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Albin Michel, 1989
ISBN 2-226-03731-4
Même s'il ne s'y est
jamais très bien vendu, Robert Crumb a été très souvent édité en France.
J'aurais pu choisir des recueils mieux réalisés, comme le superbe Mister
Nostalgia (ed. Cornélius) ou encore le Crumb (Futuropolis 30x40).
J'aurais pu m'intéresser à Fritz the cat, le classique de Crumb, ou à
des personnages comme Mr Natural, gourou cynique, à des oeuvres en rapport
avec la contre-culture américaine, avec les années 60-70, à son attachement
pour le blues, à ses morceaux de bravoure divers... L'oeuvre de Robert
Crumb défie le recensement, et c'est loin de s'arranger; : toujours
aussi concentré, toujours aussi talentueux, Robert Crumb dessine, dessine,
dessine...
Malgré l'abondance de son oeuvre, Crumb reste caricaturé par ceux qui
ne connaissent pas bien son travail, tel Michel Greg (Achile Talon), qui,
à l'occasion de la remise du grand prix à Angoulème (99) s'est commis
à qualifier Crumb de "has-been" dans "la lettre de Dargaud" :
Crumb, grand chantre de l'underground, était, avec Gilbert Shelton,
le grand spécialiste en "comic-books" de la piquouze hilarante,
des volutes du shit, du sexe énorme et poilu, des mamelles colossales
et du caca tous formats. Cela fit rire en son temps tous ceux qui voyaient
là une revanche contre les parents, les flics, les maîtres, l'ordre établi,
le bon goût, etc. Ce n'est pas nouveau. Seulement, il y a vingt ans que
la vague est retombée [...] Lui-même s'est sagement retiré en France,
du côté de Carpentras, ne dessine plus et joue, pour passer le temps,
de la guitare dans les musettes, ce qui est très bien. .
L'AFP n'avait pas non plus hésité à qualifier cette élection de "couac".
Une des
constantes de Crumb est son dessin, immédiatement identifiable, toujours
superbe. Son trait est à peu près à mi-chemin entre celui des pionniers
américains (on pense à Segar, Herriman voire même Disney) et à celui de
grands graveurs comme William Hogarth - sa maîtrise des trames manuelles
me pousse à cet audacieux parallèle, mais on peut voir plus loin : l'ancrage
de son oeuvre à l'intérieur de son époque, les interrogations morales
(quoique Hogarth n'ait jamais utilisé sa propre biographie dans ses oeuvres),
le réalisme caricatural, l'importance du détail...
Dans le 30x40 (Futuropolis) se trouve d'ailleurs une adaptation des chroniques
de débauche de James Boswell, aristocrate écossais du 18e, où les costumes
"d'époque" renforcent et confortent mon impression.
Mes
Femmes est un recueil d'histoires écrites dans les années 80. Crumb
y raconte ses tortures adolescentes, ses frustrations d'adulte et enfin
sa vie de famille (Aline Kominsky-Crumb, épouse du maître, co-signe d'ailleurs
certaines pages).
C'est un peu une encyclopédie des rapports de Crumb avec les femmes, avec
le sexe, avec sa libido, et une encyclopédie plutôt courageuse, sans concessions,
sans vantardises adolescentes, sans pitié.
Il s'y décrit chétif, timide, renfermé, envieux, jaloux, et même - lorsque
les succès féminins ont commencé à accompagner sa notoriété - misogyne,
faisant payer aux femmes le mal qu'elles ont pu lui faire.
Et tout cela est accompagné d'une culpabilité sincère, Crumb se reproche
toutes sortes d'actions, de "mauvaises pensées" voire même de
rêves.
Il se voit ridicule ou méchant, et le lecteur, pauvre pécheur, se retrouve
forcément.
On pourrait
épiloguer sans fin sur l'extraordinaire influence qu'a eu Crumb sur la
bande dessinée américaine (au point que tout ce qui ne porte pas de cape
et ne vole pas, dans le comics, découle peu ou prou de l'oeuvre de Robert
Crumb, à égalité avec Will Eisner) et qui justifie à elle seule le grand
prix de la ville d'Angoulême 1999.
Pour
la bonne bouche, voici un extrait de ce qu'à écrit Joann Sfar à l'occasion
du débat maladroitement initié par Michel Greg :
[...] Il ne faut pas seulement juger un artiste à ses succès
publics. Il faut aussi s'intéresser à l'influence qu'il a eue sur ses
pairs. Moi, je sais que la plupart de mes copains ne dessineraient pas
comme ils dessinent s'il n'y avait pas eu Robert Crumb. En tout cas, en
ce qui concerne Christophe Blain et moi, c'est indéniable. Attention,
la bande dessinée invente très peu de formes, elle se borne souvent à
redire les innovations de la littérature, du cinéma, de la peinture et
de l'imagerie populaire. Si on regarde avec un peu de distance, on voit
que Crumb est un des rares à inventer ou du moins à tirer la substance
de ses dessins d'un contact direct avec le réel, sans le truchement d'un
média autre que l'oeil, le crayon et le cerveau. En tout cas, s'il n'invente
pas, il dégage l'essentiel de l'environnement visuel et sonore du siècle
et peut être même littéraire bordel. Il ramasse des têtes de dessins animés
des studios Fleischer et de chez Disney, des étiquettes de ketchup, des
pochettes de disques, des albums de photos de classe, des voitures, des
chaussures de filles, des forêts de poteaux électriques, des rues et de
la musique.
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Racines
de la libido de Robert Crumb, le collège
Dans ces pages au style sans doute inspiré des E.C. comics qu'il lisait
à l'époque représentée, R.Crumb se souvient de la délectation éprouvée
au contact imperceptible de des jambes avec celles de ses voisines de
classe, comme un lointain écho à Jean-jacques Rousseau :
[...] j'ai goûté près d'elle des douceurs inexprimables. Rien de tout
ce que m'a fait sentir la possession des femmes ne vaut les deux minutes
que j'ai passées à ses pieds sans même oser toucher à sa robe..
Même âge, fantasmant sur Sheena, reine de la jungle.
à la vingtaine, Robert Crumb perdu dans ses frustrations.
Devenu une célébrité de la contre-culture, Robert Crumb découvre le succès.
Plusieurs aventures et plusieurs mariages plus tard, Robert Crumb et la
femme de sa vie, sa fille
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