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        | à la loupe MOLOCH | Michaël Matthys | ||||||
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          Minotaure au Moloch  par  
           S’il faut en croire les voix qui parcourent les gravures de Moloch, Michaël Matthys ne savait véritablement pas à quoi s’attendre quand il entreprit son reportage photographique sur le site de Cockerill Sambre. Seul le goût de la découverte semblait guider ce jeune bédéiste vers les coqueries wallonnes, sinon la volonté de réunir le plus grand nombre de clichés possible ; et ce matériau vitement acquis de lui inspirer la réalisation d’une bande dessinée. Nous le savons, de nos jours, la jeunesse n’attend plus que trop d’idées lui viennent avant d’oser l’amorce d’une création, et jette son dévolu sur une quelconque entreprise, avec une fougue proportionnelle à la trivialité du sujet. 
 Averti qu’il est devant un récit réaliste, au lecteur de comprendre l’invite qui lui est faite de suivre la progression du narrateur jusqu’au cœur de l’immense usine. Mais déjà, chose amusante, la narration vient à nous contredire : elle nous fait part, par le truchement de ses dialogues toujours, de l’intention qu’a notre graveur de baptiser son œuvre future Le Minotaure. Le récit se déployant, Michaël Matthys nous annonce par là que ses motivations étaient plus ordonnancées que nous semblions le penser tout d’abord, dans l’introduction de ce texte ; et cette référence au Minotaure de s’adjoindre comme élément contradictoire au postulat qui voulait que Michaël Matthys, comme bien des jeunes gens de son état, n’ait eu qu’une seule idée pour ce livre ! Plus, l’auteur signale à ses lecteurs sa connaissance d’un texte classique issu de la mythologie ! Saluons cette instruction, trop rare chez les jeunes écrivains d’illustrés. Permettez-nous d’entamer encore une légère digression, pour rappeler à notre jeune lectorat illettré (on ne nous accusera pas d’élitisme !) qui est l’hideuse Bête Minotaure. Anatomie humaine dominée d’une face de taureau, le Minotaure naquit de l’irrépressible amour zoophile de la reine de Crète, Pasiphaé, pour un taureau blanc que le roi Minos, son époux, avait refusé de sacrifier à Poséidon (comme la piscine). Épouvanté par la naissance du monstrueux bâtard, le roi voulut en cacher la nouvelle à ses sujets et fit construire par Dédale un palais parsemé de nombreux couloirs entrelacés qui donnaient sur des salles aux architectures sophistiquées, débouchant elles-mêmes sur des passages enchevêtrés – oui, jeunes gens, un labyrinthe ! Minos ordonna que l’on y plaçât le fruit de la relation adultérine de la reine. Et pour que celui-ci survive, on le nourrissait chaque année de la chair fraîche de quatorze Athéniens. On 
          concédera à l’auteur que son analogie est très 
          appropriée. Malheur à qui s’égare dans l’antre 
          fantastique de John Cockerill. L’angoisse lui serre bientôt 
          la poitrine, comme elle étreint la proie du Minotaure. Abandonne 
          tout espoir ! semble être l’injonction de cet inferno. 
          Monsieur Matthys n’est pas Thésée. Nul fil d’Ariane, pas 
          même narratif, ne viendra le sauver. Les 
          primes traces du Moloch, dont le sens étymologique ramène 
          aux langues sémitiques et signifie roi, se situent dans 
          le Lévitique de l’Ancien Testament. Moloch était une divinité, 
          glorifiée par les Moabites et les Cananéens, et plus encore 
          par les peuples de Tyr et de Carthage (en témoignent quelques 
          pages du Salammbô de Flaubert, mais ne sollicitons pas 
          trop l’esprit de notre lecteur, nous pourrions l’effrayer). Culte cruel, 
          Moloch rappelle la capacocha des Incas ou la légende de Cronos, 
          qui avalait ses propres enfants et, bien sûr aussi, celui du Minotaure. 
          À cette différence que Moloch n’était pas un monstre 
          crée par les divinités mais un Dieu véritable. 
          Jahvé d’ailleurs, y voyant une rivalité trop sérieuse, 
          défendit aux hommes de sacrifier ses enfants à Moloch, 
          sous peine de mortelles représailles. Moloch, plus encore que 
          le Minotaure, incarne le culte de la Peur et du Mal. Il 
          ne semble pas en tout cas, malgré son thème identique, 
          que ce soit la lecture du Moloch d’Alexandre Ivanovitch Kouprine 
          qui ait orienté ce choix ; les dessinateurs de bandes dessinées 
          ne lisent pas les chef-d’œuvres du roman réaliste russe. On 
          pourra regretter encore la fâcheuse interprétation qu’une 
          lecture trop rapide pourrait entraîner : la seconde Nature, 
          d’origine démiurgique, l’usine, serait l’œuvre tragique des grands 
          industriels qui, pour expier ce crime, durent assouvir l’énorme 
          appétit de la Machine en lui offrant l’holocauste des vies 
          d’innocents ouvriers, employés à produire l’acier 
          destiné à consolider le monstre. On rencontre hélas ! 
          encore de ces esprits égarés ou fanatisés pour 
          qui, ingrats, nos fiers chevaliers d’Industrie visionnaires seraient 
          des méchants. Mais sachons dire à ceux qui vouèrent 
          leur vie et leur argent à nous bâtir une vie de luxe et 
          de volupté : merci ! | ||||||
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| MOLOCH 
        | Michaël Matthys MOLOCH 
        | Alexandre Kouprine | ||||||
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| Errata La récente relecture de Formes et Politique dans la bande dessinée (Peeters-Vrin – 1998), de notre collègue Jan Baetens, nous conduit à revoir l’appréciation que nous portions jusqu’alors sur la jeune création belge. L’une d’elle s’avançait sous le nom de "Fréon" et elle est aujourd’hui inclue au "Frémok", dans un nouvel esprit d’entreprise en quête de synergies. Une autre, moins connue mais non plus modeste, se fait appeler ridiculement "La 5e Couche", hommage baroque à une obscure théorie esthétique en vogue dans les effarantes "sixties". Il 
        semble en effet que nous ayons méjugé la place qu’occupe 
        ce cartel sur l’échiquier politique, persuadés que nous 
        étions de voir, dans l’entreprise artistique de ces jeunes graphistes 
        belges, l’expression des meilleures valeurs patrimoniales. Notre 
        lecteur nous permettra de ne pas manier le même lyrisme que notre 
        collègue, dont nous craignons qu’il ne soit atteint de la folie 
        du tout-politique, maladie née de cette gauche jamais remise de 
        sa chance inexploitée de 1968, malgré son sournois dynamitage 
        des mœurs. Ne nous appesantissons pas sur les efforts de M. Baetens, lorsqu’il 
        tente, de manière touchante, de traduire les nombreuses fautes 
        d’orthographes qui parsèment les Frigobox en "fautes de 
        frappes volontaires", ou autre déclaration d’allégeance 
        à Raymond Roussel ; nous serions ici trop féroce. 
 Sachons tirer les leçons de nos déconvenues. Nous voilà bien instruits qu’il est bien plus convenable et même avantageux d’être révolutionnaire en atelier chauffé, plutôt que sur une barricade. Si nous étions taquins, nous intitulerions les rêveries frémokiennes et quintacapistes "la Révolution dans le Boudoir", rendant ainsi hommage à tel autre grand homme. Mais, que le lecteur soit rassuré : si l’art pouvait changer le monde, cela se saurait ! Laissons d’ailleurs le dernier mot aux tâcherons de La 5e Couche : "fondamentalement, le public n’a rien à faire dans la relation qui lie l’auteur et son travail". Nous ne craignons donc rien. 
 MM. 
        X.P.Löwenthal & Vandermeulen,  | ||||||
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| FORMES 
        ET POLITIQUE DE LA BANDE DESSINÉE | Jan Baetens | ||||||