Le rialto

 

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La main au culte

Dix femmes violentes
 ! L’Escouade des poupées ! Les Astro-zombies ! L’Orgie sanglante des diablesses ! En presque 40 ans de carrière, l’américain Ted V. Mikels, de son vrai nom Theodore Vincent Mikacevich, a réalisé des films aux titres tous plus incroyables les uns que les autres. À la fois monteur, producteur, distributeur, cascadeur, réalisateur, musicien et accessoirement accordéoniste solo, cet homme à tout faire du cinéma filme avec deux bouts de ficelle sans se soucier des problèmes, sans argent, sans scénarios, et parfois même sans acteurs véritables ! Conversation avec ce héros des temps modernes à la moustache Daliesque et à la gentillesse déconcertante...

TED V. MIKELS

Jadeweb : Il semblerait que vous ayez commencé très tôt votre carrière dans le monde du spectacle...
Ted V. Mikels : À l’âge de cinq ans j’exécutais des tours de magie pour mes amis et mes voisins, et à 19 ans je suis véritablement devenu magicien. Je faisais un show de deux heures et demie qui s’appelait Open sesame où j’étais à la fois ventriloque, acrobate et accordéoniste solo ! J’ai joué à travers tous les États-Unis dans des night clubs, des théâtres, des églises... À cette époque, je voulais à tout prix filmer mon propre spectacle. Je l’ai fait, et c’est ainsi, qu’entre 1950 et 1958, je suis devenu cameraman et journaliste pour KGW TV, KOIN TV, KWJJ TV... Toutes les stations de télé de Portland en fait !
J’ai joué et dirigé un nombre incalculable de pièces de théâtre (The bat, The man in a dog suit...) dont The view from the bridge pour laquelle j’ai reçu une récompense. Je me suis aussi occupé de la réalisation de dizaines de films éducatifs sur l’hygiène, la façon de se comporter en société... Dans cette période, j’ai même interprété des petits rôles dans des productions plus importantes comme Indian fighter avec Kirk Douglas.
Je jouais un Indien sur un cheval qui tirait des flèches enflammées sur un fort, ensuite j’étais un soldat qui, du haut du fort, tirait sur cet Indien ! Puis, comme si cela ne suffisait pas, je redevenais un Indien qui tractait un chariot en feu pour incendier les tours du fort, à l’intérieur duquel j’étais un colon qui balançait de l’eau sur ces tours pour éteindre le feu que je venais de mettre en tant qu’Indien.
Voilà, c’est à peu près tout en ce qui concerne la période 1950-1958 !

Et votre premier film fut Strike me deadly.
Oui, c’était en 1959 et mes enfants continuent de penser que c’est mon meilleur film ! J’ai vendu tout ce que je possédais pour pouvoir le réaliser : ma maison, ma voiture, tout ! je l’ai écrit, dirigé, produit, monté, et ça m’a pris quatre ans pour le finir et le distribuer. Il est interprété par Gary Clarke (ndr : major spatial dans l’immonde Missile to the moon, et jeune Frankenstein lobotomisé dans How to make a monster) et Jeannine Riley (ndr : naine trisomique dans Pettycoat junction). Beaucoup de gens adorent ce film, sans doute à cause du noir et blanc et des scènes d’action dans la forêt, avec les feux, le tueur psychopathe... Puis j’ai réalisé un de mes premiers succès The black klansman (ndr : également connu sous le titre I cross the color line) que je n’ai distribué qu’en 1965 par manque de moyens. C’est l’histoire d’un Noir qui infiltre le Ku Klux Klan pour tenter de retrouver l’assassin de sa fille. Un Mississippi burning des années 60 en quelque sorte ! Le succès rencontré par le film m’a permis de monter ma propre maison de production : Genini Film Distributing.

En 1968, vous réalisez The Astro-zombies qui est l’un de vos titres de gloire.
The Astro-zombies fut ma première occasion d’écrire un film de science fiction. En 1960, j’avais concocté une histoire qui débutait par le plan d’une centrifugeuse tournant à la vitesse de 5 G, avec un astronaute sanglé à l’intérieur. Poussée à laquelle il est humainement impossible de survivre. Le plan suivant montrait la machine à l’arrêt, deux mains arrachaient la tête de la personne attachée qui se révélait être un robot. À la suite de cette idée, j’ai commencé à sérieusement parler, avec le Département Défense de l’U.S. Air Force, des futures possibilités de transplantation d’organes. L’armée m’a permis d’assister aux premières études sur les greffes cardio-vasculaires au Texas, mais quoi qu’il en soit, je n’avais pas suffisamment d’argent pour filmer ce projet et j’ai mis mon histoire au placard. J’en ai réécrit une partie en la complétant avec une histoire d’espions et de secrets militaires jalousement gardés...

Est-ce à cette période que vous avez rencontré Wayne Rogers, co-scénariste et producteur exécutif de The Astro-zombies, qui deviendra par la suite acteur de la série M.A.S.H. ?
Je connaissais Wayne Rogers depuis une projection de Strike me deadly à Hollywood où il m’avait avoué être impressionné par mon travail.
Nous avons d’abord réalisé deux films ensemble, puis en 1967, j’ai suggéré que nous fassions The Astro-zombies. Wayne aimait l’idée et nous avons élaboré un scénario un peu plus léger que mon histoire originale. Peu à peu, cela devint beaucoup plus amusant, presque kitsch !
Le reste fait partie de l’histoire : j’ai écrit, produit, et dirigé le film dans les treize mois qui ont suivi, je l’ai ensuite distribué par le biais de ma propre compagnie.

Dans The Astro-zombies, vous avez confié le rôle du docteur De Marco à l’immense John Carradine, acteur à l’impressionnante filmographie, des Dix commandements à Billy the kid contre Dracula (et père de David Kung fu Carradine !).
Diriger John Carradine fut une grande joie. Il connaissait son texte à la perfection, ne se trompait jamais, et n’avait jamais besoin de plus d’une prise. Il restait assis sur sa chaise pendant que j’appelais les autres acteurs. Il regardait l’équipe et les techniciens se préparer, puis il interpellait gentiment telle ou telle personne en lui disant : Excusez-moi monsieur, ne devrions-nous pas arranger tel micro ou telle lumière.
Après s’être assuré que plus rien ne dérangerait le bon déroulement du plan, il se dirigeait vers sa place, puis jouait son rôle. C’était un prince.

Comment avez-vous connu Tura Satana, une de vos actrices fétiches, et par ailleurs, mythique héroïne de Faster, pussycat ! Kill ! Kill ! de Russ Meyer ?
La première fois que j’ai vu Tura, elle était danseuse exotique au Sliver Slipper à Las Vegas en 1960. Je ne lui ai réellement parlé que sept ans plus tard, au moment où je l’ai faite tourner dans The Astro-zombies. Avant The doll squad (1974) qui est le second long métrage que j’ai fait avec elle, personne n’avait encore pensé à faire un film avec un groupe de femmes travaillant pour le gouvernement et se battant comme des hommes...
Le karaté n’était pas encore à la mode et les films de Bruce Lee n’étaient pas encore arrivés aux États-Unis. Aucun des acteurs, à part Tura, ne connaissait les arts martiaux. J’étais loin d’être un maître en kung-fu, mais en tant que cascadeur/acrobate/réalisateur, j’aidais les filles à se bâtir un look de combattantes et ce en fonction des angles de caméra.
J’ai même fait les cascades de certaines scènes et chaque fois sous un nouveau déguisement !
The doll squad, l'antichambre trash au futur Charlie's angels

The doll squad a semble-t-il donné naissance à la série Drôles de dames ?
Francine York, une des actrices de The doll squad, a prêté une copie du film à Universal pictures à l’attention du producteur Aaron Spelling. Quatre ans après, celui-ci sortait sur le petit écran la série Drôles de dames. Comme dans The doll squad, une des héroïnes se nommait Sabrina, mon sénateur était devenu Charlie, et il communiquait avec les filles de la même manière que dans mon film ! Lorsqu’on m’a demandé si je voulais engager des poursuites judiciaires, j’ai refusé. je ne tenais pas à rentrer dans des querelles sans fin, ni à intenter un procès à qui que ce soit. C’est la vie...

Qu’est-ce qui vous pousse à tout faire sur vos films ?
Le fait de ne pouvoir payer quelqu’un pour ces jobs, me contraint à tout faire moi-même ! Si vous attendez que quelqu’un fasse le boulot à votre place, vous n’arriverez jamais à faire ne serait-ce qu’un court métrage. Je travaille nuit et jour, sept jour sur sept, et encore, j’ai du mal à payer toutes mes factures ! De toute façon, trouver l’argent nécessaire à la réalisation d’un film est la clef de tout, et, croyez-moi, financer un tel projet n’est pas une mince affaire, à moins d’avoir un oncle richissime !
Si je monte et réalise mes films, c’est pour en avoir le contrôle total. Tant que j’écrirai, produirai et réaliserai aussi bien que n’importe quel autre réalisateur, je ne laisserai personne toucher aux concepts originaux que j’ai mis sur pied pour monter mes films. Je suis prêt à autant assumer les échecs que les succès et je suis très, mais alors très loin de prendre ma retraite. En réalité, je n’ai pas l’impression d’avoir encore commencé ma carrière !

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