, se fait appeler ridiculement "La 5e Couche", hommage baroque à une obscure théorie esthétique en vogue dans les effarantes "sixties". Il
semble en effet que nous ayons méjugé la place qu’occupe
ce cartel sur l’échiquier politique, persuadés que nous
étions de voir, dans l’entreprise artistique de ces jeunes graphistes
belges, l’expression des meilleures valeurs patrimoniales. Notre
lecteur nous permettra de ne pas manier le même lyrisme que notre
collègue, dont nous craignons qu’il ne soit atteint de la folie
du tout-politique, maladie née de cette gauche jamais remise de
sa chance inexploitée de 1968, malgré son sournois dynamitage
des mœurs. Ne nous appesantissons pas sur les efforts de M. Baetens, lorsqu’il
tente, de manière touchante, de traduire les nombreuses fautes
d’orthographes qui parsèment les Frigobox en "fautes de
frappes volontaires", ou autre déclaration d’allégeance
à Raymond Roussel ; nous serions ici trop féroce.
Sachons tirer les leçons de nos déconvenues. Nous voilà bien instruits qu’il est bien plus convenable et même avantageux d’être révolutionnaire en atelier chauffé, plutôt que sur une barricade. Si nous étions taquins, nous intitulerions les rêveries frémokiennes et quintacapistes "la Révolution dans le Boudoir", rendant ainsi hommage à tel autre grand homme. Mais, que le lecteur soit rassuré : si l’art pouvait changer le monde, cela se saurait ! Laissons d’ailleurs le dernier mot aux tâcherons de La 5e Couche : "fondamentalement, le public n’a rien à faire dans la relation qui lie l’auteur et son travail". Nous ne craignons donc rien.
MM.
X.P.Löwenthal & Vandermeulen, |
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FORMES
ET POLITIQUE DE LA BANDE DESSINÉE | Jan Baetens |
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