Le rialto

 

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Carnival of souls

" Le cinéma implique un renversement des valeurs, un bouleversement complet du point de vue, de la perspective et de la logique. Il est plus excitant que le phosphore, plus captivant que l’amour "
Antonin Artaud

Encore un film Fantastique à budget ridicule me direz-vous ? ! Eh oui, si vous préférez l’inverse (des films ridicules à budgets fantastiques), il vous faudra lire Première ou regarder l’auto-proclamée "chaîne du cinéma". Si, dans le cinéma, le Fantastique a longtemps été le parent pauvre (par opposition à l’oncle d’Amérique, gras, arrogant et socialement reconnu…ils ne mangent pas à la même table), il a engendré d’authentiques chefs-d’œuvre qui transcendent la catégorisation en "films de genre" (idem pour les films Noirs, S.F et autres domaines encore plus ignorés/méprisés : péplum, karaté, films de catcheurs mexicains, etc...) et de vrais Auteurs : Ed Wood, Tourneur, Roger Corman, William Castle…

Le cinéma est tout de même la seule forme d’art où le coût de fabrication détermine la manière même dont on regarde et considère l’œuvre (la même chose pour la peinture ou la littérature semblerait totalement absurde). Le budget classe le film en Série B, Série Z, "petit film", "underground"... catégories dont il est bien difficile de s’échapper. Warhol considérait que les gens qui achètent et exposent des tableaux uniquement pour leur valeur marchande feraient mieux d’encadrer de vrais billets de banque et de les mettre sur leurs murs. Les films à gros budgets dont la préoccupation principale semble être que l’on "voit l’argent à l’écran" (j’adore cette expression !) pourraient, eux, se simplifier la vie en filmant directement d’épaisses liasses de dollars.

Carnival of souls, donc, film fantôme, météorite, sorti de nulle part pour y retourner aussitôt, pas plus moderne qu’un film expressionniste allemand des années 30 mais pas plus daté que n’importe quelle nouveauté 2001 et certainement moins que certains classiques quand on les revoit, tels Shining (téléfilm 70’s quelconque), Star wars (morne défilé de maquettes en légo) ou tout l’œuvre de Dario Argento (mauvais clips au ralenti).


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L’histoire ? Un accident, une voiture avec trois jeunes filles tombe dans un fleuve, on n’arrive pas à les repêcher. A la surprise générale une d’entre elles réapparaît quelques jours plus tard, amnésique. Elle reprend son travail, organiste dans une église, mais semble changée, absente. Elle se sent irrésistiblement attirée par un sinistre parc d’attraction désaffecté. Par deux fois dans le film la bande son disparaît brutalement, l’héroïne semble être devenue invisible et muette pour les autres, elle crie mais personne ne l’entend, elle pleure, personne ne la voit. Ce silence absolu surprend autant que cette scène de La voie lactée de Bunùel où tous les personnages se mettent soudain à parler en latin pendant cinq minutes et produit le même trouble, le même effroi glacé que le célèbre Cri de Münch. A part ces passages saisissants, tout le film baigne dans une ambiance étrange et cotonneuse, une torpeur langoureuse et malsaine…comme dans un rêve où l’on sent que ce qui arrive n’est pas très normal sans que l’on en soit tellement surpris non plus, où l’on se laisse emporter sans chercher à se raccrocher à des pans de réels, cerveau léger et paupières lourdes. Les scènes où elle joue de l’orgue dans l’église sont entrecoupées de plans d’images religieuses, de morts-vivants aux visages peints en blancs sortant des eaux, de bal lugubre dans le dancing en ruines, de regards hallucinés, de cris muets. On ne sait plus trop où on en est…rêve, réalité, hallucinations, flashback…surtout quand, après une scène défilant en accéléré où des morts-vivants font de l’auto-tamponneuse ( ?), elle se voit elle même en zombie. Les policiers qui la recherchent trouvent des traces de pas menant à la rivière, repêchent enfin la voiture dans laquelle elle gît…morte avec les autres ! ! ! Alors que tout semblait annoncer la fin classique et paresseuse de nombre de films fantastiques (le héros se réveille…en fait tout ça n’était qu’un rêve…) ici, pas de rêve mais plutôt un cauchemar bien réel et surtout fait…par une morte ! Idée audacieuse, insensée (comme dans un livre, le narrateur ne peut pas mourir ET nous raconter son histoire ! !), révolutionnaire, le genre d’idée que pouvaient avoir Bunùel, Tod Browning ou Lynch (quand il avait des idées).

Pas de dollars à l’écran donc mais bien d’autres choses, des choses qu’on n’achète pas avec de l’argent, une vision (tordue), un style (étrange), du flou (artistique), du noir (très noir) et du blanc (troublant).

Memphis Shock

Carnival of souls | 1962 | USA | Noir & blanc | 84 min. | Réalisé et produit par Herk Harvey | Ecrit par John Clifford | Musique de Gene Moore | avec Candace Hilligoss (Mary Henry), Frances Feist (Mrs. Thomas), Sidney Berger (John Linden), Stan Levitt (Dr. Samuels)

Il existe un CD de la superbe et envoutante bande originale de Gene Moore sur le label californien Byrddream